Tome LXIX, numéro 246, 15 septembre 1907
L’Art et l’État au dix-huitième siècle, d’après la correspondance de Cochin et des documents inédits [extraits]
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L’École des élèves protégés qui assurait le recrutement de l’École de Rome placée sous la direction de l’Académie était plus étroitement surveillée. Les élèves, en nombre très restreint, avaient leurs ateliers au Louvre et travaillaient avec les maîtres dans une fructueuse intimité.
Cependant elle souffrait de la détresse financière de l’Académie ; en 1756, Cochin sollicite de Marigny l’ordre de faire partir pour l’Italie les cinq élèves protégés qui doivent remplir les places vacantes à l’école de Rome. Ces élèves étaient : les peintres Fragonard, Monet et Brenet; les sculpteurs d’Huez et Brenet ; la pénurie du budget empêcha leur départ.
« Il y a une année et demie de crédits en arrière »
, écrit Cochin le
26 mai 1761, et Marigny note mélancoliquement en marge de la supplique : « Il
faut tâcher de lui donner de l’argent. »
[…]
Sur Boucher nous n’avons qu’une lettre relative à son fils ; mais elle est importante.
Le fils du grand peintre, Juste-Nathan Boucher, avait commencé par étudier l’architecture sous Blondel et Soufflot. Avec des moyens médiocres, il voulait néanmoins s’essayer à la peinture, mais ne réunissait pas les qualités requises pour être envoyé à Rome. Cochin, pour l’y faire aller, avise Marigny d’un expédient, par un document qui contient toute une théorie curieuse sur l’utilité qu’il y a pour les architectes de ne pas rester trop longtemps en Italie :
Monsieur, dit-il, j’ai vu la part que vous avez bien voulu prendre au déplaisir qu’éprouve M. Boucher en voyant son fils retardé dans ses études et le connaissant d’ailleurs susceptible d’un découragement absolu : il se trouve forcé, s’il ne veut que le crayon lui tombe des mains, de l’envoyer à Rome à ses dépens, ce qui d’une part lui serait lourd à supporter et de l’autre inquiétant, s’il est abandonné à lui-même et hors de l’Académie, j’ay l’honneur de vous proposer un moyen de peu de dépense de donner à M. Boucher une consolation sensible et digne de l’affection dont vous l’honores.
J’ai déjà, en quelques occasions, sans y être poussé par aucun intérêt particulier, eu l’honneur de vous exposer une vérité avouée par M. Souflot et par tous les artistes qui connaissent Rome et le genre d’étude que les architectes y doivent faire ; c’est que les architectes n’ont pas besoin de rester à Rome plus de trois années. Plusieurs raisons militent pour ce sentiment : 1° trois années accordées à un architecte équivalent aux quatre accordées aux peintres et aux sculpteurs, en ce que ces derniers ont une copie à faire pour le Roy ou en marbre ou une peinture qui leur consomme leur quatrième année ; tribut auquel les architectes ne sont point assujettis ; 2° les connaissances que les architectes ont besoin de prendre en ce pays consistent à ramasser dans un portefeuille toutes les choses ingénieuses et de bon goût qu’ils y voyent, recueil qui peut être fait en moins de trois années par un homme studieux; 3° la science des architectes consiste certainement dans le goût et la décoration, et c’est là, quoi qu’en puissent penser ceux qui attachent beaucoup de gloire à la distribution et même à la construction, c’est là, dis-je, ce qui distingue le grand architecte du maître maçon ; c’est là ce qui a été et sera toujours infiniment rare. Cependant, on ne peut nier que l’Architecte qui veut faire usage de ses talents n’ait besoin de beaucoup de connaissances pratiques, relatives aux matériaux de son pays, qu’il n’acquiert point à Rome et qui consomment du temps en prolongeant au delà de trois années son séjour à Rome. Il retarde d’autant cette étude ingrate, en rien nécessaire ; 4° les difficultés qu’éprouvent les architectes à trouver l’occasion d’employer leurs talents et à obtenir la confiance les obligent encore plus à ne point rester trop longtemps éloignés. C’est en partie ce qui a été cause que toute l’école ancienne n’a point cherché à faire de voyage. Laissons-les aller à Rome, disaient-ils, pendant cet intervalle nous ferons des connaissances utiles, nous obtiendrons les ouvrages, et ces Romains, avec leur goût antique, ne sauront où se placer. C’est pourquoy il est important aux architectes que leur absence par le séjour de Rome ne soit pas trop longue.
Cela prouvé, j’ay l’honneur de vous supplier de fixer le séjour des architectes à Rome aux trois années, qui leur sont suffisantes, de l’aveu de tous les architectes consommés.
Il en résultera plusieurs avantages. Cette quatrième année, dont par cet arrangement vous pourrez disposer sans intervertir l’ordre établi, vous mettra à portée, sans qu’il en coûte rien au Roy, des places de grâce, dont vous gratifierez des sujets dignes d’attention et à qui ce secours peut être utile, quoique leur genre de talent ne soit pas de nature à concourir aux prix. Tels étaient MM. Greuze, Robert, peintres d’architecture, et tels sont le Paon, peintre de batailles, si ses talents achèvent de se développer, et le jeune Bertrand dans la supposition que ses dispositions éclatantes pour le dessin ne le conduisent pas à la peinture d’histoire. Et dans le cas où il ne se rencontrerait pas de ces vocations qui cependant sont assez fréquentes, vous seriez à portée de gratifier de prolongation les pensionnaires de qui vous recevriez des témoignages favorables.
Je viens au moyen que cela vous donnerait d’accorder à M. Boucher une grâce à laquelle il serait fort sensible. Vous pourriez accorder à son fils une place de pensionnaire qui serait composée en partie de ces quatrièmes années. L’ordre qui, il y a quelques années, était tout à fait troublé, et qu’il a fallu rétablir, n’a pas encore permis que les architectes (excepté un seul) ayant eu quatre années, ceux qui y sont, par les restes de ce désordre, sont dans le cas que l’année 1765 n’est que leur troisième année ; mais par ce même ordre rétabli, tous auraient commencé en 1766, successivement, à jouir de cette quatrième année, qui leur est superflue. Quelques-unes de ces quatrièmes années à commencer à l’automne 1765 pourront faire une place de pensionnaire à Boucher le fils et, dans la suite, à d’autres, sans que la dépense ordinaire de l’Académie en soit augmentée.
Mais comme ce serait reculer bien loin Boucher le fils, que de remettre à le faire jouir de cette grâce à deux ans d’icy où on commencerait le bénéfice de ces quatrièmes années, je vous supplie, Monsieur, de vouloir bien accorder cette faveur à la considération d’un père célèbre par ses talents, et que d’ailleurs vous affectionnez, en ordonnant que son fils parte dès l’automne de l’année prochaine et lui accordant pour cet effet pendant la première année qui s’écoulera une pension de gratification, ainsi que vous avez déjà bien voulu faire pour quelques autres. Cette dépense sera très peu considérable pour le Roy et sera un soulagement pour M. Boucher qui, joint à la satisfaction de savoir son fils à l’Académie, lui donnera lieu de connaître le plaisir que vous prenez à lui faire du bien. Je suis, etc.
COCHIN.
Ce 1er septembre 1763.
C’était, en somme, une illégalité ; elle trouva grâce aux yeux du surintendant. Par décision du 8 octobre 1763, le séjour des élèves architectes fut réduit à trois années. « Boucher le fils » fut nommé pensionnaire extraordinaire et Marigny le recommanda particulièrement à Natoire.
Le 10 mai 1754, il y avait un an que Fragonard était élève de l’École des Élèves protégés ; en 1756, il était parti pour Rome. À son retour, son mérite commença à se faire jour et Cochin se sentit pris pour lui de la plus vive sympathie.
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Lettres allemandes.
Memento [extrait]
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M. Joseph Hofmiller publie une étude sur l’abbé Galiani. Dans une note il se demande comment Nietzsche a pu être amené à appeler le spirituel napolitain « l’homme le plus malpropre de son siècle ». Or, dans la préface de l’édition Asse se trouve la phrase suivante : « Cet Italien était d’une salacité qui surpassait tout ce que l’on a connu en France dans ce genre. » Le mot salacité, qui était inconnu à Nietzsche, pense M. Hofmiller, éveilla chez lui l’idée de sagacité et de saleté.
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