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46. (1819) Introduction aux œuvres de Molière pp. -

Alceste et Gorgibus, Célimène et Madame Jourdain, personnages entre qui l’éducation et le rang dans la société mettent la plus grande différence possible de sentiments, d’expressions et de manières, parlent, non pas le même langage, mais la même langue ; c’est-à-dire que le discours, élégant et noble chez les uns, commun et même populaire chez les autres, est pourtant assujetti aux lois de la même grammaire ; et, loin que Molière ait écrit avec moins de correction les rôles des personnages d’un esprit plus borné ou d’une condition plus basse, je ne craindrais pas d’affirmer que souvent il s’y trouve moins de termes impropres et de tours embarrassés, moins de fautes en un mot contre l’usage et la règle, que dans les rôles où sa diction prend l’essor le plus élevé1. […] Elle est ridicule quand il y a, de celui qui la ressent à celle qui l’inspire, une trop grande différence de caractère, comme entré le misanthrope Alceste et la coquette Célimène, ou bien une trop grande disproportion d’âge, comme entre Sganarelle et Isabelle, Arnolphe et Agnès, don Pèdre et Isidore. […] Toujours un personnage atteint d’une manie ridicule, que prêche inutilement un personnage raisonnable, et que trompe un personnage vicieux ou dépendant pour confirmer la leçon : tel est, en effet, Sganarelle entre Ariste et Isabelle, Arnolphe entre Chrysalde et Agnès, Alceste entre Philinte et Célimène. […] Il est certain toutefois que Molière, amoureux et jaloux d’une épouse coquette, eut occasion de mettre quelque chose de ses sentiments dans la bouche d’Alceste, amant de Célimène.

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