(1801) Moliérana « [Anecdotes] — [93, p. 136-138] »
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(1801) Moliérana « [Anecdotes] — [93, p. 136-138] »

[93, p. 136-138]

1775, Anecdotes dramatiques, tome I, p. 361

Le Festin de Pierre eut peu de succès. La véritable raison fut qu’on ne permit pas à Molière, qui avait purgé le théâtre de tant de folies, d’y reporter lui-même un tissu d’extravagances.

Ce n’est pas qu’il ne plaisante quelque fois agréablement dans les rôles de Sganarelle et de monsieur Dimanche ; mais le tout ensemble n’était pas digne de passer sous la plume de notre auteur, et l’on ne peut qu’applaudir au mot ingénieux de cette femme qui dit à Molière,

votre figure de D. Pèdre baisse la tête, et moi je la secoue.

Il s’éleva contre cette comédie des ennemis d’une nouvelle espèce, et mille fois plus dangereux que les Saumaize*, les Boursault* &c.

La scène d’un pauvre avec D. Juan, dans laquelle Molière avait peint, avec trop d’énergie peut-être, la scélératesse raisonnée de son héros, éleva les clameurs des hypocrites et des faux dévots. Elle fut supprimée à la deuxième représentation.

Voici cette scène très courte que Voltaire nous a donnée, après l’avoir vue écrite de la main de Molière, entre les mains du fils de l’un des amis de notre auteur.

Dom Juan rencontre un pauvre dans la forêt, et lui demande à quoi il y passe sa vie.

Le Pauvre

A prier Dieu pour les honnêtes gens qui me donnent l’aumône.

Dom Juan

Tu passes ta vie à prier Dieu ? Si cela est, tu dois être fort à ton aise.

Le Pauvre

Hélas ! Monsieur, je n’ai pas souvent de quoi manger ?

Dom Juan

Cela ne se peut pas ; Dieu ne saurait laisser mourir de faim ceux qui le prient du soir au matin : tiens, voilà un louis d’or, mais je te le donne pour l’amour de l’humanité.