MOLIERE (Jean-Baptiste Pocquelin) poëte comique, étoit fils d’un valet de chambre-tapissier du roi, & nâquit à Paris vers l’an 1620.▶ Il s’est acquis par ses comedies une reputation qui ne mourra jamais. Le nom de sa famille étoit Pocquelin. Après avoir fait ses humanités au college de Clermont à Paris sous les Jesuites, il fut destiné à l’étude du droit, qu’il quitta bientôt, pour suivre le penchant qui l’entraînoit sur le theâtre. Il entra dans une troupe de comediens de campagne, & se fit connoître à Lyon en ◀1653.▶ par sa premiere piece, qui fut l’Etourdi. Quelque tems après, sa troupe fut honorée de la protection de M. le prince de Conti, gouverneur de Languedoc. De Grenoble il vint à Rouen en ◀1658.▶ d’où il vint à Paris, où il obtint la protection de Gaston, fils de France, qui le presenta au roi & à la reine mere. Il joua en presence de leurs majestés, obtint la permission de s’établir à Paris, & de jouir de la salle des gardes dans le vieux louvre. On lui accorda ensuite celle du palais royal, où il joua ses comedies en ◀1660.▶ Il obtint une pension de ◀mille▶ livres en ◀1663.▶ En ◀1665.▶ sa troupe fut arrêtée au service du roi. Il donna avant & depuis ce tems-là, plusieurs pieces dans le veritable goût de la comedie, que nos auteurs avoient negligé, corrompus par l’exemple des Espagnols & des Italiens, qui donnent beaucoup plus aux intrigues surprenantes, & aux plaisanteries forcées, qu’à la peinture des mœurs & de la vie civile. Les plus excellentes pieces de Moliere, sont le Misanthrope, le Tartuffe, les Femmes sçavantes, l’Avare, & le Festin de Pierre. Dans le Bourgeois gentilhomme, le Pourceaugnac, les Fourberies de Scapin, & les autres de cette nature, il a trop donné au goût du peuple, pour les situations & les pointes bouffonnes. Les Précieuses, les Petits Maîtres, & les Medecins, ont été les principaux objets de sa satire. Il étoit aussi bon acteur qu’excellent auteur ; & dans la representation de sa derniere piece, qui fut le Malade Imaginaire, il sembloit s’être surpassé lui-même. Tout malade qu’il étoit, & pressé d’une fluxion sur la poitrine, il entreprit d’y jouer pour la quatriéme sois le ◀17.▶ Février ◀1673.▶ & ne put achever qu’avec de très-grands efforts. Il lui en couta la vie ; car s’étant mis au lit en sortant du theâtre, sa toux redoubla, il se rompit une veine, & mourut le même jour dans sa ◀53.▶ année, ou suivant d’autres, âgé de ◀51.▶ ans & demi. Plusieurs comediens ont essuyé le même malheur & sont morts de maladies, qu’ils avoient gagnées dans la representation du même personnage : on nomme entr’autres, Brecourt & Rosimont. On eut toutes les peines du monde à obtenir qu’il fût enterré en Terre-Sainte. Moliere avoit été fort estimé du roi, qui le gratifia de plusieurs pensions. Il avoit beaucoup profité de l’imitation de Plaute, de Terence, & des Italiens. Plusieurs poëtes s’exercerent sur le genre de mort de Moliere, & firent plusieurs vers. En voici ◀quatre▶ que l’on ne sera peut-être pas fâché de trouver ici.
Roscius hîc situs est tristi Mollerus in urna,Cui genus humanum ludere, ludus erat.Dum ludit mortem, mors indignata jocantemCorripit, & nimium fingere sæva necat.
Nous joindrons à ces vers latins cette épitaphe françoise.
Ci gist qui parut sur la sceneLe singe de la vie humaine,Qui n’aura jamais son égal ;Qui voulant de la mort, ainsi que de la vie,Etre l’imitateur dans une comedie,Pour trop bien réussir, y réussit fort mal :Car la mort en étant ravie,Trouva si belle la copie,Qu’elle en fit un original.
Voyez le jugement que l’auteur des reflexions sur la poëtique a fait de Moliere « Personne, dit-il, n’a porté le ridicule de la comedie plus haut parmi-nous que Moliere ; car les autres poëtes comiques n’ont que les valets pour plaisans de leur theâtre ; & les plaisans du theâtre de Moliere, sont des marquis, & des gens de qualité. Les autres n’ont joué dans la comedie que la vie bourgeoise & commune ; & Moliere a joué tout Paris & la cour. Il est le seul parmi-nous qui ait découvert ces traits de la nature, qui la distinguent & qui la font connoître. Les beautés des portraits qu’il a faits sont si naturelles, qu’elles se font sentir aux personnes les plus grossieres ; & le talent qu’il avoit de plaisanter étoit renforcé de la moitié par celui qu’il avoit de contrefaire. Son Misanthrope, est à mon sens, le caractere le plus achevé & le plus singulier qui ait jamais paru sur le theâtre. Mais l’ordonnance de ses comedies est toujours defectueuse en quelque chose, & ses denouemens ne sont point heureux. »
Sa vie a été donnée au public par M. Grimarest l’an ◀1705.▶ Il ne faut pas confondre ce poëte avec un autre Moliere, qui vivoit l’an ◀1620. & qui a composé diverses pieces de theâtre, la Polyxene, des Epîtres, &c.
* Memoires historiques. Vie de Moliere.