Tome LXVII, numéro 239, 1er juin 1907
La question religieuse. Enquête internationale [IV]
M. Cesare Lombroso. Professeur de▶ psychiatrie à l’Université ◀de▶ Turin
Pour qui a étudié sérieusement l’histoire des religions, il n’y a aucun doute : elles s’appuient sur une série ◀d’▶erreurs qui viennent de quelques besoins humains, spécialement du besoin ◀d’▶être protégés contre des forces, vis-à-vis desquelles nous nous sentons impuissants, comme les météores, les épidémies ; et, s’il se peut qu’une institution sortie ◀d’▶une erreur puisse évoluer, elle finit toujours par tomber dans une autre erreur.
Ainsi, la religion qui est la création ◀d’▶un vrai et grand philosophe — celle ◀de▶ Bouddha — a fini dans les rites et les formules presque vaticanesques du Tibet. Une évolution véritable serait sa chute et épargnerait aux peuples ◀de▶ semblables mésaventures. Pourtant, c’est un fait certain, n’importe quelle religion — même la religion catholique, qui est empêchée ◀d’▶évoluer par ses dogmes (sint ut sunt, aut non sint, c’est la maxime des Jésuites) — est contrainte ◀de▶ s’adapter à la culture des peuples auprès desquels elle est en honneur ; ◀de▶ s’adapter par fragments, mais ◀de▶ s’adapter. Et c’en est un symptôme que ce jésuite anglais excommunié il est vrai par l’Église, mais pourtant jésuite jusqu’à la fin des temps, qui ne désavoue pas Darwin.
Histoire.
Memento [extrait]
◀D’▶une étude historique et doctrinale sur le Procès ◀de▶ Galilée, par
M. Gaston Sortais (Bloud), nous citons cette conclusion, qui indique très nettement les
points sur lesquels ont portée l’examen et les appréciations ◀de▶ l’auteur : « Les
congrégations romaines et les papes Paul V et Urbain VIII se sont trompés en
condamnant Galilée. »
(Conclusion générale, mais voici le point de vue
spécial :) « Qu’importe, cependant, au point de vue doctrinal, le seul qui nous
préoccupe actuellement, puisque les sentences des congrégations sont réformables et
que, dans l’espèce, les papes Paul V et Urbain VIII n’ont pas parlé ex-cathedrâ, c’est-à-dire n’ont point imposé une doctrine à la croyance ◀de▶
l’Église universelle. L’infaillibilité pontificale est donc hors de
cause. »
[…]
Lettres allemandes
Annette Kolb : Die Briefe der Heiligen Catarina von Sienna ; Leipzig, Julius Zeitler, M. 4
Nous devrions posséder en français un recueil ◀de▶ lettres ◀de▶ Catherine de Sienne aussi parfait que ce choix dont Mme Annette Kolb a eu l’heureuse idée. L’aménagement du texte, toutes les dispositions typographiques sont ◀d’▶une sobriété que nous pourrions envier à l’éditeur Zeitler, ◀de▶ Leipzig. La traductrice a fait précéder son ouvrage ◀d’▶une préface qui nous donne ◀de▶ Catherine le portrait le plus attachant.
Elle ne possède ni la veine ◀d’▶un François d’Assise, ni l’envolée ◀d’▶un Ekkehard, ni les visions lumineuses ◀d’▶un Jacob Boehme. Dans la contemplation pure elle ne se montre pas ◀d’▶une sensibilité extrême ni ◀d’▶une imagination abondante. Pour les problèmes les plus profonds elle se contente des lumières du catéchisme ; le sens énigmatique, multiple et secret ◀d’▶une parole n’existe pas pour elle, car le sentiment véritable ◀de▶ cette extatique est porté vers le réel. Elle possédait un talent ◀d’▶homme ◀d’▶État, qui se révèle dans la forte logique, dans la magnifique construction ◀de▶ ses lettres. Peut-être que ce qu’il y a ◀de▶ non spéculatif dans sa forte intelligence se rencontre avec ses dons politiques, comme ce fut le cas, en une plus grande mesure, chez le Dante. C’est pourquoi ses lettres sont ◀d’▶un intérêt supérieur à ses autres écrits, car elles nous révèlent mieux ce qu’il y a de plus attachant chez Catherine, c’est-à-dire sa personnalité.
En étudiant l’influence que Catherine de Sienne a exercée sur Grégoire XI et sur Urbain VI, Mme Kolb croit pouvoir insinuer que, si la sainte avait vécu cent ans plus tard, la Réforme eût pu être évitée.
Faute ◀de▶ pouvoir hasarder un jugement, nous ne dirons rien du choix des lettres. Elles sont ◀d’▶une lecture des plus attachantes. Un portrait ◀de▶ Catherine de Sienne d’après Sodoma sert ◀de▶ frontispice au volume.
Jacob Burckhardt : La Civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. M. Schmitt, 2 vol. Paris, Plon, 7 fr.
On sait en quelle estime Frédéric Nietzsche tenait le savant professeur bâlois, auteur ◀de▶ la Civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Dans la solitude ◀de▶ sa pensée, alors que personne en Allemagne ne daignait même essayer ◀de▶ le comprendre, le sentiment ◀de▶ posséder à Bâle un ami qui avait saisi la portée ◀de▶ ses travaux suffisait souvent à réconforter le philosophe ◀de▶ Zarathoustra. Déjà malade, Nietzsche parlait encore parfois ◀de▶ Jacob Burckhardt, comme s’il avait besoin ◀d’▶un témoin pour attester sa valeur.
On ne lit pas assez Burckhardt en France. Cet admirateur ◀de▶ la civilisation latine ne paraît sans doute pas assez germanique à nos intellectuels épris ◀de▶ théories nébuleuses. Il faut donc féliciter la maison Plon ◀d’▶avoir mis à la portée ◀de▶ tout le monde, par une réédition portative, les deux volumes ◀de▶ l’excellente traduction ◀de▶ la Cultur im Zeitalter der Renaissance que M. Schmitt, professeur au lycée Condorcet, a entreprise il y a une quinzaine ◀d’▶années déjà.
Memento [extrait]
[…]
Das literarische Echo (1er mai) fait connaître à ses lecteurs, par la plume ◀de▶ Mme Hélène Zimmern, l’écrivain italien E. A. Butti, dont elle reproduit un fort bon portrait. […]
Lettres italiennes
Giulio Orsini (Domenico Gnoli) : Poesie edite ed inedite. Soc. Tip. Ed. Nazionale. Turin-Rome
M. Domenico Gnoli était parmi les plus sérieux poetæ minores ◀de▶ l’Italie, lorsque l’art du poète-politicien Carducci dominait tous les cénacles et en imposait partout par la vigueur ◀de▶ la prosodie qu’il renouvelait, et souvent par les fortes qualités ◀de▶ sa langue. Depuis quelques années, M. Domenico Gnoli, sous le nom ◀de▶ Giulio Orsini, a cessé ◀d’▶être un poète ◀de▶ second ordre.
Plus souple que ◀d’▶◀Annunzio▶, plus nerveux et plus inspiré que Pascoli, tout en précédant par son âge ces deux poètes, il est plus jeune qu’eux dans son art. Car dans le creuset ◀de▶ son étrange lyrisme il jette à pleines mains ces trésors ◀d’▶élégances pensives, ces flamboyantes pierreries ◀de▶ la volonté philosophique, qui semblent être le caractère essentiel ◀de▶ notre plus jeune génération ◀de▶ poètes.
L’art ◀de▶ Giulio Orsini plane au-dessus des tendances contemporaines, confirmées et acceptées, ◀de▶ la littérature italienne. Il plane au-dessus ◀de▶ l’art social à grande envergure ◀d’▶un poète généralement très méconnu, M. Mario Rapisardi, et ◀de▶ l’art épique ◀de▶ M. G. Marradi. Par des qualités profondément émotives, et ◀d’▶émotion profondément évocatrice, la poésie ◀de▶ Giulio Orsini est celle du dernier romantique, ou plutôt du premier grand néo-romantique, que la littérature méditerranéenne, italienne ou française, nous ait donné ces derniers temps.
Le romantisme ◀de▶ Giulio Orsini est fait ◀d’▶un subjectivisme passionné et absolu. Étant très moderne, il se complique ◀d’▶un sentiment panthéiste très spontané, qui vibre harmonieusement avec toute la vie ◀de▶ la nature, et s’émeut au centre même ◀de▶ la vie, devant les visions isochrones ◀de▶ l’âme humaine, ◀de▶ l’âme ◀de▶ la terre, ◀de▶ l’âme des astres perdus dans l’espace. Le sentiment panthéiste ◀de▶ Giulio Orsini a ainsi très souvent les caractères ◀d’▶une véritable « intelligence panthéiste », dont les représentations esthétiques, qui semblent à la fois impulsives et réfléchies, ne s’égarent jamais dans l’évocation minutieuse et lente des objets ◀de▶ la nature, ainsi que nous l’observons dans la poésie ◀de▶ Pascoli ou ◀de▶ Francis Jammes, ou dans celle ◀de▶ Mme de Noailles, qui en général n’est plus qu’une mièvre parodie ◀de▶ l’esthétique panthéiste. M. Giulio Orsini s’exprime au contraire dans une prosodie rapide, libre, vigoureuse, où la vie humaine et la vie végétale se fondent joyeusement dans la vision ◀de▶ la vie universelle.
Le volume des Poesie edite e inedite contient toute l’œuvre ◀de▶ cet étrange grand artiste. Elle apparaît d’abord sous la signature vague ◀de▶ Dario Gaddi. Puis ce fut le tour des Odi Tiberine, signées du vrai nom du poète, où je ne sais pourquoi la critique s’obstine à ne pas reconnaître la plupart des qualités ◀de▶ souplesse idéale et expressive qui éclatent dans les dernières publications ◀de▶ l’écrivain.
Ensuite, Eros, paru sous un nom féminin : Gina d’Arco, contient des poèmes simples, tendrement amoureux, qui semblent écrits vraisemblablement par une femme dont la nostalgie sensuelle serait cultivée par ◀de▶ belles lectures. Enfin, voici l’apparition d’Entre la Terre et les Astres, dont la critique fut tant impressionnée, et tant intriguée par le mystère qui entourait le poète. Cette partie du volume, celle qui porte le nom ◀de▶ Giulio Orsini, est chronologiquement la dernière ◀de▶ l’activité poétique ◀de▶ M. Domenico Gnoli ; elle est la première du volume qui vient de paraître.
C’est dans Fra Terra ed Astri qu’on retrouve l’éclosion impétueuse du poète et la large mesure ◀de▶ son romantisme. Le caractère principal ◀de▶ ce romantisme, loin ◀d’▶être dans l’opulence logique, dans le geste seigneurial des grands romantiques français du siècle dernier, est tout entier dans la pensée trop aiguë et par cela même trop inquiète ◀de▶ l’artiste. Ici il n’y a pas ◀d’▶affirmations trop grandes sur la solennité ◀de▶ la vie, ni ◀de▶ négations trop radicales sur la vanité des efforts humains. Un aspect ◀d’▶âme, que je retrouve déjà dans les Odi Tiberine, se révèle constamment par une « interrogation ». Presque toujours l’élan lyrique est brisé par une interrogation, et il se renouvelle ainsi plusieurs fois dans le cours ◀d’▶un poème, donnant une impression ◀de▶ violente originalité rythmique, à laquelle l’attention du lecteur est perpétuellement enchaînée, et par laquelle elle est irrésistiblement émue. Cette interrogation constante scande le rythme ◀d’▶un poème ◀d’▶une manière toujours inattendue, résonne souvent comme les éclats ◀d’▶un grand rire sceptique ; elle témoigne ◀de▶ l’âme neuve ◀de▶ ce poète dominée par la vision précise des contrastes, des analogies, des innombrables parallélismes ◀de▶ la vie, qui à nos esprits ◀de▶ transition, nouvellement ouverts à toutes les plus disparates compréhensions, font sembler trop grossier, trop unilatéral, tout engouement, et forment ainsi notre inquiétude moderne en multipliant sans cesse nos sensations, nos émotions, nos pensées.
Non. C’est lady Macbeth. Le poèteEt quoi ? était-il donc prophète ?…………………………………Mais il y a toujours cette exécrabletache ! (le docteur écoute et note)toujours, toujours cette odeurqui suffise, oh ! ils seraient vainsne suffirait pas à laverma petite main.Une, deux, trois. C’est l’heuredu hibou. Serre avec fermetéle poignard, Kitchener, sois ferme !Qui a dit Kitchener ? Le poèteEt quoi, était-il donc prophète ?…………………………………« Mais toujours du sang ! Oh il ne semble pas possibleque ce damné-là eût pleinesvieux boër damné ! »Qui a dit boër ? Le poèteEt quoi, était-il donc prophète ?Voici le fantôme blanc. Il baissela voix. Il a la lampe, ne la vois-tu pas ?et il frotte la tache. C’est lady,c’est lady qui passe.Ne regarde pas le corbeau qui croasse.Si à lady ne suffit pas une mer,Angleterre en a beaucoup pour laver
Je signalerai volontiers comme la plus belle et la plus poignante composition du poète, l’évocation ◀de▶ Jacovella, la jeune femme ◀de▶ la Renaissance, qui joua du luth devant Raphaël, et que le poète aime et va chercher dans la petite maison, encore debout, ◀de▶ cette lointaine beauté.
Jacovella, tu es morte,Depuis longtemps tu es morte, et moi je vis.Vivants ou morts, que nous importe ?Jusqu’à toi, le long des siècles, j’arrive.Jacovella, une propositionJe veux te faire ; approche-toi.Donne-moi la main ; voulons-nousNous aimer, Jacovella ?
Et Jacovella répond :
Oui, poète, je veux t’aimer.Tu as fait un si long cheminPour venir me trouverTu as visité la chambreOu seule seuleJe chantais sur la violeJ’ai perdu ma chevelure abondante,J’ai perdu ma douce prunelleJe suis morte, et tu es venu !…………………………………
Ce grand romantique est vraiment à l’avant-garde des jeunes poètes, ◀de▶ tous ceux qu’il a voulu rallier en écrivant le poème : Ouvrons les vitres, qui peut être une voix ◀d’▶appel pour tous les poètes ◀de▶ notre race :
La Muse gît anémiqueSur la couche des vieux ancêtres ;À nous, jeunes, ouvrons les vitres,Renouvelons l’air enfermé !L’esprit antique ? Il est mort.Et Lazare seul a resurgi.Paix aux choses ensevelies !Et toi aussi tu es morte : le ventTa voile, ô Renaissance ;Le vent qui maintenant caresseLa chevelure fumante des machines,La chevelure longue et noire…………………………………Ô pères ! vous fûtes vous-mêmes,Bénie soit votreMémoire ! À nous, fils, maintenantNotre vie : nous voulons être nous-mêmes !
Annibale Pastore : G. M. Guyau e la genesi dell’idea di tempo. « Coenobium ». Lugano
À la présentation ◀d’▶un poète fortement nouveau, il me plaît ◀de▶ faire suivre l’image
◀d’▶un penseur qui reste comme un des plus grands précurseurs ◀de▶ notre évolution
philosophique : M. Guyau. L’étude que M. Annibale Pastore lui consacre : Giovanni Maria Guyau e la genesi dell’idea di tempo, parue d’abord dans une
double importance. Elle résume nettement la pensée ◀de▶ Guyau sur les conceptions ◀de▶
temps et ◀d’▶espace, et surtout sur la précédence ◀de▶ l’idée ◀de▶ l’espace à celle du
temps. En outre, M. Annibale Pastore se révèle non seulement un exégète aigu, et en
tous points digne ◀de▶ l’apôtre ◀de▶ la vie « la plus intensive et la plus
extensive »
, mais savamment et courageusement il se range avec les nouveaux
philosophes qui voient dans la fusion ◀de▶ la poésie et ◀de▶ la philosophie l’avenir
éclatant des nouvelles affirmations ◀de▶ notre pensée.
M. Annibale Pastore affirme que l’œuvre ◀de▶ Guyau « tombe vraiment sur le point
◀d’▶intersection ◀de▶ deux lignes, dans le cœur même ◀de▶ la philosophie. Car la
philosophie doit vivre deux vies : la vie du sentiment et la vie ◀de▶ la raison. Avec
Guyau devait commencer une révélation ◀de▶ la pensée vraiment lumineuse et vigoureuse.
Un âge nouveau : protestation contre la philosophie déracinée ◀de▶ l’art, protestation
contre l’art incompatible avec la philosophie… »
. Novalis avait déjà affirmé
que « la poésie est le réel absolu ; plus une chose est réelle plus elle est
poétique »
et que « la séparation des philosophes et des poètes n’est
qu’apparente et a lieu au détriment des deux ; c’est le signe ◀d’▶une maladie et ◀d’▶une
constitution maladive »
.
La critique ◀de▶ la Genèse ◀de▶ l’idée du temps ◀de▶ Guyau, faite par M. Annibale Pastore, porte surtout sur la démonstration ◀de▶ l’idée empirique du temps. M. A. Pastore en montre l’évidence et l’éloquence, tout en faisant quelque réserve sur les dernières conséquences où Guyau poussa naturellement l’étendue ◀de▶ sa théorie, c’est-à-dire sur la substitution ◀de▶ l’idée du temps au temps.
L’année même ◀de▶ la mort ◀de▶ Guyau, en 1888, M. Bergson publiait ses aperçus sur l’intensité des états psychologiques qui demeurent comme une des œuvres les plus profondes ◀de▶ la philosophie contemporaine. Guyau révélait sa puissance ◀de▶ précurseur. L’étude ◀de▶ M. Annibale Pastore nous montre combien sa pensée est encore féconde.
G. G. F. Hegel : Enciclopedia delle Scienze Filosofiche. B. Croce tr. G. Laterza, Bari. — E. Kant, Critica del Giudizio. Alfredo Gargiulo, G. Laterza. Bari. — Giordano Bruno : Dialoghi Metafisici. Giovanni Gentile. G. Laterza. Bari
Il y a en Italie quelques maisons ◀d’▶éditions particulièrement consacrées à la savante vulgarisation des œuvres ◀de▶ culture générales. La maison Laterza, ◀de▶ Bari, fondée bien après celle ◀de▶ Hoepli, ◀de▶ Milan, ◀de▶ Bocca, ◀de▶ Turin, et ◀de▶ Sandron, ◀de▶ Palerme, est arrivée en peu ◀d’▶années à s’affirmer digne ◀de▶ la plus grande reconnaissance de la part des intellectuels italiens aussi bien qu’étrangers.
Un caractère des éditions italiennes est en général l’élégance et la variété typographique. C’est dans des volumes très élégants, presque luxueux, vendus à un prix ordinaire, que l’éditeur Laterza fait paraître les œuvres ◀de▶ sa Collection des philosophes classiques modernes. Cette collection est publiée avec les soins ◀de▶ MM. B. Croce et G. Gentile. Elle comprend déjà trois volumes, dont l’Encyclopédie des Sciences Philosophiques ◀de▶ Hegel, précédée ◀d’▶une préface particulièrement importante ◀de▶ M. B. Croce. M. Alfredo Gargiulo a traduit et préfacé la Critique du Jugement ◀de▶ Kant. M. Giovanni Gentile a préfacé et annoté le premier volume des œuvres en italien ◀de▶ Giordano Bruno, qui comprend les Dialogues métaphysiques du grand penseur hérésiarque.
La publication ◀de▶ cette œuvre ◀de▶ Giordano Bruno est vraiment ◀de▶ la plus haute importance. Car Bruno et Vico sont sans nul doute les seuls grands philosophes, les seuls créateurs ◀de▶ systèmes, ◀de▶ l’Italie. Ils sont tous les deux des méridionaux, ◀de▶ cette race des Italiens da Midi chez lesquels on a voulu voir les expressions réelles ◀d’▶une race germanique, à cause des Longobards et des Normands qui les fécondèrent si longtemps.
L’Italie, tout comme Rome, n’a eu que des penseurs, ◀de▶ grands penseurs même en tous les temps. Elle n’a pas eu ◀de▶ philosophes, car, ai-je eu l’occasion ◀d’▶écrire autrefois, la différence entre un philosophe et un penseur consiste en ceci, que le premier compose un système, basé sur une ou quelques données très simples, ◀d’▶où s’élève toute une vision métaphysique, esthétique et morale ◀de▶ la vie, tandis que l’autre, le penseur, n’est pas un créateur ◀de▶ système, mais simplement un critique contingent. Bruno et Vico font une incomparable exception à la fatalité aphilosophique des Italiens. Bruno est même, — quoique encore assez mal connu, — un des plus grands métaphysiciens ◀de▶ l’Occident.
La publication ◀de▶ M. Giovanni Gentile contribuera sans doute largement à en faire étudier et apprécier la profondeur.
Giovanni Calò : Il problema della libertà, nel pensiero contemporaneo. R. Sandron : Milan. — Paolo Savj Lopez : Trovatori e Poeti. R. Sandron. Milan
L’éditeur Sandron poursuit ◀de▶ son côté l’intéressante publication ◀de▶ sa Bibliothèque ◀de▶ Sciences et Lettres. Dans cette collection, a paru dernièrement le Problème ◀de▶ la liberté dans la pensée contemporaine ◀de▶ M. Giovanni Calò, qui étudie la formation et l’évolution des dernières écoles philosophiques, celle ◀de▶ la Contingence et l’école Pragmatiste, pour aboutir à une solution vaste et profonde du problème ◀de▶ la liberté ◀de▶ la volonté, dans un sens à la fois hautement spiritualiste et sévèrement rationnaliste. M. Paolo Savj-Lopez publie dans la même collection quelques études ◀de▶ lyrique ancienne, sous le titre Trovatori e Poeti.
Éditions ◀de▶ la Vita Letteraria
Un groupe ◀de▶ jeunes écrivains, critiques et poètes, pleins ◀de▶ hardiesse innovatrice, réunis autour du périodique romain la Vita Letteraria, publie des volumes ◀de▶ vers et ◀de▶ prose, où la pensée la plus jeune semble chercher éperdument ses rythmes adéquats, afin de former et ◀de▶ révéler une école poétique jeune et forte, digne ◀de▶ concentrer dans quelque grand effort si possible les esprits dispersés ◀de▶ la littérature nouvelle.
Parmi les publications ◀de▶ la Vita Letteraria, il faut citer : Anime vive e anime morte, ◀de▶ M. G. Darchini, Liriche, ◀de▶ M. A. Onofri, Canto delle Stagioni, ◀de▶ M. Ridolfo Peruzzi, Canto d’Autunno, ◀de▶ M. Francesco Margaritis, le Ore Mattutine, ◀de▶ M. Salvatore Giuliano, Ali in cielo, ◀de▶ M. Francesco Biondolillo.
Memento
M. Leo G. Sera réunit ses très importants essais sur Nietzsche, l’Origine ◀de▶ la Société, l’Amour, l’Aristocratique, Stendhal, la Morale, etc., sous le titre : Sulle traccie della vita, B. Lux éditeur, Rome. — La maison Ars Regia, ◀de▶ Milan, fait paraître la traduction italienne ◀de▶ l’œuvre si remarquable ◀de▶ W. Williamson, admirablement traduite par M. E. Ferraris : la Legge Suprema. — M. Guglielmo Policastro : Lo Stato ◀d’▶anima ◀de▶ l’Italia contemporeana. Battiato, Catane. — B. Croce : Materialismo storico ed Economia Marxista. R. Sandron, Palerme. — G. Tarozzi : La Varietà infinita dei fatti e la libertà morale. R. Sandron, Milan. — R. Bracco : Teatro, vol. II. R. Sandron, Palerme. — Vincenzo Morello : La Flotta degli Emigranti. Soc. Tip. Ed. Nazionale, Turin. — Térésah : L’Altra riva, drame. Soc. tip. Ed. Nazionale. Turin. — Prof. A. Santi : Il Canzoniere di Dante, vol. II. E. Lœscher, Rome. — Luigi Grilli : Il Monito (pour la séparation ◀de▶ l’Église et ◀de▶ l’État en France). G. Donnini, Pérouse. — Fausto Salvatori : Terra Promessa. Fr. Treves, Milan. — Avv. Antonino Russo Ajello : Il Duello (secondo i prìncipi, la dottrina e la legislazione). S. Lapi, Città-di-Castello. — Antonio Favaro : Galileo e l’Inquisizione (Documents inédits). G. Barbera, Florence.
Échos.
La Mort ◀de▶ Pétrarque
La vieille légende très romantique qui entourait la mort ◀de▶ Pétrarque, et qui a perpétué, ◀de▶ siècle en siècle, la vision du poète mort dans la solitude ◀de▶ son cabinet ◀de▶ travail, la tête sur un volume ◀d’▶Homère, vient ◀d’▶être détruite par la critique scientifique moderne.
On a cru découvrir tout d’abord que si la tête du poète était tombée sur un livre, ce
livre ne pouvait nullement être un poème ◀d’▶Homère, mais qu’il s’agissait ◀d’▶un manuscrit
des Lettres ◀de▶ Cicéron. M. Léon Dorez pense en effet que Pétrarque est
mort en travaillant à sa Vie ◀de▶ Cicéron, qui devait faire partie des
Vies des Illustres. Une pièce ◀de▶ la Bibliothèque Nationale, et qui
est précisément le manuscrit inachevé ◀de▶ la Vita Cæsaris, s’arrête sur
un rappel du livre VIII des Lettres ◀de▶ Cicéron à Atticus. M. Léon Dorez est ◀d’▶avis que
« seul le manuscrit des Lettres ◀de▶ Cicéron que Pétrarque avait ouvert, ou qu’il
s’apprêtait à ouvrir pour y chercher le livre VIII des Lettres à Atticus et continuer
la rédaction définitive ◀de▶ la biographie du grand homme romain, pourrait, si on le
retrouvait, disputer ce funèbre honneur au volume ◀de▶ la Bibliothèque
nationale »
.
Quelques critiques italiens nous affirment maintenant qu’on ne pourra jamais savoir sur quel livre est mort Pétrarque, car l’histoire ◀de▶ sa mort pendant le travail, dans son cabinet, où on ne le trouva que le lendemain, est, paraît-il, une pure légende.
M. E. Sicardi déclare que cette légende a été répandue, et peut-être inventée, par
Messer Giovanni Manzini della Motta, chancelier ◀de▶ Galeas Visconti, et admirateur
posthume ◀de▶ Pétrarque. M. Sicardi cite une lettre, publiée pour la première fois par
M. A. Zardo, écrite par Dondi, le médecin et l’ami ◀de▶ Pétrarque, le lendemain ◀de▶ la mort
du poète. On sait que Pétrarque, vieux et fatigué, souffrait ◀d’▶une épilepsie avec des
formes accentuées ◀de▶ catalepsie. Le médecin Dondi fait allusion à ce mal, en écrivant à
un ◀de▶ ses collègues, à la date du 19 juillet 1374 : « La nuit malheureuse qui
vient de passer, précédant le jour où je t’écris cette lettre, nous a enlevé
l’illustre et admirable Francesco Petrarca, accablé, après quelques heures, par le
genre ◀de▶ maladie par laquelle, si tu te souviens, nous le vîmes frappé il y a quelques
années…, etc. »
Pétrarque, assisté probablement par son ami Dondi et par d’autres, n’a pu ◀de toute façon mourir dans la solitude et au milieu du travail, quelques heures après avoir été nouvellement frappé par son terrible mal. Ainsi la légende funèbre séculaire du grand poète est détruite par l’histoire.