(1801) Moliérana « [Anecdotes] — [40, p. 69-70 ] »
/ 428
(1801) Moliérana « [Anecdotes] — [40, p. 69-70 ] »

[40, p. 69-70 208]

1705, Grimarest, p. 27-29
1775, Anecdotes dramatiques, tome I, p. 282-283

L’École des femmes éprouva, dans sa naissance, de grandes contradictions. Plapisson, qui passait pour un grand philosophe, était sur le théâtre pendant la représentation ; et à tous les éclats de rire que faisait le parterre, il haussait les épaules et regardait le parterre en pitié, et disait quelquefois tout haut : Ris donc, parterre ! ris donc ! le duc de *** ne fut pas un des moins zélés censeurs de cette pièce. Qu’y trouvez-vous à redire d’essentiel, lui dit un connaisseur ? Ah, parbleu ! ce que j’y trouve à redire est plaisant, s’écria le duc : Tarte à la crème 209 ! Mais tarte à la crème n’est point un défaut, répondit le bel esprit, pour la décrier comme vous faites. Tarte à la crème est exécrable, répliqua le courtisan : tarte à la crème ! bon dieu ! avec du sens commun peut-on soutenir une pièce où l’on ait mis tarte à la crème. Cette expression fut bientôt répétée partout le monde. Molière fit jouer quelque temps après la Critique de l’École des femmes : la tarte à la crème n’y fut pas oubliée ; et quoique ce mot fût déjà devenu proverbe, la raillerie que Molière en fit fut partagée entre ceux qui l’avaient employé. Le seigneur qui en était l’original, fut si vivement piqué d’être mis sur le théâtre, qu’il s’avisa d’une vengeance aussi indigne de sa qualité, qu’elle était imprudente. Un jour qu’il vit Molière passer par un appartement où il était, il l’aborda avec les démonstrations d’un homme qui voulait lui faire caresse. Molière s’étant incliné, il lui prit la tête en lui disant : Tarte à la crème, Molière, tarte à la crème ! Il lui frotta le visage contre ses boutons qui, étant fort durs et tranchants, le mirent en sang. Le roi qui vit Molière le même jour, apprit la chose avec indignation, et la marqua au duc d’une manière assez vive.210