Quand ce but concentre tellement toutes nos forces intellectuelles et morales, qu’en dehors de lui nous n’avons ni sentiment, ni activité pour rien, alors le sérieux nous domine et nous possède exclusivement, et quand ce but est un objet infini, l’accomplissement d’un devoir sublime ou la satisfaction d’une passion profonde, alors l’état de notre âme est tragique. […] Je la définirais volontiers une sorte d’oubli de la vie, un état de bien-être et de vitalité plus haute où nous nous sentons enlever non seulement à toute idée triste, mais à toute idée sérieuse ; alors nous ne prenons rien qu’en jouant ; tout passe sans laisser de trace et glisse légèrement sur la surface de notre âme17. Le spectateur, qui est dans cet état, aime à promener ses regards vaguement, sans but et sans suite, sur une infinie diversité de choses, et si le poète ose lui faire violence, en exigeant de lui la disposition sérieuse qui ne convient qu’au spectateur de la tragédie, je veux dire en voulant arrêter jusqu’à la fin ses yeux sur un objet unique, sans incidents, sans interruptions et mélanges bizarres de toute nature pour le distraire, sans jeux d’esprit ou mots piquants pour réveiller à toute minute, sans inventions inattendues, hardies, pour le tenir sans cesse en haleine, la gaieté tombe, le sérieux reste et le comique s’évanouit. […] Si dans l’état d’innocence Adam a failli, que peut donc faire le pauvre Jack Falstaff dans ce siècle corrompu ? […] La paresse, la luxure, la gourmandise, surtout un certain degré d’ivresse, voilà ce qui met la nature humaine dans l’état de l’idéal comique65.