Mais l’art de faire rire n’est pas simple, et s’il en a connu toutes les variétés, depuis les charges à l’italienne, les coups de bâton de Scapin et les clystères d’Argan, jusqu’aux fines répliques de Célimène, il a puisé plus que personne aux sources naturelles du rire, à celles qui le font communément jaillir de nos lèvres à tous. […] L’art d’exprimer la disproportion et l’antinomie entre la valeur des causes et leurs effets, entre les raisons de nos actions et nos actions elles-mêmes et non pas seulement, comme chez les bouffons italiens qui furent ses premiers maîtres, des jeux artificiels et faciles de mots et d’attitudes, voilà certes par quoi sa force comique est particulièrement irrésistible. […] C’est que, par l’effet d’un grossissement habile, par un art qui n’a jamais été égalé de trouver et d’exprimer les traits significatifs d’un caractère, Molière en impose au spectateur la représentation définitive, en quelque sorte symbolique. […] Mais cet art de bâtir des personnages d’une vérité autre que la vérité naturelle, laquelle est fugitive et changeante, tandis qu’ils demeurent eux permanents, cet art aboutirait aisément à créer des types en quelque sorte figés, conventionnels et fictifs, étrangers à la vie. […] Notons-en seulement un caractère qui nous paraît contribuer pour une large part à la popularité des héros de Molière : c’est l’art qu’ils ont de manifester leurs sentiments et leurs passions en termes et en formules d’une vigueur qui les imprime dans toutes les mémoires et d’une simplicité qui les rend accessibles à toutes les intelligences.