Il importe évidemment de se garder de considérer l’auteur des Fourberies de Scapin comme un austère philosophe, mettant au service de quelque conception morale abstraite et a priori les intarissables ressources de sa verve et de son haut comique. […] Cette morale, fondée sur la seule considération de l’utilité humaine, il osa l’enseigner, de la scène, à ce parterre dont les applaudissements soutenaient l’auteur de L’École des femmes contre les dédains des petits marquis. […] J’exposerai dans les deux parties de cette étude : 1º Comment, en admettant qu’on trouve à la base de la morale de Molière ce vieux principe recueilli de l’antiquité et cher à Rabelais et à Montaigne, qu’il faut vivre conformément à la nature, que la nature est bonne, que tout ce qui tend à la corrompre est détestable ; on doit reconnaître que cette idée vague ne sert à l’auteur du Tartuffe que pour atteindre le but négatif de ruiner les préjugés et les superstitions de l’époque ; 2º Comment c’est sur la base de l’opinion publique, représentée par les « honnêtes gens », qu’il ose spontanément édifier sa morale, comme Adam Smith et A. […] Mais, comme il se heurtait, en soutenant cette thèse, à des préjugés tout-puissants, l’auteur de L’École des femmes dut, pour en mieux triompher, employer des moyens extrêmes. […] C’est le plus souvent aux hommes, en tant que pères et époux, que Molière prescrit leur devoir (aussi exactement, bien entendu, qu’un auteur comique le peut faire) ; mais, aux hommes en général, il donne quelques sages conseils, sans distinction de caste ni de condition.