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161. (1725) Vie de l’auteur (Les Œuvres de Monsieur de Molière) [graphies originales] pp. 8-116

C’étoit une femme altiere, & peu raisonnable lorsqu’on n’adheroit pas à ses sentimens : elle aimoit mieux être l’amie de Moliere que sa belle-mere ; ainsi il auroit tout gâté de lui declarer le dessein qu’il avoit d’épouser sa fille. […] Mais comme elle l’observoit de fort près, il ne put consommer son mariage pendant plus de neuf mois ; c’eût été risquer un éclat qu’il vouloit éviter sur toutes choses ; d’autant plus que la Bejart, qui le soupçonnoit de quelque dessein sur sa fille, le menaçoit souvent en femme furieuse & extravagante de le perdre, lui, sa fille & elle-même, si jamais il pensoit à l’épouser. […] Mais cet éclaircissement causa un vacarme terrible ; la mere donna des marques de fureur, de desespoir, comme si Moliere avoit épousé sa rivale ; ou comme si sa fille fût tombée entre les mains d’un malheureux. Neanmoins il fallut bien s’appaiser, il n’y avoit point de remede ; & la raison fit entendre à la Bejart, que le plus grand bonheur qui pût arriver à sa fille, étoit d’avoir épousé Moliere, qui perdit par ce mariage tout l’agrément que son merite & sa fortune pouvoient lui procurer, s’il avoit été assez Philosophe pour se passer d’une femme.

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