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40. (1734) Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière (Œuvres de Molière, éd. Joly) [graphies originales] pp. -

Sa famille qui le destinoit à la charge de son pere, en obtint pour lui la survivance ; mais la complaisance qu’avoit euë son grand-pere, de le mener souvent à l’hôtel de Bourgogne, ayant déjà commencé à développer en lui le goût naturel qu’il avoit pour les spectacles, il conçut un dessein fort opposé aux vûës de ses parens ; il demanda instamment, & on lui accorda avec peine, la permission d’aller faire ses études au collége de Clermont. […] Chapelle, aux études de qui l’on avoit associé Bernier, avoit pour précepteur le célébre Gassendi, qui voulut bien admettre Pocquelin à ses leçons, comme dans la suite il y admit Cyrano. […] Son pere, devenu infirme, ne pouvant suivre la cour, il y alla remplir les fonctions de sa charge, qu’il a depuis exercées jusqu’à sa mort ; mais, à son retour à Paris, cette passion pour le théatre, qui l’avoit porté à faire ses études, se réveilla plus vivement que jamais. […] A considérer le nombre des ouvrages57 que Moliere a composés dans l’espace d’environ vingt années, au milieu de tant d’occupations différentes qui faisoient partie de ses devoirs, on croira plûtôt, avec Despreaux,58 que la rime venoit le chercher, qu’on n’ajoutera foi à ce qu’avance un auteur,59 que Moliere travailloit difficilement : & l’on y admirera ce génie vaste, dont la fécondité cultivée & enrichie par une étude continuelle de la nature, a enfanté tant de chef-d’œuvres. […] Cependant sa famille m’a si fortement assûré du contraire, que je me crois obligé de dire que Moliere fit son droit avec un de ses camarades d’études ; que dans le tems qu’il se fit recevoir avocat, ce camarade se fit comédien ; que l’un & l’autre eurent du succès, chacun dans sa profession ; & qu’enfin, lors qu’il prit fantaisie à Moliere de quitter le barreau pour monter sur le théatre, son camarade, de comédien, se fit avocat.

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