(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXIX, numéro 248, 15 octobre 1907 — Fin du tour d’Italie en 1811 — [Premier extrait] — Chapitre LXII »
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(1907) Articles du Mercure de France, année 1907 « Tome LXIX, numéro 248, 15 octobre 1907 — Fin du tour d’Italie en 1811 — [Premier extrait] — Chapitre LXII »

Chapitre LXII

Je vais extraire aussi le chapitre des mœurs sur lequel M. Long, qui a éprouvé des fortunes diverses et qui, depuis six ans, est employé dans le royaume de Naples, d’une manière active, a fait quelques notes, écrites en quelques instants, pour me faire plaisir. Je lui dois d’excellents traits de caractère sur les Calabrais. Je n’ai fait aucune remarque de ce genre pendant les 5 à 6 jours que j’ai habité Naples. Aussi ces détails peuvent être faux, mais enfin c’est de la fausseté prise à la source et qui doit encore plus ressembler à la nature que ce qu’impriment à Paris des gens qui n’ont jamais vu le soleil de Naples réfléchi dans cette mer charmante.

Le gouvernement de Naples a souvent changé et n’a jamais, je crois, été bien fort. On peut donc y trouver les beaux caractères que fait naître le climat, pas trop courbés par les lois.

Il y avait à Naples, avant la dynastie de Napoléon, des nobles de deux classes. Ceux de la première jouissaient de beaucoup de distinctions. Toutes les affaires, sans exception, étaient faites par 2 ou 3 mille avocats. On voit ces mœurs dans l’opéra de la Molinara, où un baron, qui ne sait pas trop bien écrire dicte une déclaration d’amour à un homme de loi qui se trouve là par hasard. On dit que beaucoup de grandes dames de Naples répondaient ainsi, sur du grand papier et en style officiel, aux lettres aimables qu’on leur écrivait.

À Naples, les hommes sont plus beaux que les femmes. Les femmes de bon ton ont beaucoup de liberté. Elles sortent seules ou avec leurs amants. Ce n’est que parmi les artisans que les maris accompagnent leurs femmes. Il ne tiendrait qu’aux pédants de Naples de se réjouir de ce qu’il n’y a presque pas de filles ; mais c’est qu’elles ne feraient pas leurs frais, vu la grande concurrence (L.).

On voit ce qui doit arriver dans une ville très peuplée, pleine de célibataires et sous un tel climat. Il y a des femmes entretenues qui, comme ailleurs, se contentent de deux amants, dont un riche qui paie et un autre qu’elles ont dessein d’épouser. Les Napolitaines sont les premières épouseuses du monde. Je parle des filles honnêtes. Elles se livrent à tout, excepté the *** (L., confirmé par le Vicomte).

On a beaucoup de domestiques, parce qu’ils n’entraînent pas une grande dépense. (Très vrai et digne de réflexions, sur le caractère général.) Pour peu qu’on veuille être considéré, on ne peut se dispenser d’en avoir. Depuis quelque temps, il est encore possible de sortir, sans laquais, le matin ; mais, vers le soir, cette suite est absolument nécessaire à l’homme de bon ton, qui, d’ailleurs, après dîner, ne peut plus paraître à pied. Ainsi ceux qui n’ont pas de voiture attendent que le soleil soit couché pour sortir sans que leur vanité ait à souffrir. Il y a 30 ans, tout le monde portait l’épée, jusqu’aux laquais : les rois français ont fait tomber cet usage, qu’on commençait à abandonner. On est vêtu à Naples comme à Paris. Cependant il est facile de distinguer un Napolitain d’un Français.