D’un avare à l’instant il fait un libéral ; un vaillant d’un poltron, un civil d’un brutal ; il rend agile à tout l’âme la plus pesante, et donne de l’esprit à la plus innocente. » Ce que Molière dit de l’amour s’applique à toute passion accidentelle assez puissante pour absorber momentanément l’esprit et dominer les instincts qui composent le caractère naturel de l’individu. […] Loin d’être humble, au moins par convenance, devant sa femme et d’éprouver en sa présence quelque peine et quelque embarras, il jouit de la malheureuse situation où elle se trouve, il prend même un plaisir infernal à la bafouer en donnant pour prétexte de l’abandon dans lequel il la laisse, un motif qui n’est qu’une insigne moquerie : « Il m’est venu des scrupules (lui dit-il) ; j’ai ouvert les yeux de l’âme sur ce que je faisais. […] Jeannel adresse à Molière. « Dans l’Avare, dit-il, il y a une invraisemblance qui est une faute : c’est que Valère, présenté à la fin sous les plus nobles couleurs, et montré dès le début comme plein de nobles sentiments, puisse allier cette hauteur d’âme avec le misérable rôle auquel il s’est soumis par choix. » M. […] Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m’en parlait, et je ne voulus point lui découvrir l’effet que ses beautés avaient fait sur mon âme. » L’amour agit de la même manière sur ces deux jeunes gens. […] Molière, dirigé par l’observation des caractères, avait la merveilleuse propriété de s’identifier avec tous les instincts de l’âme, avec toutes les passions, et de saisir avec un coup d’œil assuré leurs effets naturels, bien qu’il ne les éprouvât pas lui-même.