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102. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXV. » pp. 500-533

Qui nous assurera que Moliere n’ait pas entendu dire à quelque George Dandin, mes enfants seront gentilshommes, mais je serai cocu ; à quelque Précieuse ridicule, apportez-nous le Conseiller des Graces ; à plus d’un Tartufe, je tâte cet habit, l’étoffe en est moelleuse ; à quelque Malade imaginaire, mon Médecin m’a ordonné de faire dans ma chambre quatre allées & quatre venues, mais j’ai oublié de lui demander si c’est en long ou en large ; à quelque Bourgeois, je vis de bonne soupe, & non pas de bons mots 53 ; à quelque Dame de château, apportez des bougies dans mes flambeaux d’argent 54, &c. […] Ainsi, le Tartufe, vu pour la premiere fois, ne permet certainement à personne de songer à l’art inconcevable qu’il a fallu pour le composer. Une peinture, dans quelque genre qu’elle soit, est bien foible quand elle nous laisse le sang-froid de la juger par comparaison : il faut qu’elle nous transporte dans le temps & le lieu où l’action s’est passée : il faut que nous pensions la voir de nos yeux ; que nous partagions, par exemple, les malheurs d’Orgon & ceux de toute sa famille ; que nous craignions de voir échapper Tartufe aux châtiments qu’il mérite. […] Nous n’avons qu’à nous rappeller les morceaux de ses romans d’après lesquels Moliere a fait la reconnoissance de Pourceaugnac & d’Eraste, la brouillerie & le raccommodement de Mariane & de Valere dans l’Imposteur ; le trait d’hypocrisie employé par Tartufe pour se blanchir de l’accusation de Damis : ces différentes scenes ne sont-elles pas en entier dans les Hypocrites, & Ne pas croire ce qu’on voit ?

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