Chapitre LXXIII
le 26 8bre 1811 — 8 heures.
Je n’ai jamais vu d’auberge aussi commode que celle où j’écris ceci. C’est le casin de Benati attenant à l’église.
Je désirais être maître de sortir et de rentrer pendant la nuit. Je prévoyais que cela serait fort difficile : tout s’est arrangé naturellement. J’ai un appartement donnant sur le péristyle de l’église et j’ai là, dans ma poche, la benedetta chiave qui me donne la liberté. M. Belati, frère du curé, m’a amusé, pendant une heure et demie, avec tout le respect possible ; moi, de mon côté, je lui faisais ma cour pour en venir au fait de ma clef, le plus amicalement possible. Je n’ai pas eu besoin de commettre cette imprudence. Ang. en a commis une qui fait bien comprendre la différence de l’amour italien et de l’amour français.
Je suis venu, par un temps horrible, dans ce qu’on appelle une portantine. Cette malheureuse portantine n’était point élégante du tout ; elle était formée de quelques bâtons, d’un carreau, d’un morceau de toile jeté sur les bâtons et d’un parapluie de toile cirée, passé entre les bâtons supérieurs et dont j’avais le manche contre la joue. Je croyais que l’auberge de Belati était à l’extrémité du village, opposée à celle qu’habite Mme P. Cela était vrai de l’auberge ; mais on m’a fait l’honneur de me conduire au Casin ; ma marche éclairée par trois flambeaux et faisant événement ; toute cette clarté passant devant la porte de M. X… à 6 h. 1/2 et sous un passage étroit et obscur, devant la porte particulière of the husband, porte qui s’est trouvée ouverte. J’ai fait le gros dos et enfoncé la tête entre les épaules et ma marche ridicule n’a été aperçue que d’A., qui, un instant après, gone with her son, at my casin ; she had given me a little billet and said que justement on logeait deux religieuses dans la chambre par laquelle je devais entrer, que cependant elle ferait tout ce qui serait possible pour que je vinsse à minuit ; que lundi elle serait à Milan. Elle m’a paru charmante en me disant cela. Voici ce billet qu’elle m’a glissé dans la main :
A mezza notte. La gelosia del marito si evivamente destata. Prudenza ! e preparatetutto per repartire domani mattino.Non più tardi della 7.
Mais il me semble que le billet était écrit avant les maudites religieuses. Dans ce moment, comme j’écrivais les dernières lignes de l’autre page, on est venu, en chantant, à ma porte d’entrée que je n’avais pas pensé à réouvrir après l’avoir fermée en présence de M. Bellati. C’est peut-être le bel Antoine, je la suis sur-le-champ allé ouvrir ; il m’apportait peut-être le contr’ordre d’un rendez-vous en l’honneur duquel j’ai été venté comme au Montcenis.
Mon A. avait raison. Il valait mieux qu’elle vînt. J’ai repoussé cette idée par une considération générale ; je songeais à l’auberge de l’autre bout du village et au temps affreux qu’il fera en effet ce soir à minuit. Il eût été mieux de s’assurer de la position de mon logement.
C’est, au reste, le plus pittoresque et le plus commode que je connaisse pour venir composer une tragédie.
Ce matin j’ai parcouru l’Isola Bella de 8 à 9 heures ; je suis allé déjeuner à Palanza. J’ai été à Laveno à midi ; j’en suis parti sur-le-champ ; arrivé à Varèse à 2 h. 1/2. Je me suis tenu au milieu de l’activité extrême de la cuisine pour lier conversation avec le patron curieux (M. Bonchi), lui conter ma fable de M. de Strombeck, que je cherche partout, et surtout si le mauvais temps n’avait point chassé A.. Tout a réussi assez bien ; je suis parti par un temps de Montcenis à 4 h. 1/4 après une conversation bien écrite, mais assez vide d’idées avec M. l’avocat della chiesa. À moitié chemin pour Saint-Ambroise, j’ai quitté la voiture et pris la portantine.
Vous savez le reste. Me voici, à 4 1/2, solitaire dans mon appartement commode. La tempête et le brouillard venant frapper mes vitres et formant le seul bruit que j’entende avec celui de mon petit feu. Je vais lire un volume d’Ossian qui fait tout mon bagage.