[59, p. 96-98]
Boileau lut sa deuxième satire adressée à Molière, à quelques amis parmi lesquels était notre illustre comique ; en achevant la lecture des quatre vers suivants :
Mais un esprit sublime en vain veut s’éleverÀ ce degré parfait qu’il tâche de trouver ;Et toujours mécontent de ce qu’il vient de faire,Il plaît à tout le monde et ne saurait se plaire.
Molière, dit à Boileau, en lui serrant la main : voilà la plus belle vérité que vous ayez jamais dite. Je ne suis pas du nombre de ces esprits sublimes dont vous parlez ; mais tel que je suis, je n’ai rien fait en ma vie, dont je sois véritablement content (I)240.
(I) Molière n’avait pas la modestie du citoyen Champagne, auteur d’une mauvaise satire, qui parut il y a environ un an. Quelques journalistes mal intentionnés prétendaient que cette satire ne valait rien. Pour répondre à l’inculpation, le satirique fit imprimer et placarder une affiche longue d’une aune241, où, tout en citant des morceaux de sa satire, il traitait les journalistes d’ignorants et de mauvais connaisseurs, et finissait par avouer avec une candeur d’âme tout-à-fait risible que son écrit était bon, et parfait en son genre. Le public ne partagea pas la tendresse du citoyen Champagne pour l’enfant chéri. On déchira l’affiche, on fit des papillotes de la satire, et depuis ce temps on n’a plus parlé du poète ni de sa satire.242