Le dénouement du Tartuffe restera debout à travers les vicissitudes des empires et les révolutions des âges. […] Cléante s’élevait contre cette humeur chagrine des gens d’un certain âge qui blâment tout ce qu’ils ne peuvent plus faire. […] Il a enrichi l’auteur en le dérobant ; il l’a rendu immortel par le larcin qu’il lui a fait : Scarron est plus célèbre par la scène du Tartuffe que par tous ses ouvrages ; on ne cite plus guère ce burlesque poète que comme le premier mari de madame de Maintenon, et comme l’heureux inventeur d’une scène qui est passée à Molière, comme s’il eût été dans sa destinée de ne s’élever que par ses alliances, et de ne traverser les âges qu’à la suite des grands hommes qui l’ont associé à leur souvenir. […] D’ailleurs Tartuffe n’a pas de prime abord conçu le dessein de suborner la femme, d’épouser la fille et de dépouiller le fils de son bienfaiteur ; il a commencé par bien choisir sa dupe : il a vu un homme riche, dévot, crédule, d’une imagination faible et exaltée ; un mari d’un certain âge ayant de grands enfants d’un premier lit, et une jeune femme pour seconde épouse. […] On conçoit d’ailleurs que l’intolérance religieuse augmentait à mesure que le roi avançait en âge ; l’on peut même s’étonner que les persécutions du Tartuffe n’aient pas recommencé sous les Tellier et sous les Lachaise ; il a fallu sans doute vingt ans de succès pour qu’une glorieuse prescription le mît à couvert de la fureur des faux dévots.