Tome XLI, numéro 145, janvier 1902
Musique.
Concerts [extrait]
De▶ M. Raoul Brunel il est permis ◀de▶ tout discuter. Lui est un débutant, un inconnu dans le monde ◀de▶ la musique, et grande dut être la stupéfaction des membres du jury au concours ◀de▶ la Ville ◀de▶ Paris lorsqu’ils surent que le lauréat auquel ils venaient, si judicieusement, ◀d’▶accorder une mention était élève ◀de▶ lui-même, et ne se réclamait ◀d’▶aucun maître, ◀d’▶aucune école, ◀d’▶aucune chapelle ou sacristie musicales ! L’événement est, je crois, exceptionnel.
Sans doute certains défauts ◀de▶ La Vision du Dante s’en trouvent éclairés : l’abus du chromatique et des accords ◀de▶ quinte augmentée dans l’Enfer, le gaspillage des oppositions et des effets sonores, le peu de recherche des éléments thématiques… Mais les qualités nombreuses ◀de▶ cette partition éclose ainsi spontanément doublent dès lors ◀de▶ valeur, et deviennent même inexplicables. La sûreté dans le choix des timbres, la hardiesse heureuse ◀de▶ certaines combinaisons ◀d’▶instruments, que ne désavouerait certes pas un musicien ◀d’▶expérience, prouvent en tout cas que M. Raoul Brunel est doué ◀d’▶une manière peu commune. On n’oserait affirmer que son début est un coup ◀de▶ maître, mais certes ce n’est pas ◀d’▶un élève, et le nouveau venu en pourrait remontrer à plus ◀d’▶un qui, volontiers, le taxerait ◀d’▶amateur parce qu’il n’a été couvé dans aucun conservatoire.
Art moderne.
Société internationale ◀de▶ Peinture et ◀de▶ Sculpture
[extrait]
L’émerveillement s’éveille aux Venise silencieuses, harmonieuses ◀de▶ M. Morrice. Après les véridiques études du vieux Canaletto et les indications ◀de▶ Manet, les tableaux ◀de▶ M. Morrice me paraissent seuls rendre quelque chose ◀de▶ la ville ◀de▶ la lumière voluptueuse. Il ne faut pas s’arrêter aux déclamations violentes ◀de▶ M. Ziem : c’est ◀de▶ la surface embrasée, une virtuosité ◀de▶ joaillier en délire, non dépourvu, au reste, ◀de▶ certaines qualités romantiques et louables, cela peut flatter parfois le regard distrait, cela ne pénètre pas. Canaletto, discrètement, aime et connaît bien sa ville, il en traduit avec une ferveur et une sensibilité tendres la couleur foncière, fondamentale, et certes par lui on se fait une sûre et chantante idée ◀de▶ la cité sur la lagune. Ce qui manque le plus à ses tableaux, c’est un passage ◀de▶ la vie, non tumultueuse dans ses fêtes comme au Louvre encore dans les F. Guardi, mais ◀de▶ ce qui toujours a constitué à Venise et y constitue encore la vie véritable, le frémissement, la palpitation ◀de▶ la couleur sous les lumières reflétées. Cela, aux temps anciens, on s’en rend compte au Musée ◀de▶ l’Académie, fut parfaitement connu des vieux et prodigieux Carpaccio et Bellini. Les procédés ◀de▶ métier se sont modifiés, l’émotion à exprimer est ◀d’▶une autre nature, sans doute, mais la pénétration du sens ◀d’▶un paysage ne change pas. M. Morrice a été troublé, influencé comme les vieux maîtres, et s’il a délaissé le souci légendaire aussi bien que le goût des somptuosités propre aux époques plus récentes, Venise lui a parlé ◀d’▶une voix authentique et spontanée, Venise apparaît et se meut dans son œuvre.
Ici plus rien, j’en ai vu des touristes surpris, ◀de▶ bariolé ni ◀d’▶éclatant. Les couleurs s’unissent et se fondent, une harmonisation délicate s’est établie. C’est que, pour qui a bien contemplé la ville, la crudité des ciels ◀de▶ cobalt, des façades roses, du marbre éblouissant et des mosaïques au porche ◀de▶ Saint-Marc n’existe pas. Il y a deux éléments dont, Canaletto excepté, les peintres ◀de▶ Venise n’ont guère tenu compte : la lumière et l’eau — leur étrange mariage. Les reflets ne s’y font jamais, comme on l’a trop représenté, des pierres à l’eau, au contraire par pierreries chatoyantes et vibrantes, la lumière emplit ◀de▶ sa danse l’atmosphère, elle plonge en l’accueil joyeux des canaux et c’est alors ◀de▶ là qu’elle se répercute par échos frémissants aux quais et aux murs dont elle transforme et lie, pour ainsi dire, l’aspect, sinon, disparate.
M. Morrice nous apporte ce secret essentiel, et c’est pourquoi Venise en ses toiles vit et nous émeut, c’est pourquoi, en ◀d’▶expressives tonalités, en des accords ◀de▶ lumière et ◀de▶ couleurs, M. Morrice nous montre des toiles aussi largement belles que son coin du grand Canal, ou l’aspect si divers, rose et argentin, ◀de▶ Venise l’après-midi, ou bleu et or noirci, le soir.
Variétés.
Les tendances actuelles du théâtre en France [extrait]
Sous ce titre, la revue italienne Flegrea publiait dernièrement, en français, un remarquable article ◀de▶ M. Georges Polti. il serait bon que ce morceau ne passât pas inaperçu eu France, car rarement coup d’œil plus incisif a été jeté sur l’état ◀de▶ notre littérature dramatique. […]
Échos.
« Les Latins »
C’est le 14 janvier prochain, au Nouveau Théâtre, que « les Latins » inaugureront leur saison dramatique. Sur la demande ◀de▶ leurs souscripteurs et amis, ils donneront Alleluia, le drame ◀de▶ Marco Praga (Arco Lecuyer), que créa Novelli, et La Sotie ◀de▶ Bridoye, ◀de▶ Laurent Tailhade et Raoul Ralph. Empruntée au domaine ◀de▶ la psychologie contemporaine, Alleluia est une pièce moderne, accusant ◀de▶ violents contrastes dramatiques. Elle sera représentée selon les indications scéniques ◀de▶ M. Bour, qui en jouera le principal rôle. La Sotie ◀de▶ Bridoye, qui, sous une forme très lyrique, offre un mélange ◀de▶ farces rabelaisiennes, sera créée par M. P. Bernard (rôle ◀de▶ Panurge) et Mme Lola Noyr. Après une série ◀de▶ représentations ◀de▶ ce spectacle à Bruxelles, à Liège, à Amsterdam, et aussi dans les principales villes méridionales, « les Latins » donneront en seconde soirée Le Chien du Jardinier, ◀de▶ Lope de Vega (mise en scène ◀de▶ M. Gual) et une reconstitution intégrale ◀de▶ La Mandragore ◀de▶ Machiavel, telle qu’elle fut jouée devant la cour papale ◀de▶ Léon X. D’autres œuvres suivront, constituant un répertoire. Ce sont : L’Alcade ◀de▶ Zalamea, ◀de▶ Calderon, avec le concours ◀de▶ M. de Max ; Bilora, ◀de▶ Ruzzante, traduit du vénitien par L. Zuccoli et Ephrem Vincent ; Le Veuf, ◀de▶ Gil Vicente, et Frey Luiz de Souza, ◀d’▶Alméida de Garrett, œuvres portugaises traduites par Ephrem Vincent et par Maxime Formont ; Les Réprouvés, ◀de▶ Perez Galdos, et Le Roi de Nirvanie, le drame ◀de▶ R. Carafa d’Andria récemment interdit par la censure italienne, et où l’auteur étudie curieusement l’influence des philosophies du Nord sur l’âme des races latines. On souscrit pour les cinq représentations à l’Administration des « Latins », 20, rue Victor-Massé, Paris-IXe ; direction et administration : Ch. Vayre ; direction littéraire : Ad. van Bever ; secrétariat général : Raoul Ralph ; régie : Buisson.
Tome XLI, numéro 146, février 1902
Pamphile ou l’été voluptueux [extrait]
[…]
— Je me plais à imaginer que ce théâtre servit à représenter quelque Surprise ◀de▶ l’Amour et que la Sylvia ◀d’▶une troupe italienne en voyage dansa dans ce site champêtre, en robe vert ◀d’▶eau, tandis que, du haut ◀d’▶un rocher, le Dieu Momus la regardait à la dérobée. Si j’en crois le pastel ◀de▶ La Tour, le tableau ◀de▶ Lancret et surtout l’exquis portrait ovale ◀de▶ Carle Vanloo, la Sylvia eut un peu de votre air ◀de▶ visage. Il vous serait facile, un jour, ◀de▶ nous ressusciter ici même quelque fête galante…
La Verdure et Mme de Ponticello s’assirent dans une loge du théâtre du verdure, lequel était une curiosité ◀de▶ la terre des Aygalades.
Devant eux, une haie basse ◀de▶ lauriers-tins, destinée à cacher le souffleur et les musiciens, séparait la scène du parterre tapissé ◀de▶ gazon. ◀De▶ l’autre côté ◀de▶ la scène, des cyprès taillés aux ciseaux formaient le corridor des acteurs, les coulisses et les portiques.
Le ciel, bleu tendre, pommelé ◀de▶ nuages blancs et violâtres, brillait à travers le bronze des cyprès que couronnaient les masses arrondies des pins parasols. Des collines ◀de▶ l’horizon montait déjà la vapeur dorée du soir. Une brise enjouée parcourait le jardin, portant aux plis ◀de▶ sa robe les parfums confondus des sainfoins et ◀de▶ la marjolaine.
Le maire s’approchait, fumant un cigare ◀de▶ luxe.
— Je vous laisse avec lui, dit Mme de Ponticello. Et elle disparut assez mystérieusement entre les arbres.
Le jeune Pamphile errait non loin de là, regardant sans but autour de lui, inconsciemment fasciné par la beauté ◀de▶ la lumière et la tranquille douceur du jour finissant. Le bruit ◀de▶ ses pas était assourdi par le tapis continu dont les aiguilles tombées des pins couvraient le sol. Il crut entendre un léger murmure ◀de▶ source, il se pencha, regarda et vit rose. Jamais, fût-ce à Bruxelles, jamais artiste n’avait imaginé un aussi audacieux, réjouissant et troublant motif ◀de▶ fontaine. Mme de Ponticello, qui, ce jour-là, à cause de la chaleur, n’avait pas ◀de▶ pantalon, sentit ce regard ardent sur sa nudité ◀d’▶une minute. Elle tourna la tête, aperçut Pamphile…
Au même instant, Bornollet et La Verdure, assis côte à côte dans la loge rustique, entendirent un cri et virent Mme de Ponticello jaillir ◀de▶ l’un des portiques ◀de▶ la scène et s’arrêter, interdite, en deçà de la haie ◀de▶ lauriers-tins.
— Qu’est-ce ? Qu’y a-t-il ? s’écrièrent les deux hommes accourant vers elle.
— Rien, rien, répondit-elle en riant. J’ai eu peur.
— C’est bête. Laissons cela, je vous prie. Votre bras, monsieur La Verdure.
— Ce doit être un serpent, conclut Bornollet. Il ne faut pas en être effrayée, Madame. Nous n’avons ici que la couleuvre à collier, tropidonotus natrix, reptile inoffensif et qui se plaît dans les lieux humides.
Bornollet s’occupait ◀d’▶histoire naturelle. Tandis que La Verdure et la comtesse se dirigeaient vers ta maison, il s’attardait à cueillir et à examiner des insectes.
— Quelle peur vous avez eue ! dit La Verdure, rompant tout ◀d’▶un coup le silence. Un instant j’ai pensé que le dieu Momus, qui depuis si longtemps vous guettait, vous avait enfin surprise. Mais, non, avec vos cheveux sombres et vos yeux éperdus, vous ressembliez plutôt à l’Eurydice de Politien :
Ella fuggiva l’amante Aristeo :Ma quando fu sopra la riva giunta,Da un serpente velenoso e reoCh’era fra l’erba e’ fior, nel piè fù punta.
— Votre curiosité n’est pas satisfaite. Je le vois.
— C’est que j’aperçois là-dessous quelque mystère.
— Un mystère ? Tenez, je vais tout vous dire.
Aussi bien, ce jeune homme n’aura-t-il rien de plus pressé que ◀de▶ vous raconter la chose.
En une minute, La Verdure connut l’incident.
— Cela n’a aucune importance, ajouta Mme de Ponticello. M. Pamphile est presque un enfant. Je pourrais être sa mère.
Comme il doit penser à vous ! Cette entrevue, antique par sa simplicité et son réalisme, divinisée par la splendeur ◀de▶ l’heure et la magnificence du décor, doit marquer ◀d’▶une empreinte ineffaçable une jeune âme voluptueuse.
— Croyez-en le vieux coquard que je suis. Je conserve encore le souvenir vivace des cuisses brillantes et dodues ◀d’▶une jeune paysanne, aperçues par moi lorsque j’avais quinze ans. La belle fille se coulait du haut ◀d’▶un talus en glissant sur le dos. Une ronce sournoise accrocha sa jupe si bien qu’elle acheva ◀de▶ descendre, nue jusqu’au ventre comme la statue ◀de▶ l’Impudeur.
— Vous étiez précoce.
[…]
Les Romans.
Emilio de Marchi : L’Accusateur imprévu,
Hachette, 3,50
L’Accusateur imprévu, par Emilio de Marchi, ou le dramatique roman du chapeau ◀d’▶un curé. Admirablement conduite, cette histoire terrible est très attachante et peut bien donner des songes aux assassins qui lisent des romans. Il y en a.
Lettres italiennes
Francesca da Rimini, par Gabriele d’Annunzio
Il ne serait pas trop difficile ◀d’▶écrire sur Francesca da Rimini une critique nourrie et savante, tout simplement avec le résumé des articles innombrables qui ont paru ce mois-ci sur la tragédie ◀de▶ ◀D’▶◀Annunzio▶. Mais je dois avouer que je ne les ai pas lus, ce qui compliquerait énormément ma tâche ◀de▶ chroniqueur si, en prévoyant cette paresse habituelle pour les articles ◀de▶ mes confrères, je n’avais pas eu la bonne idée ◀d’▶assister à la première ◀de▶ Francesca, jouée à Rome le 9 décembre passé. Les lecteurs des principaux journaux parisiens ont été renseignés sur le succès orageux ◀de▶ cette première, le revirement ◀d’▶opinion et l’accueil chaleureux qui salua l’œuvre ◀de▶ ◀D’▶◀Annunzio▶ aux représentations successives.
En effet, le défaut capital ◀de▶ cette tragédie est en dehors du talent et des altitudes théâtrales ◀de▶ l’auteur. Il n’y a pas en Italie une personne ◀de▶ culture moyenne qui ne connaisse par cœur l’épisode ◀de▶ la Francesca dans la Divine Comédie. J’ai entendu débiter ces vers la dernière fois par un garçon ◀de▶ café dont la culture était décidément au-dessous de la moyenne la plus discrète. Vous voyez la scène d’ici. Nous étions au bord de la mer, près de Pise, sur la terrasse ◀de▶ l’établissement des bains : le garçon me servait une tasse ◀d’▶un liquide noir et chaud, abominable ; on voyait au loin la Capraja et la Gorgona, et il se laissa emporter par le souvenir du comte Ugolino, et rapidement, puisque j’écoutais sa déclamation, il en vint à Paolo et Francesca ; le plateau à la main, la serviette sous l’aisselle, soudainement attendri par les deux immortels adultères, il m’en raconta l’histoire avec les vers ◀de▶ Dante. Je crois même que, enthousiasmé par cette divine musique, le garçon m’exposa, avec la concision qu’exigeait son service, tout un plan ◀d’▶esthétique dont j’aurais pu tirer des avantages considérables si j’avais su me le rappeler. Mais quant à la Francesca, le garçon et moi nous étions parfaitement d’accord : le dernier mot a été dit, la passion coupable a été divinisée par un grand poète, et il n’y a plus rien à faire là-dessus.
Gabriele d’Annunzio n’a pas été ◀de▶ notre avis, et, comme Silvio Pellico, il a cédé à la tentation ◀d’▶ajouter un mot à la parole suprême ◀de▶ Dante : la tragédie naissait donc avec un défaut ◀d’▶origine, vis-à-vis duquel toutes les beautés dont le poète a su parsemer son œuvre, ne pouvaient pas atteindre leur but.
Je manquerais à mon objectivisme en oubliant ◀de▶ noter que très souvent, si non toujours, ◀d’▶◀Annunzio▶ a touché ◀de▶ près la perfection littéraire et dramatique ; rien de plus délicat que ce troisième acte, où la lecture ◀d’▶un livre ◀d’▶amour fait tomber
Francesca dans les bras ◀de▶ son beau-frère : rien de plus puissant que ce quatrième acte, où Malatestino dénonce l’adultère au mari.
Les figures ◀de▶ Gian Ciotto (Jean le boiteux), ◀de▶ Malatestino et ◀de▶ Ostasio (le mari, le beau-frère et le frère de Francesca) sont formidables. ◀D’▶◀Annunzio▶ est italien jusqu’à la moelle des os, et toute la vie italienne factieuse, vindicative, farouche, impitoyable, ◀de▶ cette admirable époque ◀d’▶amour et ◀de▶ batailles est réellement là, sous nos yeux : un souffle ◀de▶ guelfisme agite ces figures ◀de▶ guerriers infatigables. Malatestino, le jeune homme à l’œil crevé, est un bel exemplaire ◀de▶ la férocité ◀de▶ ces jours ; il tremble ◀de▶ plaisir impatient à l’idée seule ◀de▶ la vengeance ; le plus beau cadeau qu’on puisse lui présenter c’est encore la tête ◀de▶ ses ennemis, et si le cadeau tarde, c’est lui-même qui pense à se le procurer. Malheureusement lorsqu’il aborda ses figures principales, ◀d’▶◀Annunzio▶ ne put maintenir cette même envergure : son Paolo est mou et gauche : sa Francesca doit être née aux environs ◀de▶ notre siècle ; elle a toute l’allure ◀d’▶une femme névrotique et vicieuse, tandis que Paolo semble un ◀de▶ ces libertins cérébraux qui séduisent une dame pour se pavaner avec les amis du cercle. Rien ◀de▶ cette passion charnelle, aveugle et fatale, que Dante sculpta immortellement en quelques tercets. Et cette absence ◀d’▶impétuosité sensuelle devient plus étrange lorsqu’on pense que l’œuvre ◀de▶ ◀D’▶◀Annunzio▶ est toute vibrante ◀de▶ désir sexuel et ◀de▶ perversions amoureuses.
Au demeurant je crois que les mérites et les défauts n’ont pesé que bien relativement sur le succès ◀de▶ la tragédie. C’est que le drame passionnel n’avait rien ◀d’▶imprévu pour le grand public et le dénouement était obligé et les épisodes parfaitement connus. Ce qui est invention ne pouvait pas trouver place parmi ces scènes que l’histoire et la légende nous racontèrent mille fois : au troisième acte il fallait absolument que Francesca tombât, au cinquième qu’elle mourût avec Paolo. Alors, on trouva gênant et énorme ◀de▶ rester au théâtre ◀de▶ 9 heures du soir à 2 heures du matin pour n’éprouver aucune émotion inattendue, et ce sentiment ◀d’▶inutilité finit par avoir raison des mérites littéraires et dramatiques ◀de▶ la pièce. Et en effet, Gianciotto, Ostasio, Malatestino, les figures nouvelles ou rues sous une nouvelle lumière intéressèrent seules le public, qui probablement se disait que « tout le reste n’est que littérature ».
Puisque je suis en train de faire, plutôt que l’analyse ◀de▶ la pièce, la psychologie du public, il est bon ◀de▶ remarquer que l’attente pour la première, renvoyée deux fois, atteignit des proportions incroyables. ◀D’▶◀Annunzio▶ peut se vanter ◀d’▶avoir paralysé jusqu’aux travaux ◀de▶ la Chambre, qui ce 9 décembre était distraite, nerveuse et bavarde plus que ◀de▶ coutume, car Francesca occupait les représentants ◀de▶ la nation mieux que les discours des Ministres. Avec une opposition plus alerte, on aurait pu tenter un coup de main et renverser le Ministère, ce qui aurait été le seul et vrai bénéfice ◀de▶ l’adultère ◀de▶ Francesca Je remarque tout cela pour mon plaisir, le plaisir ◀d’▶un artiste qui voit l’Art dépasser toute autre préoccupation et prendre place à la tête des affaires les plus importantes du pays.
Grâce aux soins scrupuleux ◀de▶ ◀D’▶◀Annunzio▶ et ◀de▶ Duse, la mise en scène était parfaite ; le gros public trouva en ces détails minutieux quelque chose de plus excitant que dans les détails littéraires ◀de▶ l’œuvre : le second acte, qui présente au premier plan une scène ◀d’▶amour entre Paolo et Francesca, et au second une vraie bataille, avec ◀de▶ vraies machines ◀de▶ guerre qui vomissent ◀de▶ vrais projectiles, menaça ◀de▶ sombrer, car la bataille et les coups de feu réclamaient toute l’attention, et ces deux personnages sur l’avant-scène paraissaient des intrus dont les soupirs gâtaient l’effet du fond. L’homme gâte le paysage, c’est connu. Puis il y avait les toilettes ◀de▶ Francesca, d’après les documents et les monuments ◀de▶ l’époque, puis encore les armures des guerriers, et les habillements ◀de▶ Paolo à la mode ◀de▶ France (il était snob, celui-là) et les joyaux et les armes et les meubles et les jolies femmes de chambre… Je me figure ce que les Américains da Nord, ces rastaquouères ◀de▶ l’histoire, raffoleront à la vue de toutes ces choses anciennes, dont plusieurs, comme les étoffes et les joyaux, ont l’âge qu’elles paraissent ! (Les jolies femmes de chambre aussi.) Mais tout en reconnaissant que ces soins sont dignes ◀d’▶un artiste exquis, il est nécessaire ◀d’▶ajouter que l’Art ne s’arrête pas là, car le roi ◀de▶ l’anachronisme s’appelait Shakespeare. Comme effort et comme exemple il faut en tenir compte, comme moyen ◀d’▶impression il faut que ◀d’▶◀Annunzio▶ s’en garde ; à la longue, le public, toujours un peu bête lorsqu’il est au théâtre, pourrait prendre une pièce ◀de▶ ◀D’▶◀Annunzio▶ pour un bazar ◀d’▶antiquités. La mise en scène ◀de▶ la Francesca a joué un trop grand rôle dans l’attente générale et, malheureusement, le coup d’œil dépassa l’attente ; on avait trop ◀de▶ choses à voir, à admirer, à étudier et à apprendre : les détails parfois cachaient l’ensemble.
Le résultat ◀de▶ toutes ces circonstances mal calculées c’est que le public impartial n’a pas pu prononcer un jugement définitif et il attend, pour ce qui est des beautés poétiques et littéraires, ◀d’▶avoir sous les yeux la Tragédie, qui paraîtra, comme ◀d’▶habitude, à la Maison Treves, ◀de▶ Milan.
Partout en Italie où elle a été jouée la pièce ◀de▶ ◀D’▶◀Annunzio▶ souleva des discussions passionnées : au moment où j’écris, arrive la nouvelle que les cléricaux ◀de▶ Gênes ont refusé le théâtre Carlo Felice pour la représentation, Francesca da Rimini étant une œuvre inconvenante et malhonnête. J’aime beaucoup les cléricaux, en général, mais je les adore lorsqu’ils jugent ◀d’▶art et ◀de▶ littérature ; c’est aux cléricaux que nous sommes redevables ◀de▶ la feuille ◀de▶ figuier, par laquelle les jeunes filles innocentes croient que l’homme appartient au royaume végétal. Et quelles émotions lorsqu’elles s’aperçoivent ◀de▶ la vérité !
Les Poésies complètes ◀de▶ Giosuè Carducci
Le nom ◀de▶ Giosuè Carducci est le seul aujourd’hui, parmi les vivants, qui impose chez nous l’admiration et le respect sans exception. Ce volume ◀de▶ la Maison Zanichelli de Bologne, qui présente toutes les poésies ◀de▶ Carducci depuis 1830 jusqu’à 1900, vient ◀d’▶avoir un accueil ◀d’▶enthousiasme qui réchauffe les âmes : cinquante ans ◀d’▶art, ◀de▶ batailles, ◀d’▶amours, ◀de▶ douleurs, passent sous nos yeux en ces quelques milliers ◀de▶ pages. L’Italie peut saluer son plus grand poète vivant, le plus grand peut-être du xixe siècle après Leopardi, et son plus fier artiste. Car il n’a connu que le travail dur et opiniâtre, les haines ◀de▶ plusieurs imbéciles dont personne ne saurait plus rappeler le nom, les polémiques vigoureuses, les dédains violents. Il a dédaigné la réclame, les querelles des littérateurs, les mesquinités ◀de▶ la vie publique, le bruit ◀de▶ la foule, les admirations des snobs, les jalousies des impuissants ; il a vécu et il vit libre, seul, et son travail est toute sa vie.
Que ◀de▶ tout cela la gloire soit un jour sortie, pure et lumineuse, c’est logique, mais Giosuè Carducci semble l’ignorer, car il travaille encore, simplement, loin des tapages et il est aujourd’hui encore l’homme droit et modeste ◀de▶ ses premiers jours ◀de▶ bataille.
En une semaine l’édition des Poésies complètes, 10 000 exemplaires, a été épuisée.
Chopin, par Angiolo Orvieto
Georges Sand dans l’Histoire ◀de▶ ma vie écrivait à propos de
Chopin : « un jour viendra où l’on orchestrera sa musique sans rien changer à
sa partition ◀de▶ piano… »
Ce vœu est désormais accompli par les soins ◀de▶ deux
Italiens, le poète Angiolo Orvieto et le maestro Giacomo Orefice, qui firent jouer à
Milan un opéra en quatre actes, Chopin, dont le succès se déclara dès la première
représentation et augmenta les soirées suivantes. La critique musicale étant hors de
mes attributions, je me borne à signaler l’accueil flatteur que l’opéra du maestro
Orefice rencontra constamment ; mais je dois remarquer toutes les beautés poétiques et
littéraires qui font du drame imaginé par le poète Angiolo Orvieto un petit
chef-d’œuvre du genre. Cet écrivain était connu et sérieusement apprécié par ses vues
personnelles et délicates. La Sposa Mistica, Il velo di Maya, Verso
l’Oriente ; tellement que sa collaboration à une tentative artistique ni
difficile a été saluée par la critique la plus morose comme un gage ◀de▶ succès. En
effet, cette idée hardie ◀d’▶exposer en quatre actes les points culminants ◀de▶ la vie du
grand Polonais (Pologne, 1826, Paris, 1837, Majorque, 1839, Paris, 1849) ne pouvait
trouver en Angiolo Orvieto qu’un exécuteur plein ◀de▶ finesse et ◀de▶ tact. Il a fait du
« libretto » un vrai poème, ◀d’▶une naïveté limpide et exquise : lorsqu’on pense que
cette poésie a été appliquée aux thèmes musicaux ◀de▶ Chopin, on s’étonne ◀de▶ la liberté
et ◀de▶ la maîtrise dont l’auteur a fait preuve. C’est M. Orvieto non moins qu’au
maestro Orefice que l’opéra doit son originalité aristocratique, qui la distingue si
nettement des pièces à tiroirs et la place parmi les œuvres d’art sérieusement pensées
et noblement exprimées. J’ai plaisir ◀d’▶affirmer ces vérités simples parce qu’il me
serait impossible ◀de▶ ne pas remarquer qu’une tentative ◀de▶ ce genre n’a aucune chance
◀de▶ réussir, en général, si elle ne se confie pas aux soins ◀de▶ deux artistes
profondément sensibles et religieusement dévoués à l’art.
Les Revues
On signale depuis quelque temps un progrès frappant dans les Revues littéraires. M. Maggiorino Ferraris, propriétaire ◀de▶ la Nuova Antologia, a compris qu’il ne pouvait pas mettre d’accord ses occupations politiques avec les soins infinis qu’une Revue exige tous les jours, et il a confié la direction ◀de▶ la Nuova Antologia à M. Giovanni Cena, fort connu en littérature par ses poésies. Le nouveau Directeur, dont le goût et la modernité sont hors de discussion, apportera à cette ancienne Revue ce souffle ◀de▶ jeunesse et cet esprit ◀d’▶art qui depuis quelque temps se faisaient trop désirer. Le choix ◀de▶ M. Ferraris est excellent, et le public et les auteurs ne peuvent que s’en féliciter et en attendre les meilleurs résultats.
À son tour, M. Riccardo Quintieri, propriétaire et directeur ◀de▶ la Rassegna Internationale, vient ◀d’▶établir sa revue à Rome, en lui donnant un essor extrêmement vigoureux : il compte dans sa rédaction les plus beaux noms des écrivains modernes : je cite, au hasard ◀de▶ la mémoire, ◀d’▶◀Annunzio▶, ◀de▶ Gourmont, Rudolph Lothar, Mme Pardo-Bazan, Eekhoud, Bracco, sans compter une foule ◀de▶ collaborateurs internationaux ◀de▶ marque. La revue, enrichie dans sa dernière transformation par des rubriques ◀d’▶un intérêt général, embrasse actuellement le mouvement entier des arts, des lettres, ◀de▶ la science et ◀de▶ la politique. Ces modifications profondes n’ont pas manqué ◀de▶ porter toute l’attention du public sur cette revue si jeune et si puissante, et puisque le directeur est doué ◀de▶ talent, ◀de▶ goût et ◀de▶ courage, on prévoit que l’avenir le plus flatteur est réservé à sa création. La rédaction ◀de▶ la Rassegna Internazionale constitue désormais, à Rome, un centre intellectuel, où les personnages ◀d’▶élite ne manquent pas ◀de▶ s’arrêter à leur passage dans la capitale.
Outre La Lettura et Natura ed Arte à Milan, le Marzocco, à Florence, Flegrea à Naples, d’autres revues sont en formation à Rome et à Milan qui vont paraître prochainement avec un programme ◀d’▶art et ◀de▶ littérature assez aristocratique. Cette floraison, provoquée par des hommes pratiques, froids, experts, décèle un mouvement intellectuel en ascendance qui caractérise le moment actuel. Vis-à-vis de cette nouvelle orientation, je ne sais pas trop quel sort est réservé au livre, traqué comme une bête fauve entre le journal et la revue. Mais ma chronique est si longue que j’attends une heure plus propice pour m’attendrir sur la destinée des volumes prochains, les miens compris.
Tome XLI, numéro 147, mars 1902
Les Romans.
Dimitri Merejkowski : La Résurrection des dieux,
Perrin, 3,50. — Le Roman ◀de▶ Léonard de Vinci, Calmann-Lévy,
3,50
La Résurrection des dieux (ou Léonard de Vinci), par Dmitri Merejkowski, traduit par M. Persky, et Léonard de Vinci (ou la Résurrection des dieux), par le même, traduit par J. Sorrèze. Ceci me semble une effroyable plaisanterie ◀de▶ libraires que je signale à tous les forçats ◀de▶ la chronique des livres en les engageant à faire comme moi. Dans le doute : signaler les deux volumes sans les ouvrir. Le meilleur, c’est que j’en ai lu un malgré ma bonne volonté à ne pas être honnête. Seulement, je ne me rappelle plus lequel, tant ils se ressemblaient ! Je dois les avoir lus tous les deux. Léonard de Vinci me fait l’effet ◀d’▶un décadent moderne n’aimant pas les femmes, et pour ce créant la Joconde par un effort du cerveau, c’est-à-dire une puissante matrone qui aurait le sourire ◀de▶ l’Antinoüs. Plus on pénètre dans cette intimité froide ◀d’▶alchimiste, ◀de▶ géomètre et ◀de▶ courtisan dilettante, plus on estime Raphaël et le fougueux Michel-Ange qui ◀d’▶un bloc, ◀de▶ marbre abandonné, faisait surgir un prophète en quelques mois ◀de▶ travail. Je n’aime pas Léonard de Vinci parce que c’est un génie qui a enseigné aux autres le droit ◀de▶ ne pas en avoir par le raisonnement. Horreur ! Cette œuvre, parue en double, est cependant le chef-d’œuvre ◀de▶ Dmitri Merejkowski, mais quelle tuile pour les deux libraires et pour les chroniqueurs qui voient double. La traduction Sorrèze est plus nette. La traduction Persky plus élégante, plus, oserais-je dire, moderne.
Les Journaux.
La Cassandre ◀de▶ Ronsard (Le Temps)
On a communiqué au même journal une petite découverte littéraire qui ne manque pas ◀d’▶intérêt. La note se termine par une généalogie peut-être contestable. Qu’est-ce que ces Registres ◀de▶ ◀D’▶Hozier qui mentionnent Alfred de Musset ? ◀D’▶Hozier a été continué jusqu’à nos jours par des complaisants dont les indications ont besoin ◀de▶ vérifications sérieuses. Il est toutefois certain que le père de Musset était traditionnellement établi dans le pays :
« Cassandre, jusqu’à ces derniers temps, était voilée ◀de▶ mystère. Sainte-Beuve, si curieux, n’a pas essayé ◀de▶ deviner cette énigme. Prosper Blanchemain, qui commenta Ronsard pendant dix ans, ◀de▶ 1857 à 1867, imagina que Cassandre,
“dans les belles prairies ◀de▶ la Touraine”, était“une toute jeune fille, presque une enfant, pauvre et simplement vêtue, mais ayant pour parure cette première fleur ◀de▶ la jeunesse et ◀de▶ la beauté qui charme les rêveurs”. Becq de Fouquières nous dit simplement :“C’était une jeune fille dont Ronsard s’éprit dans un voyage qu’il fit à Blois à l’âge ◀de▶ vingt ans.”M. Marty-Laveaux, mieux averti, allègue un témoignage ◀d’▶où il résulte que Cassandre s’appelait ◀de▶ Pré. Et c’est tout.» Heureusement, nous avons une École des chartes. Les archivistes divulguent, sans scrupule, les secrets des amoureux. Et maintenant, grâce à un jeune et ingénieux chartiste, M. Henri Longnon, nous savons exactement qui était Cassandre.
» Elle s’appelait Cassandre Salviati. Plusieurs ◀de▶ ses ancêtres furent illustres en Italie. Sa famille, avant de s’établir en France, donna douze gonfaloniers à la république ◀de▶ Florence, trois cardinaux et plusieurs nonces à l’Église romaine. Cassandre naquit à Blois en la quinzième année du règne ◀de▶ François Ier. Elle épousa Jean de Peigney, seigneur ◀de▶ Pré. Elle eut une fille qui, également, se nomma Cassandre, et qui fut mariée, en 1580, à Guillaume de Musset, sieur ◀de▶ la Rousselière.
» C’est ici que la découverte ◀de▶ M. Henri Longnon devient tout à fait intéressante. Notre jeune chercheur consulte les plus savants généalogistes du pays blésois : M. Storelli, le marquis de Rochambeau. Il ouvre les registres ◀de▶ ◀D’▶Hozier. Et, dans la lignée directe ◀de▶ Cassandre, que voit-il ? Ceci :
Cassandre Salviati, dame de Pré. — Cassandre ◀de▶ Pré, dame de Musset. — Charles de Musset. — Charles II de Musset. — Charles III de Musset. — Joseph-Alexandre de Musset-Pathay. — Victor-Donatien de Musset-Pathay. — Alfred de Musset.
» Ainsi, cette arbre généalogique, issu du sol florentin, naturalisé en France et ennobli par la poésie renaissante, aboutit aux floraisons ◀de▶ la Nuit ◀de▶ mai. Ronsard et Musset sont un peu parents. La blonde Cassandre mérite doublement ◀d’▶être immortelle.
G. D. »
Échos.
La Renaissance Latine
La Renaissance Latine est le titre ◀d’▶une revue dont on annonce le premier numéro pour le mois ◀de▶ mai prochain. Rédaction et administration : 26, rue Boissy-d’Anglas.
Tome XLII, numéro 148, avril 1902
Art moderne.
Memento [extrait]
[…] Exposition ◀de▶ dessins ◀de▶ M. F. Luigini, galeries Bernheim.
Échos.
Le second spectacle des « Latins »
Le second spectacle des « Latins » aura lieu le 5 avril prochain, au Théâtre ◀de▶ la Bodinière. Consacré exclusivement aux primitifs du théâtre italien, il comprendra La Mandragore ◀de▶ Machiavel (traduction P***) et Bilora, parade dramatique empruntée à l’œuvre du Vénitien Angelo Beolco (Ruzzante), traduite par MM. Luciano Zuccoli et Ephrem Vincent. Pour toutes communications s’adresser à M. Ad. van Bever, 15, rue de l’Échaudé, Paris-VIe.
Tome XLII, numéro 149, mai 1902
Les Revues.
Memento [extrait]
[…]
Revue universelle (1er avril). — Les précurseurs du Pérugin, par le Péladan. […]
Les Théâtres
Latins : La Mandragore, comédie en cinq actes, ◀de▶ Machiavel, traduction ◀de▶ Périès (5 avril)
Ce fut sans doute pour se divertir que Machiavel écrivit La Mandragore. Le conte que La Fontaine tira ◀de▶ la comédie en a fait connaître l’intrigue. Cette intrigue est assez curieuse et non sans gaieté. Mais c’est surtout par le personnage ◀de▶ frère Timothée que vaut La Mandragore : ce moine entremetteur, subtil et ◀d’▶une piété adroite et cupide, est des plus divertissants : et Machiavel a dessiné sa figure avec beaucoup de sûreté, ◀de▶ finesse et ◀d’▶esprit. Frère Timothée égaie La Mandragore, M. Berthon en a fort agréablement joué le rôle.
Latins : Bilora, parade dramatique en un acte, ◀d’▶Angelo Beolco, traduction ◀de▶ MM. Luciano Zuccoli et Ephrem Vincent (5 avril)
Le théâtre ◀d’▶Angelo Beolco n’est guère connu que ◀de▶ quelques curieux : il semble, à en juger par Bilora, qu’il mériterait un meilleur sort. Bilora est un court drame, fruste, violent, tragique et bouffon à la fois, et qui, un peu allégé, serait ◀d’▶un très puissant effet. Les mots vrais y abondent, et les sentiments des personnages y sont très fortement observes. Il s’en faut ◀de▶ peu que Bilora ne soit une œuvre vraiment belle et il sied ◀de▶ remercier la direction des Latins ◀de▶ l’avoir révélée à nombre ◀de▶ gens.
Art ancien.
Au Louvre : les nouvelles salles ◀de▶ dessins [extrait]
Voici, enfin réorganisées, les salles ◀de▶ dessins. À partir des salles du mobilier Louis XVI, elles se succèdent : les Italiens du xive au xviie siècle dans les trois premières, les Espagnols du xvie et xviie dans la quatrième, les Allemands du xve et du xvie dans le cinquième, dans celle qui suit les Flamands du xvie et du xviie , plus loin les Hollandais du xviie , et enfin, dans les cinq salles qui séparent des deux dernières, les Français. Ce qui encombrait ◀de▶ la collection His de la Salle a été accroché dans un couloir qui donne sur la rue de Rivoli, et c’est une joie que ◀de▶ pouvoir passer sans trouble ◀d’▶une pensée à une autre, ◀de▶ pouvoir goûter dans le calme ces impressionnantes et éloquentes notations. Aller du soleil ◀d’▶Italie à la fougue du maître d’Amsterdam, ◀de▶ la concision réaliste ◀de▶ Nuremberg ou ◀de▶ Cologne à la fièvre ◀de▶ Watteau et à la fougue ◀de▶ Fragonard, quelle féerie et quelle débauche ! Et les trois albums, celui ◀de▶ Jacopo Bellini, celui ◀de▶ Domenico Tiepolo et celui ◀de▶ Callot… Vues, revues, ces choses admirables demeurent toujours jeunes. Cette fois certaines, mieux dans leur jour, offrent ◀d’▶imprévues beautés. J’y reviendrai. […]
Lettres allemandes.
Die Insel [extrait]
[…]
Die Insel (mars) : traduction, par M. von Oppeln-Bronikowski, ◀de▶ l’admirable nouvelle ◀de▶ Henri de Régnier : La Courte Vie du Vénitien Balthasar Aldramin. […]
Lettres italiennes
Tous au théâtre
El garofolo rosso, par A. Fogazzaro
Il n’y a rien ◀d’▶étonnant que la production du roman en Italie soit depuis quelque temps assez restreinte, et que les meilleurs noms ◀de▶ nos auteurs n’y figurent pas. C’est qu’un étrange phénomène vient de se vérifier : les écrivains les plus en vue, l’un après l’autre, passent au théâtre et négligent toute autre forme littéraire. ◀D’▶◀Annunzio▶, Corradini, Butti, travaillent pour la scène ; Fogazzaro même, qui paraissait indifférent à cette vogue, vient de présenter au public milanais un petit drame en un acte, El garofolo rosso (l’Œillet rouge) et on annonce ◀de▶ lui une comédie ◀de▶ proportions plus larges.
Quant à ◀d’▶◀Annunzio▶, après le succès ◀de▶ son dernier roman Il Fuoco, il ne semble viser qu’aux triomphes ◀de▶ la scène et, à ce qu’on dit, il prépare une nouvelle tragédie, Numa Pompilio, pour le nouveau théâtre ◀de▶ Vicence. ◀D’▶◀Annunzio▶ jouit ◀de▶ quelques privilèges qui peuvent expliquer cette nouvelle forme ◀de▶ son activité littéraire : il est le seul auteur en Italie qui ait une troupe à ses ordres, qui puisse choisir les artistes les plus célèbres, qui ose se permettre en fait ◀de▶ mise en scène tous les caprices et tout le luxe dont son imagination a toujours besoin. La Città Morta et Francesca da Rimini ont été montées richement, et je crois que ◀d’▶◀Annunzio▶ trouve dans ces soins un délassement exquis à son surmenage intellectuel, car il s’acharne aux recherches et il pousse la fidélité historique jusqu’à des scrupules enfantins. Il a sous la main, en un mot, tout ce qu’un auteur peut désirer, et il est sûr ◀de▶ voir son œuvre jouée avec le décor et la magnificence digne ◀de▶ l’art italien ◀de▶ la Renaissance.
Ces circonstances exceptionnelles peuvent compter pour beaucoup sur la production ◀d’▶un artiste En général, les auteurs doivent se soumettre à des lois écœurantes, aux caprices ◀de▶ l’acteur qui exige des modifications à la pièce et aux mauvaises humeurs ◀de▶ l’actrice qui ne trouve pas son rôle suffisamment intéressant. L’indépendance ◀de▶ toutes ces misères est une condition si rare et si heureuse que ◀d’▶◀Annunzio▶ n’a pas manqué ◀d’▶en profiter largement ; et c’est pourquoi son cycle ◀de▶ romans attendra encore peut-être longtemps le jour où son créateur lui revienne.
Il est à espérer que ◀de▶ tout ce mouvement quelque travail supérieur sorte et s’affirme. Le théâtre italien compte aujourd’hui plusieurs talents qui lui sont dévoués et que je cite au hasard ◀de▶ la mémoire : Giacosa, ◀d’▶◀Annunzio▶, Butti, Bracco, Rovetta, Corradini, Fogazzaro, Antona-Traversi, Oriani, Soldani, Bertolazzi, Anastasi, etc. Quant à Marco Praga, son retour au théâtre n’est pas loin, à ce qu’il me disait dernièrement à Rome. Voilà donc toute une armée prête à atteindre les faites ◀de▶ la gloire et à laisser une trace dans notre histoire littéraire ; et j’oublie une foule ◀d’▶auteurs moins connus, qui sont encore à leur premier « fiasco » ou, tout au plus au second.
La pièce en un acte ◀de▶ Antonio Fogazzaro, El garofolo rosso, jouée à Milan dans une matinée théâtrale, n’a pas rencontré le goût du public, ce qui serait bien indifférent pour moi, si je ne me voyais pas obligé cette fois ◀de▶ me ranger du côté des spectateurs. J’ai lu ce drame dans une livraison ◀de▶ La Lettura qui le publiait il y a quelques mois ; on dirait que cette œuvre remonte à il y a plusieurs années, car je me refuse à croire que Fogazzaro aurait encore aujourd’hui celle vision ◀d’▶art, si plate et si dure. Voici en quelques mots l’argument. Une vieille dame ◀d’▶une famille noble déchue passe ses derniers jours dans un hospice ; elle est morose et grognonne et se plaint continuellement des œillets rouges qu’une autre vieille a mis sur la terrasse, vis-à-vis de la chambre ◀de▶ la dame. Celle-ci est aveugle, mais elle seul le parfum ◀de▶ ces fleurs maudites : elle se rappelle que jadis son mari, lorsqu’il était fiancé, avait trompé elle et deux autres jeunes filles avec un œillet rouge, et depuis lors la vieille comtesse a pris en horreur la fleur innocente. En causant avec la femme de chambre qui lui prête ses soins, la pauvre comtesse apprend que son mari, à son tour, doit être reçu dans l’hospice : elle s’épouvante, fait appeler le docteur pour se plaindre et des œillets rouges et du projet ◀d’▶admettre dans l’institut cette canaille ◀de▶ mari, ce Busolo, cet homme abominable qui l’a ruinée. Le docteur arrive, suivi justement par ce Busolo, déjà admis dans l’hospice et qui, flairant la mort prochaine ◀de▶ sa femme, rôde dans la chambre pour mettre la main sur ses effets et son argent au moment opportun. Il se tient à l’écart tandis que la pauvre aveugle supplie le docteur ◀de▶ repousser la demande ◀de▶ Busolo et ◀de▶ ne pas tourmenter ses derniers jours à elle avec la présence ◀de▶ l’homme qui l’a traitée si indignement pendant toute la vie. Mais le docteur est pressé ; il fait signe à Busolo ◀de▶ le remplacer près du lit ◀de▶ l’aveugle, et il s’en va. La comtesse qui est bien loin de supposer la présence ◀de▶ son mari continue à raconter à celui-ci toute son histoire et à l’accabler ◀d’▶accusations, jusqu’à ce que Busolo, offrant à boire à la comtesse, se trahisse. L’aveugle, en entendant la voix ◀de▶ l’homme haï, en écoutant ◀de▶ nouveau ses menaces, a une crise suprême, jette un grand cri et tombe morte sur le lit… Confusion dans l’hospice ; le docteur, les infirmiers, les portiers surviennent, et prient Busolo ◀de▶ s’en aller jusqu’à l’arrivée du directeur ; Busolo, qui voit sombrer son projet ◀de▶ voler tout ce qui peut se trouver ◀de▶ bon dans la chambre, s’en va réellement, mais il revient presque immédiatement, il met quelque chose dans les mains ◀de▶ la morte et il sort ◀de▶ nouveau. Le portier regarde : dans les mains, la pauvre comtesse serre cet œillet rouge qu’elle ne pouvait pas souffrir, et dont le mari, dans un dernier élan ◀de▶ rancune et ◀de▶ haine, a eu la cruelle idée ◀d’▶orner sa mort… Les caractères ◀de▶ la vieille dame, ◀de▶ Busolo, quelques silhouettes ◀de▶ second plan sont puissamment dessinés ; mais il y a quelque chose en ce drame qui vous serre le cœur, vous attriste et vous avilit. C’est comme si l’air manquait dans cette chambre ◀d’▶hospice, et cette impression doit avoir frappé le public ◀de▶ Milan, assez sévère même vis-à-vis ◀d’▶un nom comme celui ◀de▶ Fogazzaro. Je ne donnerai pas à la pièce plus ◀d’▶importance que l’auteur ne lui en donne lui-même, peut-être. Fogazzaro est un tel artiste qu’il peut avoir une revanche à son gré. Le théâtre, pour le moment, lui refuse ses joies. Une seconde pièce ◀de▶ lui vient de tomber à Venise.
[Il ritratto mascherato, par A. Fogazzaro]
C’est Il ritratto mascherato, une étude ◀d’▶âme féminine et, cela va sans dire, catholique. Une jeune femme, Cecilia, dont le mari est mort depuis quelques jours, découvre dans le tiroir ◀d’▶un secrétaire le portrait ◀d’▶une femme masquée, qui appartenaient (tous les deux, portrait et femme) au mari ◀de▶ Cecilia. (Je me suis toujours en vain demandé pourquoi les maris des drames sentimentaux sont si imprudents ; est-ce qu’il est nécessaire ◀de▶ cacher dans un tiroir le portrait ◀d’▶une femme qu’on peut posséder en original tant qu’on veut ?) Cécilia n’a pas ◀de▶ peine à reconnaître sous le masque les traits ◀d’▶une ◀de▶ ses amies, qui justement a été chez elle le même jour pour fouiller avec un prétexte dans le tiroir et enlever son portrait à elle ; mais, comme on vient de le voir, le portrait lui est échappé et il tombe plus tard dans les mains ◀de▶ l’épouse légitime. Cécilia est catholique et croyante ; elle trouve dans son cœur le courage suffisant pour ne pas s’arrêter devant cet épisode malheureux. Elle prie sa mère ◀de▶ jeter au feu le portrait, pour qu’aucun nuage ne puisse ternir l’image ◀de▶ son passé. C’est tout ; c’est catholique tant qu’on veut, mais point théâtral, et le public ◀de▶ Venise a fait un mauvais accueil à cette chose mince et naïve.
L’Egoista, par Carlo Bertolazzi
Un grand succès, au contraire, vient de saluer L’Egoista, la dernière comédie ◀de▶ Carlo Bertolazzi. Cet auteur, désormais bien en vue, n’était, il y a une dizaine ◀d’▶années, qu’un très jeune et très aimable viveur, un noctambule acharné, un enfant plein ◀de▶ verve. Il écrivait ◀de▶ temps à autre quelque petite pièce spirituelle et maligne pour le théâtre dialectal milanais et vénitien, mais surtout il se gardait soigneusement ◀de▶ rentrer chez soi avant l’aube. Peu à peu, le goût pour la scène l’emporta ; ses pièces commencèrent à réveiller l’attention ◀de▶ la critique, qui devait reconnaître l’étonnant esprit ◀d’▶observation dont cet élégant gamin était doué ; il connaissait tous les milieux, les plus hauts et les plus bas, ◀de▶ la société italienne, grâce sans doute à son habitude ◀d’▶attendre le soleil pour aller se coucher, et il savait les rendre avec une originalité savoureusement piquante. Et, par degrés, nous voici au jour où un drame ◀de▶ Carlo Bertolazzi est un événement littéraire.
L’Egoista, qui, tout en étant l’étude ◀d’▶un homme à l’égoïsme implacable et souriant, abonde en situations dramatiques, présente en des raccourcis audacieux la vie ◀de▶ cet homme dans ses phases principales, en conflit avec ses passions et les passions des autres, athée en sa jeunesse, croyant par prudence en ses derniers jours, sacrificateur infatigable ◀de▶ tout et ◀de▶ tous ceux qui l’entourent, exploiteur des énergies, ◀de▶ l’amour, du talent, du dévouement des autres. La physionomie ◀de▶ ce personnage résulte à travers les scènes vives et réelles qui donnent à la pièce une allure excessivement intéressante ; enfin, c’est du théâtre vrai, qui explique le succès magnifique rencontré vis-à-vis ◀d’▶un public difficile comme celui ◀de▶ Milan.
Au moment où j’écris, on prépare à Rome la première ◀de▶ Giulio Cesare par Enrico Corradini : je me réserve ◀de▶ revenir sur l’argument, car le drame paraîtra aussi en volume.
Le dernier livre ◀de▶ Guglielmo Ferrero
Un livre dont on a parlé beaucoup, et justement, ces derniers mois, c’est Grandezza e decadenza di Roma, par Guglielmo Ferrero. Plusieurs volumes suivront ce premier ◀de▶ manière qu’on puisse avoir l’histoire ◀de▶ Rome depuis les origines jusqu’à la chute ◀de▶ l’Empire ◀d’▶Occident. Il faut déplorer que M. Ferrero appartienne à un parti politique ; son talent ne peut pas prendre tout l’essor qu’on devine, comme raccourci et tourmenté par les abois ◀de▶ la faction à laquelle l’auteur doit ses premiers succès. Loin de moi l’idée ◀de▶ lui reprocher ◀d’▶être socialiste plutôt que républicain ou conservateur ; cela est bien indifférent pour l’histoire des opinions, tandis que le fait seul ◀de▶ suivre un parti, quel qu’il soit, peut jeter une ombre sur son travail, car tous ses efforts semblent dirigés vers la démonstration ◀de▶ quelques théories, d’ailleurs parfaitement inutiles, qui sont chères à M. Ferrero. Malgré cette tare, je dirais presque malgré l’auteur, son œuvre s’impose. M. Ferrero traite l’histoire avec une maîtrise géniale et surtout avec un art ◀d’▶exposition vraiment admirable. Marius, Sylla, César, Lucullus, Cicéron, Pompée, ont un relief puissant ; le monde romain fourmille ◀de▶ vie et ◀d’▶action. Ce livre est le fruit ◀de▶ plusieurs années ◀de▶ recherches diligentes et semble destiné à désespérer les critiques, qui pour en combattre l’exposé ou les conclusions devraient se jeter à corps perdu dans l’océan des textes et des documents qui ont rapport à cette époque. Quant à moi, j’y renonce dès à présent, car j’ai trouvé ce que j’y cherchais : le côté artistique est très marqué et les belles pages vives, claires, dramatiques, y abondent.
Cela suffirait à donner à M. Ferrero le droit ◀de▶ continuer son œuvre, même si un peu ombragée par des préventions politiques, lesquelles, au demeurant, laissent toujours le temps qu’elles trouvent. Le second volume est sous presse.
Échos.
Les poètes français en Italie
M. F.-T. Marinetti vient de faire à Milan, avec un grand succès, des lectures ◀de▶ poèmes ◀de▶ Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Gustave Kahn, Henri de Régnier, etc. La presse milanaise est unanime à louer M. Marinetti ◀d’▶avoir organisé ces auditions ◀de▶ poésie française.
Tome XLII, numéro 150, juin 1902
Les Romans.
Marco Praga : La Petite Blonde,
Calmann Lévy, 3 fr. 50
M. Albert Lécuyer, qui a traduit « Alleluia » du même auteur, nous donne aujourd’hui une autre étude ◀d’▶adultère très intéressante.
Archéologie, voyages.
Pierre Gusman : Venise, Laurens,
5 fr.
Parmi les publications ◀de▶ ces derniers mois, il nous semblerait injuste ◀de▶ ne pas signaler le joli album relatif à Venise, dans la collection des Villes ◀d’▶art célèbres ◀de▶ la Librairie Laurens. — Ce qui semble manquer le plus, malheureusement, aux auteurs qu’emploie M. Laurens, c’est la puissance ◀d’▶évocation ; nous l’avons constaté pour M. Hymans et le petit volume sur Bruges et Bruges et Ypres ; le texte ◀de▶ Venise, par M. Pierre Gusman, donne une impression analogue ◀de▶ sécheresse et ◀de▶ pauvreté ; avec un sujet admirable, c’est une lecture ennuyeuse ; la science n’y fait pas défaut, mais l’expression ; je dirai tout net : on n’y trouve pas la traduction littéraire ◀de▶ l’ensemble prodigieux ◀de▶ tableaux et ◀de▶ sensations que doit donner une ville comme Venise ; le reste est accessoire ; n’importe quel guide fournira les renseignements que nous accorde M. Pierre Gusman. La meilleure partie ◀de▶ son travail est une critique d’art ◀de▶ l’école vénitienne ; c’est une énumération ◀de▶ peintres et ◀de▶ peintures ; mais si Venise est un des plus beaux musées ◀de▶ l’Europe, il ne s’ensuit nullement que les tableaux ◀de▶ ses musées soient tout Venise. — Il reste les images par bonheur ; elles sont nombreuses, choisies, variées, et ◀d’▶une beauté ◀d’▶exécution dont ne saurait trop faire l’éloge.
Les Revues
L’Occident : M. Barrès, à propos d’« un laboratoire du nationalisme »
La caractéristique du talent ◀de▶ M. Barrès a toujours été un mélange ◀de▶ concret précis et ◀d’▶abstrait quintessentiel. Il en a tenté l’application en politique ; c’est pourquoi il se retire ◀de▶ la lutte. En approchant un Déroulède, il a pu comprendre pourquoi il n’y devait pas réussir. Il lui reste pourtant quelques idées dont il ne se séparera point avant un délai décent et certains papiers bien écrits à écouler, où elles vivoteront encore. Il a, j’imagine, donné quelqu’un ◀de▶ ces papiers à la revue L’Occident (mai) : Une visite dans un laboratoire ◀de▶ nationalisme.
Pour une définition du nationalisme, M. Barrès se recommande, en marge, ◀d’▶Ernest
Renan et ◀de▶ Goethe. Et il se souvient ◀d’▶avoir crié à des étudiants parisiens :
« Mettez la main sur vos bibliothèques ! Aux armes, camarades ! »
Quand on pense que cet orateur entraînant a pu tremper dans un coup ◀d’▶État !
Ce « laboratoire ◀de▶ nationalisme » est le monastère ◀de▶ San Lazzaro, sur la lagune vénitienne, où des bénédictins enseignent à des Arméniens leur histoire. Et M. Barrès ◀de▶ s’écrier :
« Combien nous sommes plus heureux ! Nous n’avons qu’à réagir contre les étrangers qui nous envahissent et qui déforment notre raison naturelle ; il nous faut rétablir la concordance entre la pensée, parfois chancelante, ◀de▶ notre élite et l’instinct sûr ◀de▶ nos masses. Mais notre terre nous donne constamment sa discipline, et nous sommes les prolongements directs ◀de▶ nos ancêtres ; rien n’est plus aisé que ◀d’▶entendre cette double réalité sur laquelle nous devons nous maintenir. Mais, au couvent de San Lazzaro, ces moines doivent créer leur patrie. »
M. Barrès reconnaît cependant que d’autres Arméniens travaillent aussi à l’émancipation ◀de▶ leur race, — ceux ◀de▶ Tiflis. Il leur accorde un regard hâtif et conclut :
« Tel quel, le couvent de San Lazzaro apparaît comme un des exemples les plus significatifs du monde, parce qu’on y convainc ◀d’▶une façon tangible qu’une nation, c’est le résultat ◀d’▶une éducation commune. Avec une chaire ◀d’▶enseignement et un cimetière, on a l’essentiel ◀d’▶une patrie (!?!).
« Le précieux souvenir ◀de▶ Tigrane Yergat, qui, âgé ◀de▶ vingt-huit ans, vient de mourir ◀de▶ son impuissant amour pour sa nation, anoblit encore les fortes occupations où je vis ce monastère et les poétiques images vénitiennes qui le baignent. Ah ! qu’il est puissant par sa monotonie, ce monastère, ce laboratoire ◀d’▶âmes ! Les enfants plongés dans un tel milieu élaborent tous des raisonnements et des images analogues (!). De plus en plus dégoûté des individus, je penche à croire que nous sommes des automates. Nos élans les plus lyriques, nos analyses les plus délicates sont ◀d’▶un ordre tout à fait général. Enchaînés les uns aux autres, soumis aux mêmes réflexes, nous repassons dans les pas et dans les pensées ◀de▶ nos prédécesseurs.
« Acceptons cette nécessité et félicitons-nous ◀d’▶avoir pour prédécesseurs qui commandent notre destinée, au lieu d’Arméniens persécutés à travers les siècles, les Français vers qui toujours se tournèrent les victimes.
« Si la France était plus forte, l’injustice diminuerait dans le monde. Être nationalistes, c’est encore le meilleur service que des Français puissent rendre à l’“humanité”. »
L’Ermitage : M. Stuart Merrill sur Genève et Venise [extrait]
M. Stuart Merrill adresse à L’Ermitage (mai) des Notes ◀de▶ voyage, colorées, sentimentales et spirituelles.
[…]
◀De▶ Venise M. Merrill rapporte ces deux croquis :
« Tristes prostituées ◀de▶ Venise ! L’une ◀d’▶elles, bouffie, jaune et malpropre sous le châle noir à longues franges, le peigne ◀d’▶écaille fiché à la diable dans un graisseux chignon, l’éventail battant veulement entre ses doigts boudinés, m’attire au fond ◀d’▶un cortile. Elle sent l’ail, la sueur et le musc. Elle me propose, la lamentable et chenue fille ◀de▶ joie, les voluptés que décrivit l’Arétin. Et sa langue pointue, entre ses quelques dents, tremble comme celle ◀d’▶un vieux perroquet ivre ◀de▶ luxure.
« Une petite prostituée m’intéresse. Comme le papillon vole aux lumières, elle vient à la musique. Elle est fine, langoureuse et svelte, et tourne interminablement avec la foule autour de l’orchestre ◀de▶ la place Saint-Marc. On ne saurait soupçonner qu’elle loue à la nuit son joli petit corps, si, sous sa jupe simple ◀de▶ dentellière, on n’apercevait, en cuir verni et à bouffettes noires, des souliers Louis XV à hauts talons. »
Memento [extrait]
Revue des Deux Mondes (15 avril). […] M. T. de Wyzewa : Deux nouvelles « Francesca da Rimini ».
Les Théâtres.
Théâtre Sarah-Bernhardt : Francesca da Rimini, drame en cinq actes, dont un prologue, ◀de▶ Marion Crawford,
traduction ◀de▶ M. Marcel Schwob (22 avril)
Étudier une légende illustrée par quelques vers ◀d’▶un admirable poème ; chercher ce qu’elle contient ◀d’▶histoire ; reconstituer, avec toute la précision possible, les temps et les lieux où se passa l’aventure ; voilà, semble-t-il, ce qu’a voulu faire, dans Francesca da Rimini, Marion Crawford.
Le drame qu’il a écrit, et qu’a traduit à la perfection M. Marcel Schwob, est fort intéressant. Marion Crawford a vu par lui-même les héros qu’a rendus fameux la Divine Comédie, il les a doués ◀de▶ passions violentes, et il a su éviter les banalités fâcheuses qui auraient pu le séduire. Francesca, Paolo, Giovanni, tels qu’il nous les montre, ne sont pas ◀de▶ ces vagues personnages qui ne débitent que ◀de▶ pâles métaphores, inutiles développements des merveilleux vers ◀de▶ Dante. Francesca a toutes les jalousies ◀d’▶une amante passionnée ; elle exige ◀de▶ Paolo des preuves certaines ◀de▶ fidélité ; elle ne supporterait pas l’idée ◀d’▶avoir été trompée ; et, sûre qu’elle est ◀de▶ l’amour ◀de▶ Paolo, elle se donne, après ◀de▶ longues années, avec une ardeur toujours jeune, toujours heureuse, et toujours imprudente. Paolo est un amoureux farouche. Mais le personnage que Marion Crawford a le plus curieusement dessiné est Giovanni. Ce pauvre homme, estropié, laid, qui n’a dû qu’à une assez basse tromperie la possession ◀de▶ sa femme, parvient à nous intéresser. On sent que lui aussi aime Francesca ; il devine que son amour n’est pas partagé, et il souffre ◀de▶ sa laideur, il souffre du mépris où le tient Francesca, et l’on ne peut se défendre ◀de▶ quelque pitié pour lui.
Marion Crawford aurait pu facilement s’égarer en des épisodes pittoresques. C’est le procédé auquel, sans nul doute, il aurait eu recours s’il n’avait pas assumé la tâche ◀de▶ créer, sur des données historiques, une version qui lui fût personnelle ◀de▶ l’aventure amoureuse ◀de▶ Francesca et ◀de▶ Paolo. Et, même avec sa manière ◀de▶ concevoir le drame à réaliser, la tentation était grande ◀de▶ multiplier les tableaux et les personnages ; il a eu l’art ◀d’▶y résister, et Francesca da Rimini est une œuvre sobre et vigoureuse. L’action est conduite avec une rapidité prestigieuse, et qui ne nuit jamais à sa clarté ; des coups ◀de▶ théâtre qui émeuvent puissamment sont ménagés avec un rare bonheur. La fin du prologue, celle du premier acte, tout le second acte, notamment, sont ◀d’▶un auteur dramatique sûr, et qui n’ignore rien ◀de▶ ce qui frappe le spectateur.
Et quelle langue souple et forte, harmonieuse et sonore, sans faux brillants ni grâces vaines, M. Marcel Schwob fait parler aux héros ◀de▶ Francesca da Rimini !
La pièce a été mise en scène avec beaucoup ◀d’▶intelligence. Elle a été jouée avec un ensemble excellent. Les moindres rôles en furent bien tenus. Mme Sarah Bernhardt a été, dans Francesca, charmante, tendre et passionnée. M. Pierre Magnier a su, dans Paolo, faire preuve ◀de▶ grandes qualités. Et M. de Max, dont le talent grandit sans cesse, a peut-être trouvé, dans Giovanni, le meilleur ◀de▶ ses rôles.
Art ancien.
L’exposition ◀de▶ la gravure sur bois à l’École des Beaux-Arts
[extrait]
[…]
Enfin viennent les Italiens.
Il me faudrait, pour dénombrer et signaler les types représentés à cette exposition, certainement plusieurs pages du Mercure. Voici Rome avec Joannes Beplin, Alemanus, Blado, Doricus, Gigliotti, Mazochio, Silber, Vitali…, Sienne avec Symeone Nardi et Michelangelo di Bartolomeo ; Venise avec Aldo Manutio, Benali, Vitali, Simon Bevilaqua, Pietro Cremonese, Giunta, Gregorii, Ragazzo, Rusconi : puis-je tous les nommer ?…Et ceux ◀de▶ Vérone, ◀de▶ Rimini, ◀de▶ Saluces, ◀de▶ Turin, ◀de▶ Parme, ◀de▶ Pavie, ◀de▶ Naples, ◀de▶ Milan, ◀de▶ Gênes, ◀de▶ Florence… Ils sont trop.
À signaler, cependant, les Dévotes méditations ◀de▶ saint Bonaventure (Venise, 1487). Les bois ◀de▶ ce livre fort rare appartenaient à un livret xylographique vénitien sensiblement antérieur dont un exemplaire existe au cabinet ◀de▶ Berlin. Avec beaucoup de perspicacité, M. Khristeller les a rapprochés des superbes bois ◀de▶ Ravenne, dont on a exposé quelques photographies et en a établi la parenté ◀d’▶origine. Il y a là la révélation ◀d’▶une très intéressante école ◀de▶ graveurs sur bois, qu’on peut faire remonter vers le milieu du xve siècle et dont l’existence n’était pas soupçonnée jusqu’à ces dernières années. Cette constatation explique que l’École vénitienne ait échappé aux tâtonnements des autres Écoles et débuté par des chefs-d’œuvre dans l’illustration ◀de▶ ses livres.
Je ne sais s’il est possible ◀de▶ voir quelque chose de plus parfait et ◀d’▶aussi attrayant que ces deux livres : Medici (Lorenzo di). Ballatette del Magnifico Lorenzo de Medici… e di moltri altri ; et : Angelo Politiano. La Giostra di Giuliano de Medici…
Des estampes complètent cette section, œuvres ◀de▶ Luini, ◀de▶ Girolamo Mocetto, ◀de▶ Ugo de Carpi, ◀d’▶Andreani, ◀de▶ Scolari, ◀de▶ Zanetti et du maître au monogramme ◀de▶ Jésus-Christ.
[…]
Publications ◀d’▶art
Fournier-Sarlovèze : Artistes oubliés, 179 illustr., 7 héliogr., Ollendorff, 20 fr.
Le livre ◀de▶ M. Fournier-Sarlovèze, Artistes oubliés, donne l’impression ◀d’▶un jardin ◀de▶ l’ancien régime qui vous arrête au tournant des avenues par l’inattendu des perspectives ou par la trouvaille cocasse ◀d’▶un arbuste martyrisé par la taille. C’est en effet un volume rempli ◀de▶ petits faits qui nous retiennent parce que ◀de▶ leur réunion ou ◀de▶ leur essence, pour un esprit quelque peu enclin à compléter ces lectures par l’imagination, resurgissent les époques.
C’est, à propos du buste ◀de▶ Gauthiot d’Ancier, attribué par M. Fournier-Sarlovèze à Claude Lullier, l’évocation des ardentes luttes électorales dans les municipalités du xvie siècle, luttes captivantes et tragiques où les vaincus pouvaient trouver pis que la mort, la torture, témoin ce partisan ◀de▶ Gauthiot, le pauvre Lambelin, anticlérical ◀de▶ l’époque, qui, après la défaite ◀de▶ son candidat par le cardinal de Granvelle, fut accusé ◀de▶ complicité avec les hérétiques et subit la question des mitaines ◀de▶ bois dont il était inventeur et qui broyaient méthodiquement les os ◀de▶ la main.
Puis c’est la jolie théorie des six sœurs Anguissola, qui traversent la Renaissance
comme un clair rêve ◀de▶ féminité supérieure. Quelle captivante figure que cette
Sofonisba Anguissola, qui eut une grande réputation ◀de▶ charme et presque ◀de▶ beauté,
dont les musées et les collections possèdent des portraits si savants et si précis,
qui mourut aveugle, hélas ! mais à quatre-vingt-dix-huit ans, et dont le plus pur
titre ◀de▶ gloire est peut-être cet aveu ◀de▶ Van Dyck « qu’il avait plus appris en
conversant avec cette vieille femme aveugle qu’en suivant les leçons ◀de▶ tous les
peintres qui voyaient clair »
.
J’admire, comme M. Fournier-Sarlovèze, cette exquise Sofonisba et ses cinq sœurs pleines ◀de▶ charme et ◀de▶ talent, mais je suis loin de la suivre dans sa conclusion et ◀d’▶approuver son conseil aux jeunes femmes du monde ◀de▶ se livrer à la peinture et ◀de▶ mettre l’atelier à la mode. Nous avons assez ◀de▶ ces petites pécores suffisantes qui apprennent dans les usines Julian juste ◀de▶ quoi embarrasser nos Salons annuels qu’elles envahissent de plus en plus. Quand une femme a du talent, elle n’a pas besoin que la mode soit ◀de▶ peindre, elle peindrait contre la mode. Et c’est bien ! Ce qui est mal, c’est ◀d’▶être une amateur. On est peintre ou on ne l’est pas. L’amateur fait toujours penser à ces gens qui n’ont pas le courage — peut-être pas la force — ◀de▶ la franchise.
D’autres personnages bien intéressants nous sont présentés par M. Fournier-Sarlovèze : Pierre de Franqueville, sculpteur français qui produisit surtout en Italie et dont je pense, avec l’auteur ◀d’▶Artistes oubliés, que nous avons tort ◀de▶ mépriser l’art mouvementé et vivant bien qu’un peu précieux ; Lampi, le portraitiste des cours ◀d’▶Autriche et ◀de▶ Russie vers la fin du xviiie siècle ; Costa de Beauregard et Ferdinand de Meys, si caractéristiques ◀de▶ leur siècle ; le général Lejeune, qui parcourut l’Europe à la suite de l’Empereur, avec des crayons et des pinceaux dans sa sabretache ; enfin Massimo d’Azeglio, un des fondateurs ◀de▶ l’unité italienne, qui fut général, diplomate, poète, musicien et tout de même peintre ◀de▶ talent. Je ne veux point omettre une assez complète étude sur le château ◀de▶ Vaux-le-Vicomte et un juste hommage à son actuel propriétaire, M. Sommier, qui n’a rien négligé pour rendre à la merveilleuse demeure ◀de▶ Fouquet sa somptuosité ◀d’▶autrefois.
Marcel Niké : Florence historique, monumentale, artistique, Firmin Didot, 7 fr. 50
Florence, par Marcel Niké, comme l’indique un sous-titre, est surtout un guide. L’auteur s’est efforcé, avant tout, ◀de▶ nous créer un itinéraire commode à travers la ville et ses environs. Il y a réussi et je ne doute pas que ses notes précises et les clairs résumés ◀de▶ son érudition ne soient ◀d’▶un grand secours à tous les pèlerins ◀d’▶art que tentera le voyage vers cette Toscane qui fut l’initiatrice artistique ◀de▶ l’Italie. On trouvera, dans le volume ◀de▶ Marcel Niké, un court aperçu ◀d’▶histoire qui explique les œuvres par les événements et les hommes, puis une description topographique ◀de▶ la ville et ◀de▶ ses environs avec la nomenclature très exacte et très complète des monuments et des œuvres qu’ils contiennent. Il ne faut point chercher dans ces quatre cents pages des impressions originales. L’auteur ne nous fait en rien communier avec son émotion ou ses sentiments personnels. Il n’a pas voulu faire plus qu’un guide, mais c’est un bon guide.
Les Revues : La Gazette des Beaux-Arts [extrait]
La Gazette des Beaux-Arts (1er mai). — Excellentes vues générales sur la peinture moderne à propos des Salons, par M. Henry Marcel. M. Adolfo Venturi, avec sa rare connaissance ◀de▶ la peinture italienne, commence à développer dans un premier article les caractéristiques des anciens maîtres. J’en détache les quelques lignes suivantes, si typiques et si clairement formulées :
« L’artiste manifeste sa manière et comme sa physionomie en adaptant, par une tendance naturelle, les portraits mêmes à un type uniforme et en altérant les traits des visages d’après un canon conventionnel, qui n’est autre que la résultante des observations faites par l’artiste sur ses propres traits et sur ceux d’autres personnes qui lui sont familières ou sympathiques. Ce type apparaît avec une évidence parfaite quand le maître se laisse aller à dessiner des figures idéales… On ne pourrait pas connaître l’auteur ◀d’▶un portrait si l’on ne voyait ce que nous appelons l’air ◀de▶ famille des visages qu’un peintre a reproduit. Et cet air ◀de▶ famille n’est pas défini par quelques traits ou contours habituels au maître, mais encore par sa manière ◀d’▶interpréter avec ses propres sentiments l’expression ◀de▶ ceux des autres…
» Les habitudes ◀de▶ style sont les manifestations du caractère individuel, des conséquences ◀de▶ la conformation spéciale et ◀de▶ l’agilité ◀de▶ la main, aussi bien que les méthodes ◀d’▶enseignement. Tel artiste tourmente les contours ◀de▶ ses figures ; tel les trace hardiment à coup sûr ; tel les marque en traits interrompus. L’un accentue les ombres et affine les lumières ; l’autre court sans appuyer nulle part sur la surface. Mais à côté des caractères généraux du trait, il y en a ◀de▶ particuliers : c’est, ici, l’indication ◀d’▶une mèche ◀de▶ cheveux, ◀d’▶une ride ◀de▶ la peau ; là c’est l’indication des veines, des muscles, du squelette. Or, la ligne du front ou celle du nez, l’ouverture des paupières, le dessin des narines ou des lèvres, la courbe du menton, etc., tout cela porte, aux yeux ◀d’▶un bon observateur, le cachet des habitudes manuelles ◀d’▶un artiste déterminé. »
Tome XLIII, numéro 151, juillet 1902
Épilogues.
Le Saint-Suaire de Turin
L’attitude ◀de▶ M. Vigneul, préparateur à la Sorbonne, et celle ◀de▶ M. Delage, son répondant, ont causé une pénible impression à ceux qui, n’ayant plus d’autres recours que la science, la voudraient sérieuse. Vanité : la science, vue en certains savants, est une parade assez vulgaire. Quelle confiance avoir dans les préparations ◀de▶ M. Vignon ? Son discrédit atteint son entourage, ses maîtres, les méthodes qui l’ont formé. Les laboratoires ◀de▶ la Sorbonne n’avaient point une réputation intacte ; voilà la robe déchirée tout du long sur une nudité qui n’est pas belle. La crédulité ◀d’▶un Chasles à qui l’on vendait des autographes ◀de▶ Jésus-Christ était inoffensive ; celle ◀de▶ M. Vignon est vénéneuse ◀de▶ toute l’influence que la science a acquise sur les intelligences depuis trente ans. Ce préparateur n’a-t-il point collaboré intimement à la « Zoologie concrète » ◀de▶ son maître Delage ? Excellente recommandation : voilà un œil qui sait voir, un esprit qui sait raisonner. Ne soyons pas très surpris ◀de▶ ces manquements particuliers. Le savant qui fait abstraction ◀d’▶une lacune ◀de▶ quatorze siècles dans l’histoire ◀d’▶un document, c’est le même, absolument le même, qui propage, sans le comprendre, l’évangile transformiste, qui plie infatigablement les faits à une théorie naïve, qui les brise et les pulvérise pour les faire entrer dans les petites fentes ◀de▶ son gaufrier, qui continue à dresser l’homme au sommet ◀de▶ la pyramide animale. Il n’y a pas ◀de▶ science ; il n’y a que des savants. Il y a M. Delage et M. Vignon, qui produisent des rêveries ◀d’▶alchimiste malade ; il y a M. Berthelot, qui hausse les épaules. S’il y a un domaine où il faut user, à chaque minute, du libre examen, c’est le domaine scientifique. M. Vignon, en se rendant ridicule, a singulièrement affermi le parti des sceptiques et des ironistes.
L’aventure donnerait, si l’on veut, une autre moralité. On dirait : excellent
préparateur et manieur expert du rasoir à découper les mollusques, M. Vignon est un
historien absurde. Il a voulu explorer un domaine nouveau, et il s’y est égaré. Cela est
commun. Qu’il se remette aux coupes et aux recoupes, cela vaudra mieux que ◀de▶ propager
l’hystérie religieuse. La culture scientifique toute seule est incapable ◀de▶ donner à
l’intelligence une méthode solide ◀d’▶investigation ; la culture littéraire exclusive
n’est pas moins inefficace. Le travail ◀de▶ la connaissance, poussé dans un sens unique,
finit par devenir une véritable galerie ◀de▶ taupe ; il y fait si noir que, dès que
l’esprit en sort, il clignote, ébloui, prêt à toutes les crédulités. L’histoire du
Saint-Suaire de Turin n’aurait aucun intérêt, si on n’en pouvait tirer une petite leçon
◀de▶ psychologie. S. Thomas d’Aquin a dit :
timeo hominem unius
libri
; c’est une bêtise : l’homme ◀d’▶un seul livre n’est souvent qu’un
sot, et l’homme ◀d’▶une seule science n’est souvent qu’un maniaque.
Archéologie, voyages.
L’art monumental au Salon [extraits]
[…]
Les travaux sur l’art antique concernent spécialement l’architecture romaine et n’offrent que trois envois importants. ◀De▶ M. Henri Eustache, c’est l’État actuel et restauration ◀de▶ la Voie Sacrée à Rome, montrant en diverses planches l’état des fouilles en 1896 et sur la reconstitution, les monuments triomphaux et les boutiques des orfèvres, la maison et le sanctuaire des Vestales, le temple ◀de▶ Castor et Pollux, le Forum, la Basilique Julia et l’arc ◀de▶ Septime-Sévère. — M. Alex. Bruel expose une autre restauration ◀de▶ Rome, le Sud-Ouest du Mont Palatin avec le domaine ◀de▶ Cybèle, élevant au-dessus du Vélabre et du Grand Cirque sa vaste esplanade surplombante, soutenue par des murailles énormes et couverte ◀de▶ bosquets, ◀de▶ colonnes, ◀de▶ statues, ◀de▶ palais et ◀de▶ temples. M. Bruel en donne trois plans, l’un avec les ruines, un plan ◀de▶ restauration à mi-hauteur, au niveau du service des bains, et un plan ◀de▶ l’esplanade. C’est, à notre avis, le meilleur envoi ◀de▶ ce genre au Salon, l’auteur, sans se borner à des indications sèches et usant ◀de▶ quelques imaginations pour nous présenter des constructions qui n’existent plus, ayant très bien su rendre le grand caractère architectural et même le pittoresque ◀de▶ ce quartier ◀de▶ l’ancienne Rome. […]
[…]
Les études ◀de▶ voyage sont d’ailleurs en assez bon nombre au salon des architectes et ne peuvent être toutes signalées. […] ◀De▶ M. Faure-Dujarries, voici une aquarelle chaude ◀de▶ tons figurant l’intérieur ◀de▶ la chapelle Palatine à Palerme ; ◀de▶ M. Gromort un plan ◀de▶ la même chapelle ◀de▶ Palerme avec un relevé du dallage et des mosaïques ◀de▶ la tribune royale. […] Quant aux aquarelles, croquis, crayons sur l’Italie, ils sont légion. L’Italie du nord, Venise, Florence, la Toscane, exerce une attraction très compréhensible sur les peintres et quiconque y séjourne tient à en fixer quelque souvenir et l’impression si spéciale ◀de▶ la lumière jouant sur les sites et les édifices ; la cour du Bargello, le porche et le baptistère ◀de▶ Saint-Marc se rencontrent dans chaque salle, ornent chaque panneau. Un peu au hasard, voici, ◀de▶ M. Santerre, deux grands cadres avec des aquarelles curieuses pour les notations ◀de▶ teintes, où l’on retrouve l’église ◀de▶ Toscanella, Saint-Laurent-hors-les-Murs, Florence ; ◀de▶ M. Portier, Venise, Rome, la villa d’Este ; ◀de▶ M. Bureau, la cour du Bargello à Florence ; ◀de▶ M. Rey, le baptistère si byzantin ◀de▶ Saint-Marc ; ◀de▶ M. Patrouillard, une cour du Bargello qui est une des meilleures aquarelles ◀de▶ la série ; ◀de▶ M. Bobin, des Souvenirs ◀de▶ Venise ; ◀de▶ M. Neukomm, Saint-Marc, la Chartreuse ◀de▶ Pavie, le petit portail ◀de▶ Vérone ; ◀de▶ M. J. C. Levi, encore des vues ◀de▶ Venise, le baptistère et le porche ◀de▶ Saint-Marc ; ◀de▶ M. Polart, dont l’envoi est très remarquable, le joli porche ◀de▶ Vérone, ◀d’▶un coloris séduisant, la crypte ◀d’▶Assise, une piscine dans l’église ◀de▶ Palerme, des coins du Campo Santo de Pise. ◀De▶ M. Yperman, enfin, il faut indiquer le relevé ◀d’▶une fresque ◀de▶ Benozzo Gozzoli, au même Campo Santo de Pise, ◀d’▶une admirable finesse ◀d’▶exécution.
[…]
Les Revues.
Memento [extraits]
Revue des Deux Mondes (15 mai) : Petit monde ◀d’▶aujourd’hui, par A. Fogazzaro. […]
La Renaissance latine, mensuelle, le 15 mai […]. Un article sur Napoléon III et l’idée latine, ◀de▶ M. A. Lebey […].
Publications ◀d’▶art
Pierre de Bouchaud : Raphaël à Rome, Lemerre, 2 fr.
Bien que l’on ait écrit sur Raphaël à peu près tout ce qui pouvait être dit, on trouvera quelque agrément à lire l’opuscule ◀de▶ M. Pierre de Bouchaud sur Raphaël à Rome. Notre confrère y étudie Santi comme peintre et comme architecte, décrit les peintures du Vatican et les tapisseries exécutées d’après des cartons, puis les fresques disséminées dans diverses chapelles, le tout dans un style extrêmement pur qui garde un parfum du grand siècle.
Les Revues : Le Monde catholique illustré
Le Monde catholique illustré (15 mai). — Les fresques ◀de▶ Bramante à la Pinacothèque royale ◀de▶ Brera, par Corrado Ricci, avec ◀de▶ nombreuses reproductions, et un article ◀de▶ M. Charles Ponsonailhe sur Daniel Dupuis dont on vient de rassembler à Blois, dans une salle du musée, l’œuvre ◀de▶ graveur en médailles.
Lettres italiennes
Ugo Ojetti : Le vie del peccato
Mon ami Ugo Ojetti vient de publier un recueil ◀de▶ nouvelles : Les Voies du péché, qui m’offre l’occasion ◀de▶ reparler ◀de▶ lui ; une occasion rare, désormais. Le journalisme semble occuper entièrement ce jeune confrère ; depuis son roman Il Vecchio, qui remonte à cinq ou six ans, il n’a fait paraître que ses relations ◀de▶ voyage, où on trouve toujours son esprit aigu, prompt, moderne, doucement sceptique, mais qui ont toutes une origine purement journalistique. Le Giornale d’Italia a eu la bonne idée ◀de▶ se faire ◀de▶ M. Ojetti un correspondant parisien hors ligne, et voilà l’auteur ◀de▶ Il Vecchio presque toujours à Paris, où il se plaît à interwiever M. Delcassé et à s’occuper des plus inutiles problèmes ◀de▶ politique internationale. Heureusement, M. Ojetti supporte le poids des besognes journalistiques avec une désinvolture admirable : je l’ai vu à Rome, il y a quelques mois, si gai et si jeune comme s’il n’était pas le représentant parisien du plus lourd journal ◀d’▶Italie. Et maintenant il met le comble à cette enviable agilité ◀d’▶esprit en faisant paraître ce recueil ◀de▶ nouvelles qui ont le pouvoir ◀d’▶amuser, ◀de▶ vous arracher un sourire, ◀de▶ vous faire admirer en M. Ojetti un observateur très original, très fin.
Pour péché on n’entend, couramment, que ce péché si nécessaire au bien-être ◀de▶ la famille et ◀de▶ l’État qu’on consomme entre un mâle et une femelle ; en autres termes, l’amour, qui peut être aussi l’adultère ou une des mille formes dont l’amour se plaît à se déguiser. M. Ojetti vient donc ◀de▶ raconter un tas ◀d’▶aventures amoureuses, souvent charmantes, jamais tragiques ; l’auteur ne semble pas croire à la tragédie, quoiqu’il soit ami ◀de▶ M. d’Annunzio. Et alors son livre est frais, vif, malicieusement débonnaire, et on y retrouve toute la manière dégagée ◀de▶ M. Ojetti, qui sait voir et raconter ◀d’▶une façon on ne pourrait plus incisive et amusante. Je n’ose pas affirmer que le recueil soit absolument parfait ; à côté des nouvelles soigneusement travaillées avec une empreinte aristocratique ◀d’▶art, on rencontre quelques scènes négligées, que la hâte et l’insouciance gâtèrent. Mais il s’agit ◀d’▶un défaut qu’on pourrait reprocher à presque tous les livres ◀de▶ ce genre, qui décèlent en même temps le talent ◀d’▶un auteur et la faiblesse ◀de▶ n’avoir pas su ou voulu élaguer son arbre.
Loin donc ◀de▶ m’appuyer trop sur cette imperfection organique, je me souhaite ◀d’▶avoir à parler souvent des œuvres littéraires ◀de▶ M. Ojetti, et je me permets ◀de▶ l’avertir que depuis quelque temps les imbéciles se sont habitués à le considérer avec plaisir comme un simple journaliste. En homme ◀d’▶esprit, il doit gâter au plus tôt le plaisir ◀de▶ ces oies.
Enrico Corradini : Giulio Cesare, dramma in 5 atti
Dans une édition superbe ◀de▶ la Rassegna Internationale vient de paraître ce Giulio Cesare, par Enrico Corradini, dont j’ai parlé dans ma dernière chronique, et que Ermeste Novelli n’a pas pu jouer au Teatro Valle de Rome, à cause de plusieurs difficultés ◀de▶ scène.
Le drame ◀de▶ M. Corradini qui encadre en cinq actes la vie du grand conquérant romain, depuis le passage du Rubicone jusqu’à la mort, est le fruit ◀de▶ longues études historiques et archéologiques ; on le sent, je dirais même qu’on le sent trop, tellement que plusieurs fois on aimerait apprendre moins et pouvoir s’émotionner davantage. C’est dire que le défaut ◀de▶ cette tragédie historique est la froideur. Les personnages, parfaitement stylés, n’offrent probablement à la critique la plus rechignée aucun motif à la chicane, mais je doute beaucoup de l’effet ◀d’▶ensemble et ◀de▶ l’intérêt théâtral. Au théâtre, je ne tiens pas trop à entendre l’alea jacta est ◀de▶ César ou o tempora, o mores ! ◀de▶ Cicéron ; ce qui m’importe le plus, c’est ◀de▶ vivre la vie qu’on me présente et ◀de▶ frémir aux passions des personnages qu’on me fait défiler sous les yeux. Si je ne savais pas que Jules César a été un homme extraordinaire, le drame ◀de▶ M. Corradini me laisserait fort peu renseigné sur le caractère ◀de▶ ce conquérant. D’ailleurs, c’est connu que rien n’est plus malaisé que ◀de▶ porter un jugement sur une œuvre ◀de▶ théâtre. À la lecture, ce qui s’impose dans cette pièce ◀de▶ M. Corradini, c’est la forme littéraire, ◀d’▶une beauté sévère et simple, tout à fait classique ; l’auteur a emprunté aux plus grands historiens ◀de▶ l’empire romain le secret ◀d’▶une forme lapidaire.
Umberto Silvagni : L’Imperio e le donne del Cesari
— Les études sur l’époque impériale ◀de▶ Rome ont eu, ces derniers temps, chez nous un développement très remarquable. Je laisse ◀de▶ côté, pour cette fois, le second volume ◀de▶ la Grandezza e decadenza di Roma par Guglielmo Ferrero, qui traite lui aussi ◀de▶ la vie et des entreprises ◀de▶ Jules César ; je reviendrai à cette œuvre excessivement notable lorsque tous les volumes qui la composent auront paru et il sera plus aisé ◀d’▶en essayer un compte-rendu.
Voici Umberto Silvagni, qui fait sa rentrée dans le monde littéraire avec une œuvre excellente sur l’Imperio e le donne dei Cesari. Quoique le nom ◀de▶ cet écrivain paraisse pour la première fois dans ces humbles chroniques, M. Silvagni a déjà publié en 1895 un tableau historique complet sur Napoléon et son temps, dont je me rappelle avoir lu les éloges dans maints travaux historiques français.
Après 1895, M. Silvagni a été emporté lui aussi par la politique et le journalisme quotidien, deux machines à paralyser les plus nobles aptitudes ◀de▶ l’intelligence. Revenu enfin à ses études, M. Silvagni nous donne aujourd’hui la mesure ◀de▶ son talent historique et littéraire avec ce livre sur l’Empire et les femmes des Césars ; un sujet à enivrer le plus apathique des lecteurs.
M. Silvagni affronte courageusement un thème plein ◀de▶ difficultés, car autour des empereurs romains toute une légende ◀de▶ monstruosités et ◀de▶ crimes a été créée par les chrétiens et par les historiens qui ne pouvaient pas se soustraire aux passions politiques ◀de▶ leur temps. Dans la conduite ◀de▶ son travail, l’auteur a visé surtout non pas à la réhabilitation ◀de▶ ces souverains, mais à définir avec précision la grandeur morale ◀de▶ l’Empire, sa nécessité historique, et à contrôler scrupuleusement la narration des anciens écrivains. Loin de suivre l’école allemande, qui se plaisait, il y a quelque temps, à démolir presque totalement l’histoire ◀de▶ Rome, et que les fouilles les plus récentes du forum ont pitoyablement démentie dans toutes ces conclusions, M. Silvagni tâche ◀de▶ reconstruire ce monde, ◀de▶ peindre dans ces souverains méprisés les hommes politiques qui, à travers les bassesses des sens et les folies ◀de▶ la toute-puissance, poursuivaient un dessein social et politique grandiose. Sous ce point de vue, l’œuvre ◀de▶ M. Silvagni est fort recommandable à tous ceux qui aiment avoir un plan complet du mouvement intérieur et extérieur, ◀de▶ la mission, des transformations, ◀de▶ la grandeur ◀de▶ l’Empire. Mais cet intérêt devient extraordinaire lorsqu’on voit enfin paraître sur la scène les femmes des Césars, si funestement ambitieuses, si curieusement aptes aux intrigues et à l’amour, à la trahison et aux crimes, aux débauches les plus effrénées et aux desseins les plus vastes.
Depuis les femmes ◀d’▶Auguste jusqu’aux femmes ◀de▶ Claude et à la mère de Néron, cette formidable armée ◀de▶ coureuses en pourpre nous défile sous les yeux ; il n’y a rien ◀de▶ nouveau à nous dire, sans doute, sur ce point, mais M. Silvagni trace puissamment ces figures à l’aide ◀d’▶une érudition sûre et ◀d’▶une psychologie perçante. L’histoire c’est toujours l’histoire, mais il y a un art très difficile à apprendre, un art dans lequel M. Silvagni est passé maître, et c’est ◀de▶ savoir raconter et ◀de▶ contraindre le lecteur à se passionner à ce qu’on lui expose. L’étude est complétée par un appendice tout à fait neuf sur la légende ◀de▶ Néron, l’incendie ◀de▶ Rome dont on l’accuse, les prodigalités, les vices et les crimes qu’on lui attribue. N’ayez pas peur : M. Silvagni ne prétend pas comparer Néron à saint Louis, mais il se borne à rectifier plusieurs exagérations et à absoudre la mémoire ◀de▶ l’Empereur des crimes qu’il n’a pas commis, car, en effet, il y en a assez ◀de▶ ceux dont on doit le reconnaître l’auteur, l’artifex.
D’après ce que je viens de remarquer, on peut facilement comprendre que le travail ◀de▶ M. Silvagni mérite une place à part dans les trop fréquentes publications ◀de▶ ce genre, car il révèle une personnalité mûre et une heureuse indépendance ◀de▶ vues et ◀de▶ propos.
Quelques romans
— J’ai à signaler quelques romans assez notables ; Dopo il divorzio (après le divorce), ◀de▶ Grazia Deledda, où cette autrice renommée poursuit ses études sur les mœurs ◀de▶ la Sardaigne, tout en se rangeant du côté des adversaires du divorce.
Que Mme Deledda ne veuille pas s’impressionner trop : avant que le divorce soit en action chez nous, la charmante autrice aura le temps ◀d’▶écrire toute une bibliothèque ! Jolanda, une autre autrice bien connue en Italie, tente le roman passionnel avec
Alle soglie ◀d’▶eternita (Au seuil ◀de▶ l’éternité), histoire ◀d’▶un amour incoercible, qui finit avec la mort ◀d’▶un des coupables. ◀De▶ belles pages : je ne croyais pas Mme Jolanda capable ◀d’▶arriver si haut. M. Alfredo Oriani, avec son Olocausto, révèle qu’il se croit encore en 1881, lorsqu’on faisait du vérisme pour épater le bourgeois ; je m’empresse ◀d’▶avertir M. Oriani que le bourgeois s’en moque, désormais ; il faut chercher mieux pour faire fracas. Au contraire, M. Amilcare Lauria avec Sulla Lyona (sur la Lyona, qui est un yacht) nous transporte dans un monde assez irréel : scènes ◀d’▶amour, ◀de▶ trahison et ◀de▶ crimes au bord d’un yacht princier, qui voyage infatigablement. Un beau type ◀d’▶aventurière, que les circonstances plus que les hommes finissent par démasquer.
La Settimana de Matilde Serao
— Matilde Serao, donna Matilde, comme on l’appelle populairement à Naples, où elle est adorée, met le comble à son activité volcanique en lançant une petite revue littéraire, La Settimana (la Semaine), qui a été le succès journalistique ◀de▶ ces derniers mois. Elle groupe autour ◀d’▶elle les meilleurs ◀de▶ nos écrivains, depuis Giacosa jusqu’à… Matilde Serao, dont l’article, la nouvelle, la prose étincelante et nerveuse ne manque à aucun numéro.
Autres revues
À son tour, la maison Treves, ◀de▶ Milan, lance une revue mensuelle, Il Secolo XX, qui fait valoir dès à présent la collaboration assidue ◀de▶ Gabriel d’Annunzio.
Les autres revues, la Rassegna Internazionale (dont une des dernières livraisons publiait ce charmant lever ◀de▶ rideau ◀de▶ Giannino Antona-Traversi, L’Unica scusa), la Nuova Antologia, Natura ed Arte, La Lettura, marchent bon train. On ne sait rien ◀de▶ la Rivista d’Italia, où un tas ◀d’▶illustres inconnus se plaisent depuis longtemps à faire leurs exercices littéraires sur des sujets épatants comme le tarif douanier, les lois administratives chez les Chinois, la poudre sans fumée, etc. Je crois que les lecteurs ◀de▶ cette revue seront proposés au plus tôt pour la croix des chevaliers du travail.
Tome XLIII, numéro 152, août 1902
Le droit ◀d’▶entrée dans les musées [extraits]
[…]
En Italie, les recettes annuelles du Museo Capitolino à Rome sont ◀de▶
16 000 francs ; celles ◀de▶ la galerie ◀de▶ l’Académie Royale des Beaux-Arts et du Palais
Ducal à Venise environ 70 000 francs. « La loi sur la taxe ◀d’▶entrée dans les
musées, dit le Conservateur, a été promulguée sous le ministère ◀de▶ M. Ruggero Bonghi
en 1880 et elle ne fut l’objet ◀d’▶aucune opposition, vu l’état où se trouvaient alors
les finances italiennes et parce qu’il eût été difficile ◀de▶ trouver des fonds
autrement pour la restauration et l’augmentation des collections ◀d’▶art et ◀d’▶antiquités
Le Palais Ducal est visité le dimanche (jour gratuit) par 2 à 3 000 personnes qui s’y
donnent rendez-vous, gens du peuple, militaires, etc. »
Le Palais des Doges à Venise a encaissé, en 1900-1901, 81 340 francs.
À Florence, les recettes annuelles des Offices et du Musée national vont jusqu’à 100 000 francs.
[…]
M. Gerspach montrait dans Le Petit Temps ◀de▶ décembre 1901 que la
galerie Borghèse avait été acquise par le Gouvernement italien grâce au droit ◀d’▶entrée.
Dans Le Petit Temps du 17 janvier 1902, il complète ses renseignements
sur les galeries italiennes. « En 1865, l’entrée au Musée1 étant gratuite, il y a eu dans l’année 17 278 visiteurs. La
taxe a été établie en 1867 avec le dimanche gratuit ; cette année-là le nombre des
visiteurs gratuits et payants a été ◀de▶ 47 762 !… Il y a dix ans la recette pour tout
le royaume était annuellement ◀de▶ 250 000 à 300 000 lires ; elle a atteint
479 482 lires dans l’exercice 1898-99 et est estimée 500 000 lires pour l’exercice
présent. »
Ainsi les Musées ◀d’▶Italie, notamment celui ◀de▶ Florence, se sont considérablement
enrichis dans ces dernières années sans avoir rien à réclamer à l’État. Pendant ce temps
Versailles tombe en ruines et le Louvre n’a même pas ◀de▶ quoi faire réparer ses fenêtres
et acquérir des stores pour protéger ses chefs-d’œuvre du soleil. « Mais non, on
aime bien mieux laisser la foule traverser des ruines à l’œil ;
c’est noble et généreux, digne ◀de▶ la grande nation qui veut être à la fois la Grèce et
l’Italie modernes. Ah ! les phrases, les phrases, qu’elles ont causé ◀de▶ sottises en
notre pays2. »
[…]
Épilogues.
Suite ◀de▶ l’histoire du Saint-Suaire de Turin
Le Dr Vignon, préparateur à la faculté des Sciences, fort ◀de▶ l’appui ◀de▶ plusieurs illustres savants, honneur ◀de▶ la pensée française, va continuer ses études expérimentales sur les reliques célèbres.
Il se propose ◀de▶ démontrer, scientifiquement, l’authenticité des objets suivants :
Le Sacro-Catino, à Gênes ; c’est le plat dans lequel l’agneau pascal fut servi à la dernière cène ; il est taillé dans une émeraude (M. Vignon le prouvera) ;
Le Disco, également à Gênes ; c’est le plateau ◀d’▶agate sur lequel la tête ◀de▶ Jean-Baptiste fut présentée à Hérodiade par Salomé ;
Le Saint-Couteau, dont se servit le Christ à la dernière cène : à Venise ; un pain ◀de▶ la dernière cène : à Bouillac (Tarn-et-Garonne) ;
Le Serpent ◀d’▶airain, ◀de▶ Moïse : à Milan ;
Les corps des trois enfants jetés dans la fournaise sur l’ordre ◀de▶ Nabuchodonosor : à Rome ;
Les premiers langes ◀de▶ l’enfant Jésus ; sa première chemise ; du foin ◀de▶ la crèche : à Saint-Jean de Latran ;
Le doigt avec lequel S. Thomas sonda les plaies ◀de▶ Jésus : à Saint-Jean de Latran ;
Et, toujours en cette église privilégiée :
La Verge ◀de▶ Moïse ; la pierre du sacrifice ◀d’▶Abraham ; la table ◀de▶ la dernière cène, et des cheveux ◀de▶ la Vierge.
L’éminent savant bornera à cette liste, d’ailleurs importante, ses recherches ◀de▶ l’année scolaire 1902-1903. Le gouvernement qui n’est pas, et bien au contraire, ennemi ◀d’▶une religion sage et éclairée, a promis son concours ; M. Brunetière assistera aux principales expériences.
Les Revues.
Memento [extrait]
[…]
La Quinzaine (1er juillet). […] Le suaire ◀de▶ Turin et l’Évangile, M. P. Bouvier. […]
Les Journaux.
Le nègre ◀de▶ la Martinique (Scintilla, Chieri)
(Italie), 27 juin
Un journal italien, que nous communique l’« Écho ◀de▶ la presse », ◀de▶ Rome (Eco della Stampa), donne sur l’état moral et intellectuel des nègres ◀de▶ la Martinique les curieux renseignements suivants. L’anticléricalisme prend des formes diverses selon le degré ◀de▶ culture (jamais très élevé) du citoyen qui en est atteint. Voici la forme nègre, telle qu’observée par un missionnaire :
« Le vendredi saint, la populace s’amuse à crucifier un cochon ; le jour ◀de▶ Pâques, on chasse à travers la ville (Saint-Pierre) un autre cochon, qui est soi-disant le même, ressuscité. Il y a, toujours avec un cochon, une cérémonie analogue le jour ◀de▶ l’Ascension ; on se préparait à la célébrer avec force saouleries, quand le volcan est intervenu.
» La veille ◀de▶ la catastrophe les réfugiés du Prêcheur et ◀de▶ Sainte-Philomène passèrent la nuit à boire et à hurler des chansons obscènes. »
Suivent des remarques sur la colère ◀de▶ Dieu et la destruction ◀de▶ Saint-Pierre considérée comme un châtiment. C’est critiquer l’immonde par l’absurde. Il reste que ces îles dangereuses, mais belles et riches, sont malheureusement la proie ◀d’▶une race grossière, stupide et inutile.
Art ancien.
La première crise ◀de▶ l’Académie ◀de▶ France à Rome
Cette année, à propos des trop modestes envois des prix ◀de▶ Rome, on ne manque pas ◀de▶ remettre en question l’utilité ◀de▶ la Villa Médicis. Je traiterai quelque jour, à mon tour, cette « question », fort intéressante, et que je crois posséder quelque peu. Je n’apporterai, certes ! dans le brouhaha et le tutti, les seules sages et définitives paroles, mais, peut-être, quelques bons arguments. Je ne me fais aucune illusion, et sais parfaitement qu’ils ne pèseront ◀d’▶aucun poids dans les décisions à prendre… si, toutefois, on change quelque chose, ce qui est infiniment improbable.
La première crise sérieuse qui menaça l’existence ◀de▶ l’École ◀de▶ Rome se produisit assez près de sa fondation, en 1707.
Poërson venait de succéder à Houasse. Il avait trouvé là-bas un beau désarroi. À son arrivée à Rome, son prédécesseur manquait totalement ◀d’▶argent depuis deux mois. Ce pauvre Poërson, écrit à Mansart :
« … à l’égard des tableaux du petit Chigi, qui estoient enquaissé depuis quatorze ans, à ce que l’on m’a dit, ils sont les plus parts escaillé, moisy, en très mauvais estat : je les ai faits desrouler et tendre dans une gallerie pour tascher ◀de▶ les raccommoder ; et d’ailleurs c’est un bel ornement, qui nous sera utile, attendu que, l’entrée du Vatican estant défendue, c’est toujours une grande consolation ◀de▶ voir ◀de▶ belles coppies dont le trait est pris sur les originaux… A l’esgard des meubles, je ne puis assés me rescrier, sans touttefois blasmer M. Houasse, lequel n’a jamais ozé faire ◀de▶ despences et au contraire a uzé pour cent pistoles ◀de▶ son linge, malgré le soin que Madame son espouse prenoit a raccommoder sans cesse… Cela ne m’a pas estonné quand on m’a dit que l’un n’avoit rien achetté depuis trente années… »
Cependant, la situation s’aggrave ◀de▶ jour en jour, jusqu’à ce que régent et écoliers se voient contraints ◀de▶ quitter le palais même où ils habitent.
Poërson mande à Mansart, le 5 juillet 1707 :
« Les Allemans disent qu’après l’expédition du royaume ◀de▶ Naples ils viendront nous rendre visitte. Pour prévenir ce malheur, le pape lève des trouppes, outre les milices des environs ◀d’▶icy près qu’il a fait venir. L’on a murré touttes les portes à l’exception ◀de▶ trois ; l’on a mis plusieurs corps à garder dans les rües… Nous sommes aussy retourné à nostre palais. Car, lorsque les Allemans passèrent icy près, ils tentèrent ◀d’▶entrer dans la ville, contre leurs parolles, et la canaille, qui est très nombreuse, n’atendoit que ce moment pour saccager Rome. L’on ne laissa entrer que les officiers avec leurs suittes. Ce qui ne laissa pas que ◀de▶ causer ◀de▶ l’effroy, par la disposition où se trouvoit le peuple à quelques affreux désordres.
» Tous les palais ont esté gardés par des gens armés pendant dix à onze jours. Mme Poërson, qui est fort dans l’estime ◀de▶ la reine de Pologne, eut un petit apartement dans le couvent qui se trouve dans son palais, et cette reine avoit, outre son monde, une garde que le Pape luy avoit donnée ◀de▶ 200 hommes. Nous avions quitté l’Académie par les conseils ◀de▶ Son Em. et ◀de▶ M. de Polignac, ce palais estant trop difficile à garder ; de sorte que nous estions retirés chez sadite Eminence, où il y avoit beaucoup de monde armé, et (où) j’avois fait porter ce qui se pouvoit en lieu ◀de▶ surreté. Dans tous ces troubles j’étois sans argent et persécuté ◀de▶ mes créanciers.
» Heureusement, une personne ◀de▶ qualité, qui me fait l’honneur ◀de▶ m’aymer, partagea son argent avec que moy, lequel m’a bien servy jusqu’à ce jour. Mais je vais retomber dans le mesme embarras si vous ne me secourés promtement. »
Il faut croire que Jules Hardouin-Mansart fit la sourde oreille ; car, désespéré, Poërson propose enfin au surintendant des Bâtiments, la suppression ◀de▶ l’Académie.
« 23 juillet 1707.
» Je me donne l’honneur ◀de▶ vous escrire pour vous exposer, avec tout le respect imaginable, quelque pensée que j’ay, eu esgard au service du Roy, pour lequel vous prenez, Monseigneur, tant ◀d’▶intérest. J’auray donc, s’il vous plaît, l’honneur ◀de▶ vous dire que les affaires sont, à ce que l’on dit si embrouillées en cette cour toutte allemande, que je crois (autant que Monseigneur le jugera à propos) que Sa Majesté pouroit s’épargner la dépence ◀de▶ cette Accadémie, qui, quelque zèle et quelque soin que vostre bonté preine, ne peut répondre aux idées que l’on a eues ◀de▶ former ◀d’▶habilles gens et ◀d’▶en tirer ◀de▶ belles copies, tant ◀d’▶architecture que ◀de▶ peinture et ◀de▶ sculpture.
» Premièrement, Monseigneur, pour l’architecture excepté le Panthéon, ou Rotonde, le Colysée et quelques colonnes, il ne nous reste rien ◀de▶ considérable ◀de▶ l’antiquité pour instruire les estudians ; et parmy les modernes, la grande église ◀de▶ Saint-Pierre et peu d’autres peuvent fournir à nos voyageurs prévenus ◀de▶ quoy se récrier. Ainsy, Monseigneur, je suis persuadé comme je l’ai dit mille fois à M. Hardouin qui a le bonheur ◀d’▶estre auprès de vous, que les excelants et admirables ouvrages dont vous avez orné la France sont les moyens plus sûrs pour faire ◀de▶ bons architectes que tout ce que l’on voit dans Rome.
» A l’esgard ◀de▶ la peinture, les lieux où sont les belles choses qui ont acquis tant de réputation à cette ville sont quasi tout ruinés, et de plus fermés aux estudians, ◀de▶ manière qu’il y a peu de fruits à en espérer et beaucoup à craindre ◀de▶ l’oisiveté que les jeunes gens contractent aisément en ce païs. Et quant à la sculpture, ce qui est moderne donne générallement dans un goust faux et bizarre ; pour les Antiques, ayant les figurés moullées en France, il n’est pas absolument nécessaire ◀de▶ venir icy. La preuve est que, depuis que je suis à Rome, je n’ai veu ny Italiens, ny aucun estranger copier les marbres : l’on se contente ◀de▶ dessiner ou modeler d’après les plastres, dans lesquels l’on trouve plus ◀de▶ facilités…
» Toutes ces considérations, Monseigneur, me forcent malgré l’honneur et le plaisir que j’ay ◀d’▶estre icy sous vostre protection, ◀de▶ prendre la liberté ◀de▶ vous remontrer, très respectueusement, que le Roy pouroit esviter cette dépence, dans les conjonctures où les Allemans disent qu’ils veulent establir leurs droits en ce païs ; et je crois qu’il suffiroit ◀d’▶avoir un magazin et un gardien pour les caisses. Cela cousteroit peu sous la protection du ministre ou ◀d’▶un cardinal affectionné, supposé qu’il cessât ◀d’▶y avoir un ministre, en attendant qu’une heureuse paix fournisse une occasion ◀de▶ les faire passer en France. »
On ne sait ce que le vieux Mansart pensa ◀de▶ la proposition ◀de▶ Poërson, car il mourut avant que ◀d’▶y répondre.
◀D’▶Antin, qui lui succède, n’entend nullement voir disparaître l’Académie. Il charge l’abbé de Blignac ◀de▶ la surveiller, ◀de▶ le renseigner sur les moyens propres à relever l’école.
Et il dépêche cette première lettre au directeur :
« Du 17 juin 1708.
» A M. Poërson.
» Rome.
» Le Roy m’ayant fait l’honneur, Monsieur, ◀de▶ me charger ◀de▶ la Direction généralle ◀de▶ ses Bâtiments, mon premier soin a été ◀de▶ songer à l’Accadémie Royalle de Rome, dont vous êtes le chef. Je vous avoue que je désire fort qu’elle soit dans l’Etat qu’il convient, et je n’oubliray rien ◀de▶ ce qui dépend ◀de▶ moi pour vous en fournir les moyens. J’ai ouï dire tant de bien ◀de▶ vous que je ne doute pas que vous ne répondiez à mes bonnes intentions et que vous ne fassiez ◀de▶ votre côté tout ce que vous devez pour répondre à l’envie que j’ai ◀de▶ vous soutenir et même ◀de▶ relever votre Accadémie.
» Pour commencer par quelque chose ◀de▶ solide je vous envoyé cy-joint une lettre ◀de▶ change ◀de▶ neuf mille francs, et j’ai donné ordre à notre trésorier en exercice ◀de▶ payer ponctuellement à l’échéance la lettre ◀de▶ change ◀de▶ trois mille tant de livres que vous avez tirée sur le sieur Marignier, premier commis.
» Je crois pas qu’il soit nécessaire ◀de▶ vous recommander ◀de▶ faire bon usage ◀de▶ ces sommes, vous scavez mieux que moi que vous êtes obligé en l’honneur et en conscience ◀d’▶avoir une attention particulière à la distribution que vous en feriez suivant l’état que Sa Majesté en a fait.
» J’attens avec une grande impatience ◀de▶ vos nouvelles, je vous prie ◀de▶ m’informer exactement ◀de▶ l’Etat de l’Accadémie, des tenans et aboutissans, enfin ◀de▶ tout ce qui peut me donner les connaissances que je dois avoir ◀de▶ ce qui vous regarde. Soyez en mesme temps bien persuadé que je serai ravi ◀de▶ rendre à votre mérite toute la justice qui luy est due, estant, Monsieur, etc… »
Naturellement, Poërson, avec une promptitude, une souplesse et une verve admirables, trouve immédiatement un remède à tous les maux qu’il jugeait incurables en 1707.
L’école est sauvée.
Mais il ne peut s’empêcher ◀de▶ finir sa réponse à ◀d’▶Antin, sur ce trait :
« … Gagnons quelques batailles, prenons quelques villes ◀de▶ considération : l’on viendra au-devant ◀de▶ nous, et nous serons, pour ainsi dire, les maîtres ◀de▶ tous les palais. »
Tome XLIII, numéro 153, septembre 1902
Les Revues.
Memento [extrait]
[…]
La Revue ◀de▶ Paris (15 juillet). […] Un drame ◀de▶ M. Marco Praga.
[…]
La Revue ◀d’▶art dramatique (juillet). — Le théâtre en Italie.
[…]
Publications ◀d’▶art
Eugène Müntz : Raphaël, H. Laurens, 2 fr. 50
La librairie Laurens vient ◀d’▶inaugurer, sous la direction ◀de▶ M. Roger Marx, une collection ◀de▶ vulgarisation et ◀d’▶enseignement sur les Grands Artistes. Trois volumes déjà sont parus : Watteau, par M. Gabriel Séailles ; Raphaël, par M. Eugène Müntz, et Albert Dürer, par M. Auguste Marguillier. […] M. Eugène Müntz a parfaitement résumé tout ce que nous savons ◀de▶ Raphaël et ◀de▶ sa carrière courte, éblouissante et remplie.
Gius. Gramegna : Un Statuaire, Revue franco-italienne, Naples
M. Gius. Gramegna consacre quelques pages véhémentement enthousiastes à un Statuaire italien, Vincent Jerace.
Les Revues : Gazette des Beaux-Arts [extrait]
Gazette des Beaux-Arts. […] M. Adolfo Venturi continue ses très captivantes études sur les Caractéristiques des anciens maîtres italiens. […]
Les Revues : Le Monde catholique illustré
[…]
Le Monde catholique illustré (30 juin). — Une reconstitution artistique : La salle Perosi à Milan, par A.-G. Corrieri.
Tome XLIV, numéro 154, octobre 1902
Les Poèmes.
F.-T. Marinetti : La Conquête des Étoiles, « La
Plume », 3,50
Les poètes, ◀d’▶ordinaire, publient d’abord ◀de▶ petites chansons en ◀de▶ minces plaquettes ; il est peu de tout jeunes hommes qui aient la patience et l’audace ◀de▶ construire un long poème pour leur œuvre ◀de▶ début. M. F.-T. Marinetti ne s’est point dispersé ; il n’a pas noté, comme d’autres, avec émoi et surprise, la voix brève des premières flûtes élégiaques et La Conquête des Étoiles est tout simplement un poème épique : depuis René Ghil, qui s’imposait, dès son livre initial, tout un programme ◀de▶ travail qui peut emplir une vie ◀d’▶homme, une telle aventure n’avait pas été tentée et si l’œuvre ◀de▶ M. F.-T. Marinetti n’est pas exempte ◀de▶ nombreuses tares, elle mérite plus qu’une critique aisément plaisante ◀de▶ quelques détails. Et c’est, à ne considérer que l’ensemble, trois mille ans après l’auteur inconnu ◀de▶ la Théogonie, la lutte des Titans et ◀de▶ Zeus :
Au loin le gémissement terrible ◀de▶ la mer immense et le fracas ◀de▶ la terre sous les coups ; en haut le murmure du vaste ciel ébranlé ; en bas les secousses ◀de▶ la longue chaîne ◀de▶ l’Olympe tremblant sous les pieds des Immortels… Les uns aux autres ils se lançaient des projectiles à grand bruit. La voix des combattants montait jusqu’aux astres, clameurs ◀de▶ colère et ◀d’▶encouragement ; et ils se heurtaient en jetant le cri ◀de▶ guerre à travers l’espace.
Mais aux dieux et aux géants ◀de▶ la mythologie antique se sont substituées ici les forces élémentaires : ◀de▶ tous ceux qui périrent, amants méprisés des étoiles et qui s’entassent pétrifiés dans les profondeurs des eaux une haine immortelle émane contre les menteuses enchanteresses accoudées aux créneaux ◀d’▶or ◀de▶ l’empyrée, et c’est la révolte ◀de▶ la Mer Souveraine, l’assaut furieux contre la forteresse des étoiles scélérates. Le dénombrement des guerriers ou des vaisseaux, ce sera, dans le poème ◀de▶ M. Marinetti, le dénombrement des vagues, des trombes, des cyclones, des vétérans ◀de▶ la mer, des licornes, des houles, des vents déments et sur la montagne amoncelée des vagues et des houles et des licornes tuées, par la rampe que creusèrent les vents dans cette masse visqueuse, les hordes ◀de▶ l’abîme se ruent à la mêlée, harcelées par les clameurs impérieuses ◀de▶ la Mer Souveraine et, sous la Nuit ◀d’▶ébène, après le massacre des astres, il ne demeure
Qui flottèrent un instantSur les ténèbres submergeantes.
Et, dans une vision dernière, apparaît, sur le dos sombre ◀de▶ la mer, le corps ◀de▶ la dernière étoile ; le poète baise doucement ses lèvres sinueuses
Pour en mourir, pour en mourir,
tandis que l’aurore éclate à l’horizon
Cette lutte furieuse des éléments ne représente sans doute, réduite aux images primitives, qu’une journée et une nuit ◀de▶ tempête et une aurore ensanglantée. Mais un sens allégorique se superpose aux images et le drame seul ◀de▶ la bataille se suffirait d’ailleurs à soi-même par le tumulte et la variété des épisodes.
Les personnages formidables vivent ◀d’▶une vie énorme et monstrueuse. L’antique Poseidôn, terrible et beau, ne se peignait pas dans les cerveaux hellènes sous la figure ◀de▶ la Mer Souveraine :
Mirage ! Une énorme face anguleuse et olivâtreSortit toute ruisselante des eaux.Sous une vaste chevelure liquideSoulevée et jaillissante en auréole noire !Mordait le ciel ; et c’étaient des torrentsEt ruisselant à rebours pour remonter leur lit ;Et mon Rêve reconnut avec effroiEt sa bouche s’ouvrait en forme de ventouse.
Mais la mesure manque à cette force désordonnée et il semble que M. F.-T. Marinetti, assourdi par les typhons qu’il a déchaînés, ne perçoive plus toujours la valeur relative des mots et des sons ; il nous déplaît qu’il use ◀de▶ l’onomatopée, alors qu’il est capable ◀de▶ traduire par le langage humain les appels stridents des vagues et son
Hola hé ! Hola ho ! Stridionla ! Stridionla ! Stridionlaire !
pouvait être transposé sans dommage. Il est fâcheux aussi que les commandements, sortis des bouches effroyables, aient trop ◀d’▶analogie avec les commandements ◀de▶ quelque colonel, voire ◀de▶ quelque sous-officier :
En avant les cyclones ! écrasez sous vos projectilesLes armées sidérales qui débordent le faîte !
Et auparavant :
Les houles, en avant ! piquez les licornes !Trombes, typhons, en avant !
M. F.-T. Marinetti, riche ◀d’▶imagination, n’a pas encore acquis le goût sûr qui lui permettra ◀de▶ discerner et ◀de▶ choisir. Mais ne vaut-il pas mieux pécher par excès que par défaut ?
Lettres allemandes.
Paul Ernst : Altitaliænische Novellen,
Leipzig, Verlag der Insel, 2 vol. M. 6
Je ne sais pas si M. Fr. Blei voudrait envelopper dans sa charmante satire l’intéressante tentative ◀de▶ M. Paul Ernst. M. Paul Ernst, que nous avions déjà vu occupé à des travaux moins heureux, réunit, en deux volumes, un choix ◀de▶ vieilles nouvelles italiennes. Ces Altitaliænische Novellen sont un recueil des meilleurs conteurs italiens depuis la fin du treizième siècle jusqu’au dix-septième siècle. Les traductions sont en une langue agréablement archaïque, où le style des vieilles chroniques se mêle à une simplicité voulue, mais difficile à réaliser. Une introduction qui s’intitule pompeusement La Badia de Fiesole doit communiquer au lecteur l’atmosphère dont s’imprégna le traducteur. Sauf deux ou trois phrases elle est pédantesque et inutile. Il était superflu ◀de▶ créer, par la simulation ◀d’▶un cénacle ◀d’▶auditeurs, un lien artificiel entre les différentes nouvelles. Pour faire sa sélection dans les innombrables recueils ◀de▶ contes plus ou moins célèbres, M. P. Ernst n’avait qu’à suivre son goût personnel Mais il a écarté par principe, sans d’ailleurs en avertir le public, tout ce qui pouvait choquer la bienséance. Ce puritanisme contribue plutôt à donner une image inexacte ◀de▶ ces siècles admirables où la liberté du langage égalait la liberté des mœurs. Mais, tels qu’ils sont, et avec les restrictions que je viens de faire, les deux volumes ◀de▶ M. Ernst doivent être chaudement recommandés. Le premier tome débute par quatre récits tirés des « cent vieilles nouvelles », puis ce sont six contes du Florentin Francesco Sacchetti qui mourut vers 1400. Les légendes ◀de▶ saint François, les fragments ◀de▶ sermon ◀de▶ Bernardin de Sienne (1426) alternent avec des contes ◀de▶ Florentins inconnus, d’autres ◀de▶ Giovanni Sercambi de Lucques (1347-1427), ◀de▶ Giovanni da Prato (1360-1430), ◀de▶ Francesco Maria Molza de Modène (1489-1544) et d’autres. Le second tome est presque entièrement consacré au seizième siècle, où brillent encore les Florentins : Grazzini, Sebastiano Erizzo, Antonfrancesco Doni, etc. La place ◀d’▶honneur est tenue par Matteo Bandello, évêque ◀d’▶Agen, dont M. Ernst traduit trois contes. — ◀D’▶un format élégant et commode les Nouvelles italiennes ne tarderont pas à être considérées en Allemagne comme ouvrage ◀de▶ bibliothèque. Le principal mérite en est aux éditeurs ◀de▶ la Insel qui ont réalisé là un petit chef-d’œuvre ◀de▶ typographie. Le ton chamois ◀de▶ la couverture rembrichée s’harmonise parfaitement avec le vert foncé du titre encerclé ◀d’▶or. Le bel effort pour régénérer l’art du livre commence enfin à porter ses fruits !
Lettres anglaises.
Maurice Hewlett : Earthwork out of
Tuscany, cr. 8°, xvi-205 p., 5 c., Macmillan
Tous ceux que séduisirent le beau talent ◀de▶ Mr Maurice Hewlett et qui admirèrent The Little Novels of Italy, The Life and Death of Richard Yea and Nay, et The New Canterbury Tales, seront sans doute très heureux ◀de▶ savoir qu’ils peuvent maintenant se procurer l’introuvable volume qui s’appelle Earthwork out of Tuscany : les éditeurs Macmillan viennent ◀d’▶en faire une réimpression et ◀de▶ l’inclure dans leur intéressante Eversley Series. Mr. Hewlett préface pour la troisième fois son ouvrage qui fut à diverses reprises peu et mal compris et déclare éprouver, à son sujet, avec toutes ses anxiétés, un peu de l’orgueil ◀de▶ la poule qui conduit sa couvée ◀de▶ petits canards à l’eau, les voit s’embarquer sur les flots et doit les laisser à leurs jeux nautiques, craintive, mais sentant bien aussi qu’ils accomplissent un plus fameux exploit que ses propres mérites ◀de▶ poule n’auraient pu espérer leur gagner. Il ne faut pas séparer ces essais : chacun ◀d’▶eux est indispensable aux autres. Sans eux, on ne saurait comprendre l’auteur dans son subséquent développement. C’est à peine si nous oserions indiquer des préférences pour les fragments intitulés : Eye of Italy, The Soul of a Fact, Quattrocentisteria, etc., sans toutefois prétendre les séparer en rien du reste, et nous admirons le sanctuaire ◀de▶ divinités terrestres que, dans sa piété païenne, l’auteur a arrachées des ruines ◀de▶ temples abolis et replacés sur leur autel — son autel.
Variétés.
Pages ◀de▶ maîtres
Une galerie ◀d’▶œuvres admirables va être dispersée ou, tout au moins, définitivement séquestrée sans que Paris ait eu le moyen ◀d’▶en jouir. C’est la collection lentement réunie par M. Ravaisson-Mollien père3.
Mantegna, Raphaël, Luini, Michel-Ange, le Corrège, Giorgione, Véronèse, Rubens, Van Dyck, Philippe de Champaigne, Téniers, Van Goyen, Steen, Rembrandt, Poussin, Claude Lorrain, Chardin, Moralès, Vélasquez, Murillo, Holbein… — plusieurs des plus grands noms ◀de▶ toutes les écoles, en des œuvres presque toutes importantes.
Une exposition publique ◀de▶ ce précieux cabinet eût été désirable, occasion ◀de▶ joie et ◀d’▶étude, ◀de▶ développement… Jusqu’à quel point (soit dit, dans la circonstance, en toute courtoisie) les détenteurs ◀de▶ merveilles ◀d’▶art, initialement comme à jamais dédiées au monde par le génie, ont-ils le droit ◀d’▶en intercepter, au profit ◀d’▶eux-mêmes ou du prochain acquéreur, le rayonnement ?…
— Le devoir ◀de▶ le propager s’impose à chacun selon ses forces qui fut admis à contempler : et je voudrais fixer ici le souvenir ◀de▶ quelques-unes des plus notables pièces ◀de▶ ce musée, avant la vente.
Quelques-unes seulement. Le soin ◀d’▶être complet ne me tente ni ne s’impose : cette collection de plus ◀de▶ cent numéros — toiles, panneaux, marbres, pierres et bois — comporterait mal aisément un catalogue raisonné. Elle n’a pas ◀d’▶unité. Malgré tant ◀d’▶expérience, le goût du collectionneur ne fut pas infaillible et des choses moyennes voisinent ici avec des chefs-d’œuvre, ◀d’▶aucuns compromis par les retouches. Et le significatif despotisme ◀d’▶une préférence personnelle n’a pas présidé à cet assemblage. On sait telle collection plus intéressante encore par la passion dont elle témoigne que par la valeur des œuvres. Elle fut subjective à quelqu’un qui fit ◀d’▶elle en quelque sorte une œuvre encore singulièrement émouvante, le portrait ◀de▶ son âme. Tel n’est pas le cas.
Les circonstances, le hasard, les ventes, les voyages, les particuliers avantages qu’une position officielle dans l’administration des richesses artistiques ◀d’▶une grande nation offrait à un homme ◀d’▶érudition et ◀de▶ goût ont collaboré avec l’« Amour du beau » en général et la dévotion universelle à la gloire, simplement ; jusque dans son privé, l’honorable conservateur du Louvre échappait aux caractères exclusifs et arbitraires qui marquent une sympathie personnelle, un choix, une recherche ◀d’▶un certain ordre : il tint la balance, cette image classique ne semblera pas hors de propos, égale entre toutes les époques et toutes les écoles, jaloux ◀de▶ procéder à coup sûr, s’adressant donc aux plus grands noms, ne les agréant même guère que du consentement universel et ◀de▶ l’épreuve des années.
Il est remarquable que cet ami des plus grands artistes, ses contemporains, leur garda sa galerie close. À peine un Delacroix sans importance, un Decamps. Sauf ces deux exceptions, les plus jeunes maîtres du lieu ont cent ans, — Hogarth, Chardin, Boucher, — 1698, 1643, 1703… Ce culte du passé, touchant en quelque point, a ses torts, ses tares. Il se complique ordinairement ◀de▶ la recherche des authenticités nominales ; ce problème ◀de▶ l’attribution n’a que trop occupé
M. Ravaisson-Mollien. Il affirme ce Titien, il atteste ce Rembrandt, — et il se trompe. Qu’il fut imprudent, cet amateur curieux des signatures, ◀de▶ n’avoir pas saisi au passage des chefs-d’œuvre exécutés sous ses yeux ! Mais sa religion réfléchie voulait se prémunir contre toute hétérodoxie, les audaces contemporaines l’inquiétaient, la « patine du temps » le rassurait. Les amateurs, entre les plus éclairés, ne savent pas tous que les « audaces contemporaines », si par exemple c’est Delacroix qui ose, sont des retours aux principes et que la meilleure façon ◀d’▶honorer Phidias, c’est ◀d’▶aimer Rodin.
Et je le sens bien tout de même qu’elle a son importance, historique, et esthétique, et ◀de▶ psychologie générale, cette recherche des attributions. Elle est un épisode ◀de▶ la lutte acharnée ◀de▶ l’homme contre le temps, cette lutte que si étrangement nous nommons la gloire. Une œuvre belle se désigne d’abord, aux premiers témoins, par un nom ; puis, peu à peu, il s’écarte, s’abstrait et finalement s’exhale ◀d’▶elle comme un soupir. L’espèce dispute l’œuvre à l’individu et il est vertigineux ◀de▶ constater que, plus le chef-d’œuvre est évidemment souverain, moins il est personnellement attribuable. Et cela est juste ; il fallut, en effet, pour le produire les forces entières ◀de▶ tous les temps condensés en un siècle, et c’est par une fiction qu’elles parurent se réduire au geste ◀d’▶une seule main. Cela est surtout patent pour la poésie et l’architecture. Cela est vrai aussi pour la peinture et la statuaire. Un instant vient où les générations, héritières ◀d’▶un grand homme, comme lui se dégagent, instruites par lui, des préoccupations vaniteuses, égoïstes, et s’élèvent au pur amour ◀de▶ la vie et ◀de▶ la beauté. C’est alors que les grandes signatures s’effacent. Mais plus tard des hommes aux yeux moins ouverts, aux esprits moins largement remplis étant moins compréhensifs, cherchent à justifier une admiration qui ne sait plus où prendre les sûres références ◀de▶ la vraie Tradition et que l’Instinct abandonne, — et ils se penchent au bas du tableau pour y chercher les traces du Nom. C’est le temps des experts, des myopes, celui-ci.
Je dis que je vois l’intérêt ◀de▶ cet ordre ◀d’▶études et l’un des principaux tableaux ◀de▶ la galerie Ravaisson-Mollien m’y conduit.
La Vierge, dans ses bras l’Enfant, debout entre deux anges musiciens, dans un sanctuaire ◀d’▶architecture romane. — Le catalogue dit : Van Eyck.
Il est presque absurde ◀de▶ supposer, à notre date, qu’un tableau des Van Eyck puisse exister sans que la reproduction exacte, la description minutieuse en aient été longtemps faites, sans qu’aucune trace en subsiste dans les plus officielles chalcographies. C’est, pour mon compte, avec scepticisme que j’accueillis le renseignement. Mais devant l’œuvre une émotion profonde m’attendait. Ce panneau, très probablement détaché ◀d’▶un polyptyque dont les autres éléments sont épars, semble bien réunir, dans sa figure principale tout au moins, les caractéristiques du génie des Van Eyck. C’est bien là d’abord la gravité majestueuse qui désigne essentiellement leur vision.
On affirme volontiers, on a répété à satiété que les peintres du Nord ne sont pas mystiques. Taine l’a dit, d’autres l’on redit. Le réalisme flamand offusque notre premier regard. Ces femmes sans beauté, c’est-à-dire dans lesquelles nous ne trouvons pas les traits ◀d’▶élection ◀de▶ notre type ◀de▶ beauté, qui sont grandes et sans grâce, qui n’ont pas le charme, ces compositions qui sont si voisines ◀de▶ la vie quotidienne réduite à sa plus essentielle simplicité, ne nous semblent pas des moyens dignes ◀d’▶exprimer les mystères divins. C’est au génie italien que nous les demandons, — flattés par l’apprêt sensuel, en effet si séduisant, dont il les environne, et aveuglés à ce point par lui qu’alors qu’il s’interpose entre eux et nous massivement, nous croyons les pénétrer grâce à lui. Cette présentation sensuelle, si latine, est bien autrement incompatible avec l’intelligence mystique que le réalisme flamand. Il ne s’agit pas ici ◀de▶ décider lequel est le plus haut des deux arts ; sans doute ils s’égalent et le choix entre eux correspond probablement aux qualités ethniques du passant. Mais songez objectivement, les mêmes sujets s’imposent aux peintres chrétiens du xve et du xvie dans le Nord et dans le Midi. Les peintres du Midi réduisent l’objectivité au sujet même4, et tout en empruntant pour l’exprimer les ressources naturelles ils les subjectivent, ils les imprègnent et les saturent ◀de▶ leur propre personnalité. À l’objectivité du sujet les peintres du Nord ajoutent celle ◀de▶ la nature. C’est par là qu’ils étonnent et souvent blessent la sensibilité latine. Leur pinceau semble indifférent. Ils tiennent un compte égal des hommes et des choses : un visage, une nature morte. Ils ne prennent pas parti, ils composent à peine, on croirait qu’ils se gardent ◀d’▶intervenir. Cependant ils pensent, et ces mains que nous ne sentons pas frémir sont les instruments dociles et pourtant fervents ◀de▶ cette pensée. Dans la nature à laquelle ils restent extérieurs, en quoi ils ne voient point l’humble matière dont l’esprit latin est la superbe matrice, ils retrouvent et poursuivent un mystère apparenté à celui du dogme lui-même, à l’interprétation divine ◀de▶ la vie, un reflet ◀de▶ Dieu et non pas une dépendance ◀de▶ l’homme. Ils ne se croient point, il leur serait impossible ◀de▶ se croire le droit ◀de▶ déformer les êtres et les choses pour les réinformer selon un personnel idéal ◀de▶ douceur, ◀de▶ suavité, ◀de▶ grâce et ◀de▶ beauté. Ils sont des témoins respectueux qui regardent profondément. Les Latins sont des conquérants. La conception méridionale n’exclut pas la grandeur, mais risque la mièvrerie. La conception septentrionale exclut la grâce ou ne la comporte qu’accidentellement ; quand elle ne procède pas du génie, elle rencontre aisément la rudesse, la grossièreté, la trivialité.
Chez Van Eyck elle fait oublier l’absence même ◀de▶ la grâce, elle atteint plus haut, elle atteint tout en haut, et ce mot — majesté — s’impose à notre parole quand c’est ◀de▶ ce maître que nous voulons parler. Pas plus dans ses ouvrages incontestés que dans ce panneau probablement authentique ne cherchez l’être humain beau en soi, la femme « délicieuse », l’enfant « ravissant », cette fleur enfin ◀de▶ la vie humaine qui devant Raphaël, devant le Corrège, mêle à notre admiration l’attendrissement sensuel du plaisir. Le Jésus que tient dans ses bras, dans ses longues mains, la Vierge entre les anges n’est pas joli ; il ne correspond point du tout au christianisme anthropomorphique et latin qui a produit tant ◀d’▶images du Beau-Dieu. Il n’est qu’un enfant, à peine formé, la très humble apparence, à laquelle Van Eyck nous affirme que l’Être suprême se réduisit pour l’amour des hommes, ◀d’▶autant plus sublimement divin que plus modestement humain. Mais la Mère sait qui est le Fils ; elle le tient avec un respect infini couché contre son sein comme en un sanctuaire ; les longues mains font la croix sur le petit corps qu’elles touchent à peine, — et Lui, ◀de▶ ses deux bras levés, nimbe le sein maternel.
La tête ◀de▶ la Vierge, un peu large, très simple, reproduit les traits habituels du type
féminin des peintres flamands : l’ovale puissant, la saillie des pommettes, le
gonflement des paupières supérieures, l’ampleur du front en dôme, entièrement libre ; et
les cheveux épandus jusque sur les épaules, forment au visage et à la poitrine un cadre
sans recherche : à peine ondulent-ils en accompagnant la ligne droite du manteau. Au
contraire, les deux anges — ◀d’▶une exécution beaucoup moins intéressante que celle ◀de▶ la
figure principale — ont des chevelures frisées et leur front s’historie ◀de▶ mèches brunes
et blondes. Il y a dans ces deux petits personnages ailés quelque effort vers la grâce
et voire la joliesse ; mais c’est précisément ici que presque toujours échoue Van Eyck,
réserve faite ◀de▶ l’ange merveilleux ◀de▶ l’Annonciation dans le panneau extérieur ◀de▶
l’Adoration mystique5. Ces angelots ont du
moins l’intérêt ◀d’▶accentuer la dignité simple ◀de▶ la Vierge, la grandeur ◀de▶ son attitude
et jusqu’au caractère sculptural des vastes plis ◀de▶ la robe et du manteau. Les lignes
douces et graves ◀de▶ l’abside, dont toute une partie se maintient dans ce clair-obscur
déjà cher au premier en date, au père des peintres flamands, ferment bien le fond selon
les lois qui gouvernent, chez les Van Eyck et leurs successeurs, l’esthétique du
Paradis. Et la perspective naïvement méticuleuse, et la tonalité rouge-brun du manteau,
chantante et un peu sourde à la fois, et la construction soigneuse, idéalement réelle,
des mains féminines, tout ici, en vérité, dénonce bien ce premier des maîtres, cette
« peinture qui fait oublier tout ce qui n’est pas elle et donnerait à penser
que l’art ◀de▶ peindre a dit son dernier mot, et cela dès la première heure6 »
.
Un Van Eyck inconnu ◀de▶ la critique et du public ! Voilà, certes, un événement artistique ◀d’▶une singulière importance. Je me garde ◀d’▶affirmer rien, mais je dis : il est possible, et j’ajoute que la question mériterait l’examen des spécialistes, des compétents. Un tableau des Van Eyck, c’est une page maîtresse ◀de▶ l’histoire ◀de▶ l’art ; l’attribution ici est exceptionnellement grave et c’est mon excuse ◀d’▶y avoir tant insisté.
Une Sainte Famille attribuée à Quentin Metsys et une Vierge à l’enfant ◀de▶ Raphaël, du Raphaël des premiers instants, justifieraient, s’il était besoin, le parallèle tout à l’heure esquissé entre l’Italie et la Flandre ; ◀d’▶autant mieux peut être que, précisément en cet instant le plus mystique ◀de▶ sa pensée, Raphaël ne semble pas aussi éloigné qu’il le fut plus tard — la Vierge à la chaise, par exemple, — ◀d’▶une pure spiritualité picturale. Mais il s’en faut que les préoccupations du peintre soient initialement et naturellement orientées à cette spiritualité. L’élément plastique, la composition, aussi l’existence individuelle des personnages, en dehors et au-dessus ◀de▶ l’idée qu’ils devraient incarner, le requièrent d’abord, puis le retiennent. Vêtue ◀d’▶un riche manteau étoilé et brodé ◀d’▶or, le buste droit, la tête doucement levée, la Vierge assise tient sur ses genoux l’enfant et lui présente une colombe. Certes, l’attitude a une parfaite modestie, l’œil est limpide, — mais il nous regarde ; la main gauche ◀de▶ Marie tient à l’épaule l’enfant nu : les mains maternelles sont chargées ◀de▶ l’enfant, le regard lui est étranger. Et l’enfant aussi est distrait ◀de▶ la mère. Il n’y a point là ◀de▶ tendresse. Il n’y a point là davantage ◀de▶ divinité, malgré l’aspect très noble des deux personnages et leur double auréole.
Au contraire, chez le Flamand tout est intime et mystique. La mère et l’enfant appartiennent l’un à l’autre et l’enfant endormi, sans noblesse, sans grâce, est, peu s’en faut, dans les bras ◀de▶ sa mère, ce qu’il était dans son sein. Mais tout révèle les intentions du peintre. Le mouvement ◀de▶ Marie et ◀de▶ Jésus décrit une ligne courbe qui s’accomplirait en forme ◀d’▶œuf si la tête ◀de▶ Joseph — une énergique tête au regard triste, au front embroussaillé, à la longue barbe juive — ne s’y inscrivait pour l’élargir en cercle. Comme chez Raphaël, le bébé est nu ; mais, avec des mains bien plus fines et délicates, la mère évite ◀de▶ toucher le corps divin et c’est dans un lange ◀d’▶une blancheur sacrée, c’est dans le corporal qu’elle tient l’hostie. Et les deux têtes rapprochées, tendant l’une vers l’autre, protégée, protectrice, font une parfaite harmonie. Ni l’une ni l’autre n’ont ◀d’▶auréole, toutes deux sont ◀d’▶une réalité, ◀d’▶une familiarité évidentes : mais cette nourrice au sein nu est plus chaste que la noble madone italienne richement vêtue ; mais ce bébé aux genoux repliés vers les coudes, ce quasi-fœtus avec le développement exagéré ◀de▶ la tête et ses joues gonflées, est plus émouvant que l’élégant bambino. — Naturellement, la vierge ◀de▶ Quentin, à travers ses paupières baissées, n’a ◀de▶ regards que pour son fils, et c’est le père, le gardien, le vigilant, qui surveille l’horizon.
Ces deux tableaux sont des pièces très précieuses. Surtout peut-être le Raphaël, en dépit des préférences que je viens ◀d’▶indiquer, et au point de vue ◀de▶ l’histoire ◀de▶ l’art, a une importance capitale. Il n’y a rien au Louvre qui marque cette date dans l’œuvre du maître.
Un autre tableau ◀de▶ la première manière aussi, assure-t-on, ◀de▶ Raphaël, plus intéressant encore, porte sur le catalogue ce titre : Orphée et Eurydice. Guère plus que les attributions, les désignations ◀de▶ sujets ne nous intéressent. Un beau pâtre assis sur un roc, le visage imberbe et demi-féminin, la chevelure au vent, le front couronné ◀de▶ lauriers, des yeux extraordinairement larges, abîmes où semble se résorber toute la vie ; l’attitude nonchalante, et lyrique pourtant, ◀d’▶un bel animal humain, à peine vêtu ; on devine un corps ◀d’▶androgyne ; ◀de▶ la main gauche il appuie à son genou une flûte ◀de▶ Pan, l’autre main s’étoile à la ceinture. Un peu en arrière, pour se reposer aux épaules du jeune homme ou pour le caresser, une toute jeune femme avance ses mains, ◀d’▶un geste câlin et noble, tandis que le torse reste droit, et les deux têtes charmantes, à droite, à gauche, sur un fond ◀de▶ paysage où ◀de▶ solides taureaux aux cornes aiguës suivent et précisent ◀de▶ leurs courbes celles ◀de▶ douces collines lointaines, font symétriquement à gauche, à droite, chacune un angle léger. La couleur est ici pour autant que le dessin, et il serait du reste curieux ◀de▶ vérifier le procédé matériel employé par le peintre.
Ce petit tableau (28 ◀de▶ hauteur sur 20 ◀de▶ largeur) est-il ◀de▶ Raphaël ? Qu’importe ! C’est une très belle, très décorative et très rare chose.
Mon intention ne saurait être ◀de▶ tout dire, et pourtant j’aurais aimé m’arrêter longuement à telle esquisse du Corrège, à tels tableaux ◀de▶ Rembrandt — une Sainte Famille, dans l’intérieur vaste ◀d’▶une maison voûtée ; la lumière émane du berceau, éclairant saint Joseph ; la Vierge se silhouette en ombre noire sur cette nappe ◀de▶ clarté ; — ◀de▶ Luini, ◀de▶ Fra Bartolomeo, du Giorgione, ◀de▶ Véronèse, du Guerchin. Un Christ de Moralès, ◀d’▶une désolation intense, une fillette ◀de▶ Velasquez, une Apparition ◀de▶ Jésus à saint Antoine de Murillo, des enfants et des moutons du même ; deux très admirables portraits ◀d’▶Holbein…
L’esquisse du Corrège dont je parlais, deux têtes ◀d’▶anges, étude pour la fameuse fresque ◀de▶ la cathédrale ◀de▶ Parme, serait une révélation pour qui ne connaîtrait ◀de▶ ce peintre prodigieux que sa manière aimable, — le sommeil ◀d’▶Antiope, Io se donnant à Jupiter ou la Léda. Ici c’est l’audace qui parle, l’énergie, la vigueur. ◀De▶ ces deux anges en plein ciel, l’un, qui fend l’air ◀d’▶un élan tout-puissant, les cheveux dans le vent, le visage ailé lui-même ◀d’▶un vaste rire, semble une force ◀de▶ la nature, un élément, la joie vivante ; et l’autre, dont la tête seulement nous est visible, pensif, attentif, le front lumineux, pourrait se nommer la Méditation.
Il faudrait indiquer encore une superbe réplique ◀de▶ l’Esclave, ◀de▶ Michel-Ange, deux bas-reliefs du xve et du xvie siècle, des antiques et notamment un torse, style et marbre grecs, parfaitement beaux, des dessins ◀de▶ Rembrandt, ◀de▶ Rubens, ◀de▶ Michel-Ange, du Titien, ◀de▶ Filippo Lippi, ◀de▶ Passignano…
Tome XLIV, numéro 155, novembre 1902
Théâtre ◀d’▶art international : Le Triomphe, pièce en 4 actes, ◀de▶ Roberto Bracco, traduction ◀de▶ MM. Sansot-Orland et Roger Le Brun
Le théâtre ◀d’▶art international a inauguré ses représentations par celle du Triomphe, pièce italienne ◀de▶ M. Roberto Bracco ; le choix est heureux, et Le Triomphe vaut la peine ◀d’▶être connu. Le principal personnage en est, physiologiquement et moralement, étudié avec le plus grand soin, et le conflit qu’il provoque entre ses besoins et ses rêves, conflit dont il est la première victime, donne matière à un drame puissant. Çà et là, des épisodes pittoresques, justifiés d’ailleurs et sagement développés, varient avec bonheur le ton grave ◀de▶ la pièce.
Mme Barbieri, MM. Bour, Leubas et Bernard ont fort bien tenu les principaux rôles du Triomphe.
Publications ◀d’▶art
Les Revues : Gazette des Beaux-Arts [extrait]
Gazette des Beaux-Arts (1er octobre). Au même numéro, suite des articles […] sur l’École ◀de▶ Fontainebleau et le Primatice, par M. Müntz.
Les Revues : L’Art décoratif [extrait]
L’Art décoratif (Octobre). […] L’Exposition ◀de▶ Turin, par M. Gustave Soulier. […]
Tome XLIV, numéro 156, 1er décembre 1902
Littérature dramatique.
Cœcilia Vellini : Comédienne et
Carmélite : étude historique sur Marie-Jeanne Gauthier, ◀de▶ la
Comédie-Française
Quiconque suivit, dans la Revue ◀d’▶Art Dramatique, les articles ◀de▶ Mme C. Vellini au sujet de la Gauthier apprendra avec plaisir la publication ◀de▶ son étude complète sur cette fille droite et passionnée, dont la pauvreté fit une actrice célèbre, que l’on a vue fatiguer le maréchal ◀de▶ Saxe dans la lutte aux poignets, rouler comme oublies des assiettes ◀d’▶argent, se travestir en cocher pour courir au fond ◀de▶ l’Allemagne verser une rivale ◀d’▶amour avec son carrosse dans la boue, et qu’un beau jour ◀de▶ ses trente ans, en pleine beauté, le Christ reprit pour en faire une Carmélite ; or le récit ◀de▶ sa conversion, déjà publié par Laplace, a les mêmes accents réalistes qu’En route !
Publications ◀d’▶art
Alphonse Germain : L’Influence ◀de▶ saint François d’Assise sur la civilisation et les arts, Bloud, 0 fr. 60
Alphonse Germain nous a donné depuis lors de nombreuses études toujours graves et réfléchies. Sa méditation gagne à son isolement. Aujourd’hui il publie un volume : Le Sentiment ◀de▶ l’art et sa formation par l’étude des œuvres et deux brochures L’art chrétien en France des origines au xvie siècle et l’Influence ◀de▶ saint François d’Assise sur la civilisation et les arts. On retrouvera dans ces travaux les qualités qui distinguent l’auteur : la logique, l’ordonnance, la clarté et la sûreté du jugement.
Louis Bordet et Louis Ponnelle : Conversazioni Romane, Ernest Leroux
Sous le titre ◀de▶ Conversazioni Romane, MM. Louis Bordet et Louis Ponnelle ont réuni six conférences traitant le Fra Angelico, ◀de▶ Raphaël, ◀de▶ Lucas Signorelli, ◀de▶ Giotto, ◀de▶ la sculpture grecque au Vatican et ◀de▶ l’architecture ◀de▶ Saint-Pierre. M. Ernest Leroux, l’éditeur, a bien fait ◀de▶ réunir ces quelques pages où l’on peut trouver facilement un certain nombre ◀de▶ documents.
Les Revues : Le Bulletin ◀de▶ l’art ancien et moderne
Le Bulletin ◀de▶ l’art ancien et moderne (15 novembre). — Quelques lignes sur M. Eugène Müntz qui vient de mourir :
« Il était né en 1845 ; de bonne heure il s’était intéressé aux choses ◀de▶ l’art et à leur histoire, et avait déjà publié ◀d’▶intéressantes monographies dans la Revue ◀d’▶Alsace quand la création ◀de▶ l’École française ◀de▶ Rome lui ouvrit définitivement sa voie. C’était au lendemain ◀de▶ la guerre ; l’énergique initiative ◀d’▶Albert Dumont venait de triompher ◀de▶ toutes les difficultés ; l’École du palais Farnèse était fondée ; dans la promotion du début, nous retrouvons le nom ◀d’▶Eugène Müntz, à côté de celui ◀de▶ l’abbé Duchesne, qui préside aujourd’hui aux destinées ◀de▶ l’établissement dont il fut le premier élève.
« Müntz s’y était bien vite conquis une place à part en dépouillant le Liber Pontificalis et en se consacrant à l’étude des archives du Vatican ; travailleur acharné, il ne parut tout d’abord pas pressé ◀de▶ publier, mais on put apprécier le résultat ◀de▶ ses patientes recherches quand parurent successivement les divers volumes des Arts à la cour des papes, si pleins ◀de▶ faits et ◀de▶ renseignements. Plus tard, et à bref délai, on vit se suivre les Précurseurs ◀de▶ la Renaissance, le Raphaël, devenu classique, et l’Histoire ◀de▶ la tapisserie.
« Désormais, il est maître ◀de▶ son sujet, il a son domaine à lui, la Renaissance italienne est devenue sa chose propre : mémoires et volumes se succèdent, tantôt savants, tantôt abandonnant tout appareil scientifique pour se mettre à la portée ◀de▶ tous, aboutissant enfin à ce Léonard de Vinci qui fut sa dernière œuvre passionnelle, et que devait compléter une Histoire générale ◀de▶ la Renaissance, allant par la France de l’Italie jusqu’au Nord.
« En dépit de tant de travaux, Müntz trouvait encore du temps pour s’occuper ◀de▶ cette belle bibliothèque ◀de▶ l’École des Beaux-Arts, dont il fut en quelque sorte le second fondateur et au développement ◀de▶ laquelle il s’était voué tout entier. C’est une œuvre spéciale, à côté de celle ◀de▶ l’écrivain, qui s’impose, elle aussi, à notre gratitude. »
Les Revues : Le Monde catholique
Le Monde catholique (15 octobre). — Les fresques ◀de▶ l’appartement papal au château Saint-Ange de Rome par le major Mariano Borgatti.
Les Revues : Deutsche Kunst und Dekoration
Deutsche Kunst und Dekoration (nos VII et VIII). — Nouveau fascicule consacré à l’Exposition internationale ◀de▶ Turin.