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55. (1856) Molière à la Comédie-Française (Revue des deux mondes) pp. 899-914

Lors même qu’on arriverait à me prouver que les comédiens d’aujourd’hui ont reçu les révélations de leurs devanciers immédiats, et qu’on remonterait ainsi, preuves en main, par une suite non interrompue de confidences, jusqu’aux dernières années du règne de Louis XIV, il resterait à établir que le secret, en passant de bouche en bouche, est demeuré ce qu’il était au premier jour, que les acteurs qui ont joué pour la première fois les ouvrages de Corneille, de Racine et de Molière, qui ont reçu leurs conseils et profité de leurs leçons, ont pu les transmettre sans les altérer. […] Non-seulement en effet ils ne réussiront jamais à prouver que le secret de Corneille, de Racine, et de Molière est venu jusqu’à eux, transmis fidèlement de génération en génération, mais il n’est pas malaisé de leur montrer que le sens qu’ils donnent parfois à leurs rôles ne s’accorde pas avec l’intention de hauteur et blesse le goût et la raison. […] Si l’on veut que le Théâtre-Français garde son rang et son autorité littéraire, il faut absolument que les comédiens s’habituent à croire que les œuvres de Molière, de Corneille et de Racine sont achevées depuis longtemps et depuis longtemps comprises, qu’elles n’offrent pas un passage d’une signification douteuse, et qu’il y a témérité à vouloir leur donner un aspect nouveau, une portée nouvelle, par une trop libre interprétation.

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