La composition du Tartuffe avait précédé celle du Festin de Pierre ; les trois premiers actes avaient été représentés aux fêtes de Versailles, en mai 1664 ; et la pièce entière l’avait été au Raincy, chez le prince de Condé, en novembre de la même année. […] Mais, à cette époque, les pieux scrupules de Louis XIV allaient croissant avec ses années, et les dépositaires de son autorité se montraient de plus en plus sévères sur tout ce qui pouvait toucher la religion. […] Comme il est presque sans exemple qu’un livre supprimé en tout ou en partie disparaisse entièrement, et que toujours quelque exemplaire échappe à la proscription, ne fût-ce que pour passer dans les mains de ceux qui l’ont ordonnée, un ou deux exemplaires peut-être du Festin de Pierre entier survécurent à la mutilation du reste ; mais ils demeurèrent enfouis, ignorés pendant près d’un siècle et demi, et ce n’est que depuis fort peu d’années que leur existence a été révélée. Il est certain toutefois que, dans le temps, un de ces exemplaires ou du moins une copie manuscrite fut envoyée de Paris en Hollande ; car Jacques Le Jeune, libraire d’Amsterdam, qui, en 1683, avait imprimé Le Festin de Pierre en vers, de Dorimond, pour celui de Molière, donna, la même année, la pièce de Molière même, avec les scènes et les passages supprimés ou adoucis ; et ce qu’il y a de vraiment extraordinaire, c’est que cette édition hollandaise, qui fut suivie de quelques autres, resta presque aussi inconnue que les exemplaires non cartonnés de l’édition de Paris, puisque, cinquante ans après (en 1730) Voltaire crut faire une révélation au public, en lui donnant quelques traits de la scène du pauvre qu’il déclarait avoir lue écrite de la main de l’auteur, entre les mains du fils de Pierre Marcassus, ami de Molière.