Les Romains délivrés des longues inquiétudes que leur avoit causées Carthage, commencerent à chercher ce qu’avoient dit de bon les Tragiques Grecs : ils oserent même, dit Horace, marcher seuls en mettant sur leur Théâtre des Sujets pris dans leur Histoire & dans leurs Mœurs, Vestigia Græca Ausi deserere, & celebrare domestica facta. […] Cependant, quelque rôle qu’il exécutât, toutes les Graces l’accompagnoient, & il excelloit également dans le Tragique & dans le Comique, talent très-rare dans un Acteur comme dans un Poëte. […] Il loue les Poëtes Tragiques de l’ancienne Rome, Accius & Pacuvius, plus que ceux qui les suivirent, & plus que ceux de son tems, sans daigner dire un mot de ces misérables Déclamations Tragiques qui sont venues jusqu’à nous, sous le nom de Seneque : & après avoir si peu vanté la Tragédie Latine, quand il vient à la Comédie, Voici, dit-il, notre endroit foible, il faut en convenir.
Les Tragiques de la Grèce ont plus de piété et écrivent plus conformément au système de la Religion naturelle. […] A la fin de la Pièce, le Poète qui parle dans le Chœur expose ces aventures tragiques, en montre l’origine, et déclare que c’est Créon même qui a été puni de la sorte pour ses hauteurs et son irréligion. […] Mais la méthode de ce Tragique ne nous importe guère : il fait de son Héros la Salamandre imaginaire qui se plaît dans les flammes et qui y trouve son aliment. […] Tout bien examiné : les Poèmes d’Eschyle et de Sophocle sont formés sur le plan de la vertu ; ces deux Tragiques savent allier l’innocence au plaisir, et tendent par le concert de l’utile et de l’agréable, à la perfection des mœurs. […] Le Chœur dit dans un autre Poème de ce Tragique qu’il faut être dépourvu de raison pour ne pas révérer les Dieux.
N’est-il pas vrai que tout tant que nous sommes, je dis même les plus raisonnables, lorsque nous voyons représenter dans Homere ou dans les Tragiques, quelques-uns des Héros dans l’affliction, & que nous les entendons se lamenter, pousser des cris, & se frapper l’estomach, nous sentons du Plaisir & nous abandonnant à ces représentations, nous nous y laissons entraîner. […] Je veux dire que quelque aversion que vous ayez pour faire le Personnage de bouffon, si néanmoins vous prenez trop de plaisir aux bouffonneries des Comédies ou même des conversations, il vous arrivera le même inconvénient que dans les imitations Tragiques, je veux dire que vous vous accoutumerez à faire ce que vous aurez approuvé. […] Cette seconde maniere est très-mauvaise, suivant Aristote, parce que l’atrocité du crime s’y trouve, & le Tragique ne s’y trouve point ; cela n’est point pathétique. […] Le Sujet de Médée a été traité par les Poëtes, comme fort Tragique, & non pas comme instructif. […] Il seroit bien difficile à un Poëte Tragique d’exciter une Pitié de cette nature : ainsi quoique persuadé qu’une Tragédie peut être très-utile, je suis également persuadé du danger de presque toutes les Tragédies.
Le Cyclope d’Euripide, la seule Parodie des Anciens qui nous soit parvenue, est dans ce genre : on y voit des railleries sur Homère & sur les Poètes Tragiques, dont il parodie l’enflure par des expressions triviales & souvent dégoutantes, mais que la Langue Grecque rendait supportables.
D’autres fois des aventures tragiques, des trahisons, des fourberies, des combats, des vengeances méditées, des projets ambitieux, exécutés avec succès, une conspiration, des cruautés exécutées avec fureur, quelquefois même la Religion, les Personnes sacrées et les Puissances tournées en ridicule, etc.
Ce préjugé a été trop funeste à la Poésie, & sur-tout à l’art tragique, pour que nous ne faisions nos efforts pour le détruire. […] Ainsi la Poësie de style est au Poëte, combinant les idées, ce que le Comédien est au tragique.
Les Tragiques Grecs, si souvent proposés pour modèle, ont quelquefois mal-assemblé les Scènes de leurs Poèmes, & manquent quelquefois l’entrée & la sortie de leurs personnages. […] Le grand Corneille a crû pouvoir faire une faute, que s’était permise le meilleur Tragique Grec, & de laquelle Aristote ne dit rien.
Ce qui fait percer partout d'une manière singulière l'esprit de théâtre qui dirigeait cette plume ingénieuse, c'est que rien n'y est plus fréquemment répété que ces mots, théâtre, scène, rôle, personnage, acte, nœud, dénouement, tragique, tragédie, spectacle, Acteur. […] Comment le rédacteur des assertions sur leur morale relâchée a-t-il pu négliger d'embellir sa collection d'une foule de vers tragiques et comiques sur tous les points de la morale, et notamment sur l'homicide et le tyrannicide ? […] « Tragiques Français, dit-il, quittez pour un moment le cothurne, et daignez me répondre.
Je ne sais pourquoi le Poète tragique a négligé cette circonstance, que lui avait fourni le sieur Dorat, et qui aurait pu faire une scène dans le Frère Euthime. […] Les Journaux, qui tous auraient dû s'élever contre cette pièce pour l'intérêt de la vertu, parmi tant d'éloges peu mérités dont ils la comblent, la donnent pour une heureuse découverte, et une nouvelle branche de l'art dramatique, qui en étend la sphère par un nouveau genre de pathétique qu'on appelle le sombre tragique, comme on a depuis peu imaginé le comique larmoyant. […] Toutes les tragédies, tous les romans sont pleins d'aventures et de décorations lugubres ; le tragique lui-même n'est qu'un sombre, il ne représente que des objets tristes et terribles, capables d'inspirer la terreur et la pitié (il n'y a que ceux là qui l'inspirent), de saisir, de déchirer, de faire verser des larmes. […] doit-on beaucoup se féliciter de la découverte du sombre tragique ?
Le tyrannicide, la révolte, les conjurations, le mépris des Rois, sont la doctrine générale et la tradition non interrompue de tous les tragiques. […] Mais dans les plus minces, comme dans les plus belles pièces, ce sont là les éléments du cothurne, les premiers vers qu’enfante une Muse tragique, qu’elle regarde comme les morceaux brillants, dans lesquels le Parterre croit sentir l’excellence de son être, et le Petit-maître élever son âme ; ce qui en bonne politique devrait faire supprimer le théâtre. […] Ce barbare tragique n’a pas sans doute oublié le langage affreux et facile de la rage et du désespoir, que l’on traite de sublime, parce qu’il attaque les Dieux et les Rois, et qui par cette même raison ne mérite que l’indignation et le mépris. […] Tout Auteur tragique le bégaie en naissant. […] Il est inutile de parcourir les autres tragiques, anciens et modernes ; on ne finirait point, s’il fallait en extraire toutes les horreurs.
Mais pensez-vous que le Poëte Tragique en soit moins adroit parce qu’il sent la difficulté de la guerison, parce qu’il compatit à nos maux, parce qu’il nous traite en hommes ? […] Il me semble, Messieurs, qu’on m’accorde à présent que le Theatre tragique ou comique peut devenir une Ecole capable de former les mœurs. […] Ecrivains François, Tragiques & Comiques, est-ce-là l’idée que vous avez de l’Art Dramatique ? […] Est-ce vous, inimitable Corneille, Génie formé pour enfanter le Tragique ; grande ame en qui la Nature voulut, ce semble, faire essai de toute l’étenduë de ses forces, & tenter jusqu’à quel point l’esprit humain peut s’élever au-dessus de l’humanité ? […] L’un métamorphosant les femmes mêmes en autant de Héros, leur avoit donné une ame véritablement Tragique ; l’autre rabbaissant ses Héros presque au rang des Héroïnes, leur fit soupirer des sentimens d’Elegie.
Avec quelle réserve faut-il donc user de l’élocution, puisque plus on s’y attache, moins il paroît d’action, & par conséquent de Tragique ?
La piété devança sa raison, son enfance ne fut occupée qu’à des saints exercices ; la prison de son pere, la fin tragique du Connétable de Montmorenci son oncle la détacherent des vanités du monde. […] Cette comedie partagea toute la Cour : malheureusement il s’y mêla du tragique. […] Ce galimatias comique, tragique, galant, dans un vieux Evêque dont on veut faire un Pere de l’Eglise, inspire aussi de la pitié, mais peu de respect. […] Cette belle médiatrice parut à la Cour avec l’appareil & la gravité d’un homme d’Etat : mais cette ambassade comique ne réussit pas : le dénouement fut tragique. […] La vue du tombeau de son oncle, dont la fin tragique lui avoit fait verser tant de larmes, lui représentoit vivement la vanité du monde, & les exemples de toutes les vertus dans sa veuve touchoient infiniment son cœur.
Nos Tragiques n’y eussent pas cherché tant de mystère : ils auraient accordé à Hémon et à Antigone plus d’un tête-à-tête pour se souiller l’imagination, pour ternir l’éclat de leur naissance et faire de leur penchant réciproque, un scandale. […] C’est-à-dire, qu’au sentiment de ces deux Tragiques, la régularité dans les mœurs suit de la droite raison, comme la conséquence, de son principe. […] Il nous est représenté, ce tragique, comme un homme sérieux, fier, haut, sensible à l’honneur, piqué au vif de se voir un rival, et d’être forcé d’entrer en lice avec Euripide. […] Le Comique est-il moins redevable de sa conduite au naturel et au vraisemblable, que ne l’est le Tragique ? […] Euripide reproche à ce Tragique d’avoir trop d’emphase dans ses vers, trop d’enflure, trop de fracas et trop de ce qu’Horace a depuis appelé : « Ampullas et sesquipedalia verba.
Quoiqu’il paraisse que le Comique se trouva de tout tems joint au Tragique, je n’approuve point une pareille association ; je la crois révoltante & tout-à-fait ridicule.
On ne voit pas régner, dans ce nouveau tragique, Tout le faux merveilleux de la vertu stoïque.
Le premier principe sur lequel agissent les Poètes tragiques et comiques, c’est qu’il faut intéresser le spectateur, et si l’auteur ou l’acteur d’une tragédie ne le sait pas émouvoir et le transporter de la passion qu’il veut exprimer, où tombe-t-il, si ce n’est dans le froid, dans l’ennuyeux, dans le ridicule, selon les règles des maîtres de l’art ?
Quel plus digne sujet peut occuper l’Auteur tragique, s’il veut conserver la vérité de l’Histoire sans blesser la sainteté de la matiere ?
Cette Princesse conduisit son fils Henri III aux plus grands excès, & enfin à une mort tragique. […] Sa mort fut tragique, par les remors, les soupçons, les inquiétudes dont elle fut précédée, & comique par l’enthousiasme & les prédictions dont elle fut accompagnée ; mais ses funerailles furent une vraie farce, par l’excès de magnificence dont elles furent décorées, qui surpasse tout ce qu’on avoit jamais fait pour aucun Roi d’Angleterre & alla jusqu’à la contradiction & au délire. […] Une actrice française sa maîtresse, que Charles II avoit amenée de Paris, plusieurs enfans naturels, un théatre brillant, des bals, des fêtes sans nombre, un luxe qui épuisa toutes les finances ; production naturelle du païs d’où il venoit, & où il avoit demeuré depuis la mort de son pere, signalerent un regne, que de si tragiques événemens auroient du rendre sage. […] Cromwel poussa ses attentats jusqu’au tragique, en faisant perir son Roi sur un échafaut, par la main du bourreau.
En voici le titre & le plan : Chefs-d’œuvres dramatiques, ou Recueil des meilleures Pieces du Théatre François, Tragiques, Comiques & Lyriques, avec des Discours sur les trois genres, & des Remarques sur la Langue & le Goût, par M. […] Pour les consoler de cette privation, nous avons imaginé de donner un Recueil des meilleures Pieces du Théatre François, Tragique, Comique & Lyrique, & de suppléer, autant qu’il est possible, à la représentation théatrale par des estampes & des vignettes, où les mouvemens les plus intéressans de l’action soient mis sous les yeux du Lecteur. […] Les trois Théatres tragique, comique & lyrique en fourniront plus de cent à quatre pieces chacun. […] doit-elle être traitée en style tragique, comique, ou lyrique ?
Il seroit aisé de faire un pareil recueil dans tous les tragiques & comiques françois, italiens, espagnols, &c. […] Corneille n’a réussi que dans le tragique. […] Il est vrai qu’on joue mieux le comique, mais le meilleur tragique ne fait pas autant pleurer qu’un bon comique fait rire. […] Il s’en faut bien que le genre tragique, quoique plus sublime, soit aussi goûté.
Après avoir rapporté sur le ton le plus tragique ; le procès de Calas, de Sirven, de Montbailli, & tout ce qu’il lui a plus d’imaginer, il finit par ces paroles : Quelle suite infernale d’horribles assassinats ! […] Choisissez dans nos bons tragiques les traits les plus frappans de leurs vies ; composez de ces magnifiques lambeaux des histoires à la portée & conformes au goût des enfans. […] De pareils centons, composés de ces lambeaux tragiques & comiques, seroient aussi scandaleux que ridicules.
Je réponds que, quand cela serait, la plupart des actions tragiques, n’étant que de pures fables, des événements qu’on sait être de l’invention du Poète, ne font pas une grande impression sur les Spectateurs […]. »bq Il ne fallait pas dire « sur les Spectateurs » mais dire « sur moi », et ne pas conclure de votre insensibilité singulière que tous les Spectateurs soient insensibles : votre allégation d’ailleurs est fausse. […] J’avoue qu’un attachement trop rigoureux à cette règle aurait banni du Théâtre des sujets vraiment tragiques, tels que Britannicus, Atrée et Mahomet : mais je remarque en même temps, que Néron et les deux autres monstres ci-dessus ne gagnent rien à leur triomphe qu’une horreur plus grande de la part des Spectateurs ; je le prouverai bientôt. […] Je ne me vanterais point de m’être acquis ces applaudissements si l’exiguïté de ma taille m’eût permis de me consacrer au tragique ; mais comme le Public veut que ses yeux soient contents au spectacle autant que ses oreilles, j’ai cru devoir métamorphoser le Héros en Arlequin et devoir quitter le Diadème pour la calotte de Crispin.
Ces Poëmes estoient Tragiques, ou Comiques, ou Satyriques, & ils avoient leurs Acteurs, leur Scene & leurs sujets particuliers & distinguez. Les Acteurs Tragiques avoient une espece de Brodequins ou Patins Cothurnus eslevez, qui haussoient extraordinairement leur taille, eslevoient leur mine, & les faisoit ainsi mieux representer les Dieux & les Heros.
Mal-à-propos l’a-t-on distinguée de la Tragédie par la dignité des Personnages : le Roi de Thèbes, & Jupiter lui-même sont des Personnages comiques dans l’Amphytrion ; & Spartacus de la même condition que Sosie, serait un Personnage tragique à la tête de ses conjurés. […] Dès que le vice est odieux, il est du ressort de la Tragédie : c’est ainsi que Molière a fait de l’Imposteur un Personnage comique, dans Tartufe, & Shakespear un Personnage tragique dans Glocester.
Je ne puis m’empêcher de citer ici ce que le tragique le plus soumis aux sentiments de ses contemporains pensait du devoir des auteurs dramatiques envers le public ; en parlant de sa tragédie de Phèdre, Racine disait : « Les moindres fautes y sont sévèrement punies, la seule pensée du crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même. Les passions n’y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause ; et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et fuir la difformité ; c’est là proprement, le but que tout homme qui travaille pour le public, doit se proposer, et c’est ce que les premiers poètes tragiques avaient en vue sur toute chose.
Vitruve nous l’apprend en termes formels : « La Scène tragique était décorée de colonnes, de frontons élevés, de statues, & de tout ce qui orne le palais des Rois.
Quel tragique Spectacle que celui d’Hercule mourant sur le mont Oëta !
Je crois même que l’esprit comique est plus opposé que le tragique à la théorie des regles. Le tragique fait penser profondément, s’occupe d’objets sérieux, fait parler des personnes graves, décentes, élevées, raisonne dans le conseil des Princes d’affaires importantes, & traite de grands intérêts. […] Aussi y a-t-il incomparablement plus d’auteurs comiques que d’auteurs tragiques, de comédies & de bonnes comédies que de tragédies. […] On admiroit le tragique, on goûtoit le comique ; tout le monde entendoit les bouffonneries de celui-ci, & ne pouvoit atteindre à l’élévation de celui-là.
C’est ce mot qu’Horace avoit en vue quand il comparoit un Poëte Tragique à un Magicien. […] Il est vrai que les Familles des Atrées, des Œdipes, des Agamemnons, sembloient faites pour fournir aux Poëtes des Sujets Tragiques. […] Il n’en est pas de même des Comédies ; celle des Oiseaux dans Aristophane finit par des chants, & celle des Guepes par ces paroles du Chœur, retirons-nous en dansant : ce qui n’arrive jamais à un chœur Tragique. […] Le lieu destiné à ses Représentations, ne fut jamais arrosé de larmes, quoiqu’on y traite des Sujets fort Tragiques.
La Tragédie, à proprement parler, est une représentation sérieuse de quelque action de grande importance, et qui produit par elle-même la terreur ou la pitié ; ainsi les pièces, dont l’événement ou le dénouement est heureux, ne sont pas des Tragédies ; car elles doivent toujours finir par quelque chose de tragique ou de funeste. […] La Fable, ou la composition du sujet, est la partie la plus essentielle de la Tragédie : On l’appelle Fable, parce qu’il est libre au Poète d’inventer les sujets tragiques, qu’il veut exposer sur la scène, ou d’en altérer les circonstances, quoique véritables, pour les ajuster au Théâtre. […] Le Poète doit avoir grand soin de réserver le plus tragique pour la fin de la pièce, et pour en faire le dénouement, afin d’exciter de plus grandes passions dans l’âme des Auditeurs. […] La fin des pièces dramatiques est d’exciter en l’âme plusieurs passions tour à tour, la tristesse, la joie, la douleur, l’espérance, le désespoir : Ces passions entrent dans l’âme par les yeux, et par les oreilles, par les spectacles, et par les récits ; lorsqu’on fait voir au spectateur, quelque objet pitoyable, ou qu’on lui raconte quelque Histoire tragique.
Mais comme l’a pressenti monsieur Des Arcis, l’amour, dans les Drames Tragiques ou Comiques, n’est point contraire aux mœurs parmi nous. […] Les tragiques évènemens de l’ancienne Histoire étaient, à la vérité, d’une utilité plus prochaine chez les Grecs ; mais les Tragédies nationales & patriotiques seront dans le même cas à notre égard. […] Mais où Eschyle puisa-t-il l’idée du Drame tragique ? […] Le premier sujet traité par les Italiens sous le nom de Tragédie, est la Sophonisbe du Trissin : mais la plus spirituelle des Nations semble ne pouvoir s’élever jusqu’au vrai Tragique : un Tribunal odieux met chez elle des entraves au génie : le Prêtre veut bien qu’on se donne en spectacle ; mais sous une forme ridicule : la décence tragique excite sa jalousie. […] La Ville pourrait seule donner au Théâtre Tragique (& Comique) la pompe qu’il doit avoir, si les Magistrats voulaient bien envisager les Spectacles publics comme une branche de la Police & du Commerce.
Que Corneille soit un bon tragique ; Molière un bon comique, Pecour un beau danseur, Lully un habile Musicien ; mais l’objet où ils ont excellé est trop petit pour faire de grands hommes.
Le théatre de Crebillon & de Shakespear n’ont jamais présenté rien de si tragique. […] Arnaud auroit pu le choisir pour son nouveau genre de tragique. […] Celui de sa fille, qui en naissant respira cet air, ne fut guere moins tyrannique ; mais il fut entremelé d’intermedes comiques qui diversisioient la scene tragique. […] Quel mêlange affreux de tragique & de comique ! […] Il en appela à lui-même par une entreprise inouïe dans le monde qui feroit rire, si elle étoit moins tragique.
Après l’action on n’eut plus de goût pour reprendre un spectacle devenu trop tragique. […] Le Machiavélisme littéraire des auteurs, le Machiavélisme galant des actrices n’est pas moins dangereux ; les écrivains se déchirent sans cesse, cabalent, s’intriguent, font gémir la presse, le sang coule sur la scène tragique, les brochures inondent le parterre, les actrices rivalent, se disputent un seigneur, un financier, un fils de famille, étalent leurs charmes & leur licence, font espérer leurs faveurs, aiguisent leurs traits ; la toilette est l’arcenal, les foyers le champ de bataille.
Il est, nous disent-ils d’un certain ton, dans l’art tragique des ressorts inconnus aux plus célèbres Poétes ; cette rare découverte mérite bien un long traité, & on nous en fera un présent.
En vain la critique, presque toujours injuste, s’est élevée contre cette terreur sombre & vraiment tragique, que l’un inspire ; contre la pompe & la magnificence Théâtrales, que l’autre veut faire revivre.
Paris a vu depuis peu avec plaisir un Acteur tragique jouer ses rôles avec la plus grande simplicité.
Et l’impiété que quelques Auteurs tragiques ont affecté de semer dans leurs Ouvrages, n’est-elle pas une des causes de l’irréligion qui se répand et s’établit de jour en jour ?
Le corps d’un drame tragique n’est qu’un tissu de crimes & de fureurs ; le Théatre de Melpomene est un cirque, une place de Greve ; le plaisir brutal, un plaisir d’Iroquois qui voit brûler un homme : ce qui a fait la réputation de Crébillon. […] Le goût sanguinaire des spectateurs, qui les conduit au Théatre tragique, & que le Théatre tragique entretient & augmente, s’enivre de sang & se baigne dans ces inhumaines délices, applaudit à celui qui fait mieux le répandre, qu’il devroit reléguer chez les Cannibales. […] Ce sont des acteurs tragiques qui réalisent dans la société : ce qu’ils ont vu, entendu, senti, goûté, applaudi sur la Scène, & tourné en habitude.
La Tragédie intitulée La mort de César, avertit bien par son seul titre que le principal Héros doit mourir ; & cependant on est aussi surpris, aussi affligé de sa fin tragique, que si l’on n’eut jamais sçu ce qui devait lui arriver. […] Mais Aristote soutient que les meilleurs dénouemens tragiques sont ceux qui pénètrent l’ame du Spectateur d’un profond chagrin, & je crois qu’il a raison.
J'avais en même temps une passion violente pour les Spectacles du Théâtre, qui étaient pleins des images de mes misères, et des flammes amoureuses qui entretenaient le feu qui me dévorait: mais quel est ce motif qui fait que les hommes y courent avec tant d'ardeur, et qu'ils veulent ressentir de la tristesse en regardant des choses funestes et tragiques qu'ils ne voudraient pas néanmoins souffrir ? […] puis qu'on est d'autant plus touché de ces aventures poétiques, que l'on est moins guéri de ses passions, quoi que d'ailleurs on appelle misère le mal que l'on souffre en sa personne ; et miséricorde, la compassion qu'on on a des malheurs des autres: Mais quelle compassion peut-on-avoir en des choses feintes, et représentées sur un Théâtre, puisque l'on n'y excite pas l'auditeur à secourir les faibles et les opprimés, mais que l'on le convie seulement à s'affliger de leur infortune ; de sorte qu'il est d'autant plus satisfait des Acteurs, qu'ils l'ont plus touché de regret et d'affliction ; et que si ces sujets tragiques, et ces malheurs véritables ou supposés, sont représentés avec si peu de grâce et d'industrie, qu'il ne s'en afflige pas, il sort tout dégoûté et tout irrité contre les Comédiens.
Personne depuis Pradon & Racine n’avoit osé traiter un sujet tragique dans le goût de Phedre. […] Il est vrai que le génie du pays, tourné à la bouffonnerie & aux concetti, est moins propre au tragique : aussi les italiens ne donnent point de tragédies. […] On ne lui confiera plus le rôle de Caissier, qu’il a si mal joué : il en jouera peut-être quelqu’un à la Greve un peu tragique ; à moins que ces princes généreux ne lui fassent grace.
Un sujet tragique ne l’est pas beaucoup plus à trouver.
Les Comédiens se croiront toujours en droit de circonscrire le Néomime dans les bornes les plus étroites : Mais le Gouvernement donc la sagesse est toujours au-dessus des petites vues des particuliers, verra sans doute que le Théâtre-Ephébique, loin de nuire aux autres Spectacles, peut leur devenir utile : il verra que pour opérér cette utilité, il est nécessaire que le Néomime puisse faire jouer les Pièces Tragiques, Comiques, & des Opéras, mais toujours par des Enfans ; qu’il serait à propos que le premier Acte de l’Ambigu fût, par exemple, un rapproché, intelligemment fait d’une Pièce du Théâtre Français, où, en conservant les plus beaux vers, les situations les plus intéressantes, on réduise la Pièce à la longueur d’un seul Acte ; que le second fût une Pièce en un Acte (ou si elle était en plusieurs, réduite comme la première) du Théâtre des Ariettes ; que le troisième fût un Opéra, une Pastorale en un Acte comme le Devin-de-Village, on réduit, si c’était Roland, Armide, &c. enfin que la Pantomime simple & dansante précédât & suivît ces trois Pièces.
, où les Poètes Tragiques, les Comiques et les Musiciens disputaient le prix de la Poésie et de la Musique ; et cette noble dispute d'esprit et d'art se fit aux trois plus grandes fêtes de Bacchus.
Ils récitaient et représentaient des pièces de théâtre, la plupart tragiques et imaginaires, dans lesquelles ils peignaient de grandes actions ; ils en composaient des tableaux frappants, capables d’émouvoir leurs spectateurs.
Solon eut la curiosité d’aller voir ses représentations & ses fictions tragiques. […] Le Théatre comique ne devint pas moins nuisible aux mœurs que le tragique. […] Mais en même temps il reprochoit aux Poëtes tragiques d’être trop négligens, & de craindre de faire trop de ratures dans leurs ouvrages12. […] Ces Acteurs jouoient toutes sortes de sujets tragiques & comiques, sans rien prononcer. […] Il étoit alors d’usage qu’un même Poëte fît jouer tout-à-la-fois quatre Pieces dont les trois premieres rouloient sur des sujets tragiques, & la quatrieme étoit une Piece badine, souvent même lascive, à laquelle on donnoit le nom de Satyre, parce qu’on y introduisoit cette espece de divinité, comme plus libre que toute autre dans les discours.
Elle servait autrefois à décrire des aventures amoureuses & tragiques ; c’est la forme que lui donnèrent les Troubadours, les plus anciens Poètes Français, lorsqu’ils sortirent de la Provence pour aller réciter leurs Vers dans les Cours des Princes. […] Ainsi le Récitatif sera écrit d’un stile fort & nerveux ; les Vers en seront plutôt aléxandrins que d’une autre mesure ; il ne contiendra que des passions tragiques, & qui ont quelque chose de lent, telles que la douleur, l’incertitude, &c.
« De quelque sens qu’on envisage le théâtre, dans le tragique ou le comique, on voit toujours que, devenant de jour en jour plus sensibles par amusement et par jeu, à l’amour, à la colère et à toutes les autres passions, nous perdons toute force pour leur résister, quand elles nous assaillent tout de bon ; et que le théâtre animant et fomentant en nous les dispositions qu’il faudrait contenir et réprimer, il fait dominer ce qui devait obéir ; loin de nous rendre meilleurs et plus heureux, il nous rend pires et plus malheureux encore, et nous fait payer, aux dépens de nous-mêmes, le soin qu’on y prend de nous plaire et de nous flatter. » « En effet, que voyons-nous dans la plupart des pièces qu’on représente sur la scène ? […] Je réponds que, quand cela serait, la plupart des actions tragiques n’étant que de pures fables, des événements qu’on sait être de l’invention du poète, ne font pas une grande impression sur les spectateurs.
On rapporte l’exemple de la mère de sainte Macrine sœur de saint Grégoire de Nysse, qui avait un si grand soin de sa fille, qu’elle ne lui permettait pas de lire des Fables ni des Comédies, regardant comme une chose honteuse de gâter un esprit encore tendre, par toutes ces Histoires tragiques de femmes, dont les fables des Poètes sont remplies, ou par les idées mauvaises des Comédies. […] La mort tragique de Molière sur le même Théâtre où il jouait le Malade imaginaire, n’y est pas oubliée.
Voici ses propres mots : « La punition des méchantes actions et la récompense des bonnes, employées de nos jours, n’était pas en usage dans le siècle d’Aristote : ce Philosophe écrivait après Platon qui bannit les Poètes tragiques de sa République, parce qu’ils remuent les passions trop fortement ; et comme il écrivait pour le contredire, et montrer qu’il n’est pas à propos de les bannir des Etats bien policés, il a voulu trouver cette utilité dans les agitations mêmes de l’âme, pour rendre les Poètes recommandables par la raison même sur qui l’autre se fonde pour les bannir : mais ce fruit, qui peut naître des impressions que fait la force de l’exemple, lui manquait. » Voilà, ce me semble, un précepte constant, dont je crois que j’ai montré l’application dans Cinna. […] « Rien de tout ce qui paraît au théâtre (continuez-vous) ne nous convient, parce que nous y voyons toujours d’autres êtres que nos semblables, et que le tragique les met au-dessus de l’humanité. » Mais le raisonnement est aisé à faire du moindre au grand : « Et si un Roi, pour 5 trop s’abandonner à la vengeance, tombe dans un malheur si grand, qu’il excite la pitié, à plus forte raison celui, qui n’est qu’un homme du commun, doit tenir la bride à de telles passions, de peur qu’elles ne l’abîment dans un pareil malheur. » Et c’est parce que les hommes rabattront assez de la vertu, qu’il faut leur en montrer de plus grands modèles.
Qu’un Héros se tue dans le désespoir, il paroît mourir noblement : toutes les piéces tragiques sont remplies de cette sorte de fureur qu’on nomme force d’esprit, & qui n’est au fond qu’une foiblesse occasionnée par un chagrin qu’on n’a pas le courage de supporter1 ; on s’en délivre par le suicide : c’est-à-dire, par une action lâche, dictée par la folie2 ; si l’on consultoit l’Evangile, on souffriroit volontiers les disgraces de la fortune, on mépriseroit les injures, on iroit au devant des humiliations, on embrasseroit les travaux de la pénitence, captivant son cœur, son esprit, ses sens sous le joug d’une mortification utile & nécessaire.
Peisonnel, Consul de la nation, intitulée Selim ou la foi du sujet ; elle a eu les plus grands applaudissements, le sujet en a été trouvé neuf, & vraiment tragique ; les caractères bien soutenus, la conduite sage, les situations intéressantes, le style noble & nerveux, les sentiments d’amour & de fidélité du sujet envers son Roi, y sont dévelopés d’une maniere, qui fait autant d’honneur à l’auteur qui en est rempli, qu’au Monarque qui les inspire. […] Chapitre 70, rapporte que ce Cardinal étant Légat du Pape à Florence, on y fit des réjouissances ridicules, on fit crier que tous ceux qui voudroient savoir de nouvelles de l’autre monde, en apprendroient le premier Mai sur le Pont de la Ville ; au jour marqué parurent sur la riviere Darne, un grand nombre de barques, remplies de personnages qui représentoient l’enfer, des feux, des fouets, des roues, & divers instrumens de supplices, des Dragons, des Serpens, des démons, des hommes nuds qu’on frappoient, qui crioient & hurloient comme des Damnés dans les tourmens ; mais rien ne pouvoit être plus tragique, que ce qui termina cette scene, dans le tems qu’on étoit le plus attentif, le Pont qui étoit de bois, trop chargé par la foule immense du peuple, tomba tout à coup.
C’est en ce sens qu’on peut dire avec Boileau Des succès fortunés du Spectacle Tragique Dans Athenes nacquit la Comédie antique. […] Eupolis, un des premiers auteurs de cette Comédie si libre & si picquante, eût du par sa fin tragique, la faire cesser, s’il est vrai, comme le disent quelques Ecrivains, qu’Alcibiade le fit jetter dans la mer, & que c’est de lui dont Ovide veut parler dans ce vers, Comicus in mediis periit dum nabat in undis.
Loin de-là, je soutiens que si, d’un côté, ces deux objets peuvent être dangereux sur la Scène ; de l’autre, l’expression honnête & délicate du plus doux sentiment de notre âme, est ce qui peut donner aux Pièces tragiques ou comiques, un plus grand degré d’utilité ; & que la présence, le jeu des femmes sera précisément, lors de la Réforme proposée, ce qui rendra le Spectacle national plus réservé, plus digne de notre respect & de notre vénération. […] Le Drame tragique, pour atteindre au degré d’utilité & de majesté dont il est susceptible, ne doit jamais être un Roman.
Je crois avoir suffisamment prouvé la bonté des poëmes, soit tragiques ou comiques ; mais je veux plus faire encore.
L es partisans du Comédien, pour lui accorder une considération qui ne lui est pas dûe, se fondent sur l’esprit de discussion & d’analyse qu’ils prétendent lui être nécessaires ; sur l’intelligence qui doit lui découvrir tous les rapports de son rôle, ceux des autres rôles avec celui-là, & ceux de tous ces rôles avec l’objet principal du Poëme ; sur les finesses de son art, sur les coups de théatre que le Comédien tir de son propre fond, sur la grandeur d’ame, & les entrailles essentielles à l’Acteur tragique ; sur la déclamation & les bienséances scrupuleuses qu’ils ont seuls introduites au Théatre, & sur la profonde connoissance qu’ils en ont.
Il semble que c’est une chose assez inutile de disputer davantage là-dessus, et qu’on peut tout d’un coup retrancher la Question en remontrant, Qu’en ce qui est des Histrions et des Comédiens Romains, Tragiques ou Comiques, les uns ne valaient pas mieux que les autres, et que leurs Pièces les plus modestes avaient des emportements que nous ne saurions approuver ; C’est pourquoi la conséquence que l’on tire de tout ceci en faveur de nos Comédiens, n’est pas fort favorable, de dire, Que puisqu’ils représentent des Tragédies et des Tragi-comédies à l’imitation des Anciens, on les doit tenir dans l’estime comme eux, et assister à leurs Représentations comme à des Spectacles importants ; car si l’on montre que les anciens Comédiens ne faisaient aucune difficulté dans leur Religion de jouer des Pièces de mauvais exemple, on s’imaginera donc que ceux qui sont aujourd’hui de la même Profession prennent une licence pareille ; Que cela se voit dans leurs Pièces les plus régulières, et principalement dans d’autres composées exprès pour être plus libres.
Ce n’est que dans le pays des romans qu’il se trouve un cœur assez conbustible pour être embrasé du feu de l’amour dans une seule entrevue ; si ces amours sont réels, ils ont dû sans doute déplaire à Philippe, & attirer des mauvais traitemens à tous les deux ; mais hors du pays des romans, l’amour du vieux Prince n’a pu le porter a faire mourir son fils & sa femme, son successeur au trône qu’il avoit toujours aimé, & qui avoit de très-belles qualités, & une Princesse, une maîtresse très-belle & très aimable qu’il venoit d’épouser, & dont il étoit éperduement amoureux ; mais il faut du merveilleux sur la scène tragique, Melpomene n’est pas scrupuleuse sur les vraisemblances, l’amour fait par-tout des miracles. […] Elle en a refusé jusqu’à vingt-quatre ; ce seroit une pièce bien ennuyeuse si l’on faisoit paroître sur la scène ces vingt-quatre amans, les uns sérieux & tragiques, les autres comiques & divertissant ; plusieurs ne seroient que pour le remplissage, & joueroient un fort petit rôle, mais traités séparément par une main habile, on en feroit plusieurs pièces. […] Écrivain médiocre, autant que Prince médiocre ; ses ouvrages ne valent pas mieux que ses sentimens, mais l’esprit de la secte & l’enthousiasme d’un savant éteignirent en lui les sentimens de la nature & de l’honneur, il en fut puni dans sa postérité qui a perdu le trône de la Grande Bretagne dans la personne de son petit-fils détrôné par son propre gendre ; il en fut puni dans son fils & son successeur Charles I qui périt sur un échaffaud comme sa mère, ainsi par un évenement unique dans l’histoire, le Roi Jacques, ou selon l’expression des Anglois la Reine Jacques, Regina Jacobus, qui le premier des Stuart abandonna la Religion Catholique & acheva de la perdre dans ses Etats, se trouve placé entre deux morts les plus tragiques qui furent jamais, de sa mère par Elisabeth, de son fils par Cromvel. […] Cette puérile mascarade dans un événement si tragique n’en imposa à personne, elle révolta tout le monde, on s’en moqua par-tout ouvertement.
L’histoire de France lui a fait voir plusieurs évenemens tragiques & comiques qui peuvent fournir la matiere d’un drame régulier. […] On eut recours aux Supérieurs militaires pour venger Thalie, tous deux amateurs déclarés, & grands acteurs, l’un dans le tragique, & l’autre dans le comique. […] L’Auteur a le goût tragique, il lui faut partout des Euménides & des poignards, de l’horrible & de l’abominable. […] A-t-il lu les Poëtes tragiques ?
Le sieur le Kain, acteur célebre, dont le ton tragique, & la déclamation énergumene en imposeroient à ceux qui oseroient penser différemment, a fait l’annonce de la piéce, & témoigné au nom des comédiens : leurs sentimens d’admiration, de reconnoissance, de pieté filiale envers leur pere, leur bienfaiteur, l’homme de génie, qui a illustrè la scène Françoise ; il a déclaré en même-tems, que le produit de la représentation de cette piéce étoit destiné, par les comédiens, à ériger la statue de Moliere, & qu’ils esperent le secours de la nation pour consommer ce grand ouvrage ; démarche & quête mesquine ! […] Son comique ne fut pas mieux accueilli que l’avoit été son tragique. […] Il arrive souvent, dit le Pere Hosta missionnaire Italien du Tonquin, qu’on joue les comédies pendant le repas, ce divertissement est mêlé de la plus affreuse musique, les instrumens sont des bassins d’airain, dont le son est aigu, un tambour fait de peau de bufle, qu’on bat, avec les pieds, ou avec des bâtons, comme les Trivelins d’Italie ; les voix des musiciens font à peu près la même harmonie, les acteurs sont des jeunes garçons depuis douze jusqu’à quinze ans (point de femme,) des conducteurs les menent de province en province ; leurs piéces sont ordinairement tragiques, à en juger par les pleurs des acteurs, & les meurtres feints qui s’y commettent.
Non, car le sujet était horrible et tragique, et tel pour plus grand profit l’avaient choisi en cette action les jésuitescf. […] [NDE] Les jésuites avaient choisi le sujet tel (horrible et tragique) pour en tirer un plus grand profit didactique.
» C'est bien au milieu des cris d'un Acteur tragique qu'on s'occupe des oracles des Prophètes, et qu'on rappelle le chant des Psaumes dans les chants efféminés (de l'Opéra) ! […] Les Acteurs tragiques pousseront alors des cris plus perçants que sur le théâtre, les Comédiens seront comme dissous par la force du feu plus que par la dissolution de leurs mœurs et de leurs gestes.
Et tant s'en faut qu'il ait inventé et joué des Comédies, nous trouvons au contraire que tous les sujets qu'il a dansés étaient tragiques, comme nous l'apprenons des fragments qui nous en restent ; Ce qui montre que c'étaient des Mimes, dont les sujets étaient presque toujours les mêmes que ceux des Tragédies, ainsi que nous l'avons montré.
Il pouvoit profiter de l’allusion, & faire semblant de la percer dans sa chûte, ce qui auroit rendu la scene plus tragique. […] Juvenal, Martial, parlent en divers endroits de ces robes de théatre, & se moquent de Neron, qui après avoir joué le rôle de Thieste, avoit par honneur attaché sa robe à queue, longum syrma , à la statue de Domitien son pere ; & ailleurs, parlant de l’enfleure d’un mauvais Orateur, vous avez beau prendre le ton de la déclamation tragique, chercher les plus grands forfaits dans toutes les tragédies, & vous affubler de toutes les longues robes de théatre, votre style n’en vaudra pas mieux : Quantumvis volvas omnia syrmata.
On a de la peine à croire qu’un versificateur si médiocre dans le tragique, où l’on sait jouer les mêmes rôles aux passions, ait pu enfanter un ouvrage si parfait. […] Ceci sera plus amplement expliqué dans mes Commentaires des Auteurs Tragiques & Comiques, ouvrage immense, auquel je travaille depuis dix ans.
Le programme parle ainsi : Il faut bien développer le caractère de son génie poëtique & tragique, ainsi que l’influence qu’il a eue sur notre Théatre, sur notre poësie en général, peut-être sur nos mœurs (si cela est, il ne les a certainement pas réformées), & sur notre maniere de penser, enfin sur l’esprit qui a regné dans le beau siecle de Louis XIV, sur les hommes supérieurs même dans les genres de pur agrément. […] Aussi n’est-il pas dans le haut tragique, & il est juste que tout soit mis à l’unisson.
Mais c’était exiger l’impossible, et ce fut une de ces contradictions qui lui étaient assez ordinaires : le théâtre, qui le connaissait, n’eut aucun égard à ces défenses de cérémonie ; la licence survécut à la déclaration et à lui, jusqu’à ce que Corneille ayant pris le dessus, étant devenu le père et le modèle de la scène tragique, et toutes ses belles pièces étant décentes, son exemple fit impression et apporta quelque réforme. […] Les poèmes de Corneille, ainsi que de Voltaire et de la plupart des tragiques, ne sont pas bonnes dans un Etat monarchique.
C'est une espèce de théâtre intérieur qui tantôt comme une prairie émaillée de fleurs, offre des beautés riantes et gracieuses, tantôt présente des tableaux hideux et lugubres, joue tour à tour le comique, le tragique, l'opéra, la foire, les bouffons. […] Le théâtre présente à des yeux Chrétiens un second spectacle plus ridicule que la comédie, et bien tragique pour ceux qui comptent la mort de l'âme pour quelque chose : une foule de personnes assemblées pour s'oublier et se perdre elles-mêmes, méprisant leur principe et leur fin, la raison et la vertu, pour se repaître de chimères ; détruire le langage et les sentiments de la religion, pour ne parler que celui de la passion ; au lieu de travailler à corriger leurs vices, ne faire qu'en rire, et étudier l'art de les augmenter.
Ces aventures tragiques étonnent, effrayent, abattent, mais ne réjouissent point du tout. […] L'homme est à lui-même un grand spectacle, dont la scène est dans son cœur, comique par ses défauts, tragique par ses crimes et sa réprobation.
C’est la même raison dans les conversations tragiques : les princes ne parlent pas plus en vers que les bourgeois, & jamais les passions, ni des grands, ni des petits, n’ont emprunté le langage des muses. […] Mais l’usage en est établi, la poësie regne dans le tragique, les chef-d’œuvres de Corneille & de Racine (beaux noms que l’usage met par-tout) sont tous en vers : voilà le ton du jour. […] Malgré toutes ces fêtes, le monarque infortuné déplut à la nation ; &, par le dénouement le plus tragique qui fût jamais, passa du théatre sur l’échaffaud.
Pour moi je ne puis m’empêcher de répéter que l’art Tragique se propose d’ébranler l’ame par de violentes sécousses ; que le sentiment perd de son activité à proportion que l’esprit fait des progrès ; que le goût analytique est le plus cruel fléau de l’imagination & de l’enthousiasme ; que c’est à l’empire qu’il exerce de nos jours sur le Parterre, qu’il faut attribuer en partie, la foiblesse de nos Poëmes, & la décadence du Théatre.
On ne s’est pas encore avisé de jouer la comédie le jour de l’enterrement, à l’honneur du mort ; mais bientôt ce sera une partie du cérémonial des obséques, & l’on verra sur les cartouches, sur les draps mortuaires, sur les tombeaux des têtes & des ossemens de morts, avec des violons & des masques ; cet assemblage digne de notre siécle, qui est le siécle du théatre, est plus tragique que comique, fait plus gémir que rire, il insulte tout ; mais l’entousiasme du théatre ne connoît point de regle, il brave la bienséance de la Réligion, il mêne de la Messe à la comédie, il peut bien mener d’un enterrement, d’une prison à l’opéra.
Or, vous ne sauriez me nier que le but de la Tragédie ne soit d’attendrir finement le Lecteur ou le Spectateur, de saisir son sensible par la fiction des choses funestes et tragiques, qu’il ne voudrait pas néanmoins endurer.
J’y verrai Dumesnili , ou plutôt Melpomènej, Attirant tout Paris sur la tragique Scène, D’une Amante offensée imitant les fureurs, De sa haine étonner, ou remplir tous les cœurs ; Quelquefois immolant d’innocentes victimes, De Médée à nos yeux retracer tous les crimes.
Il est à propos que le Roi crée une place de premier Poète tragique ou sérieux, et une autre de premier Poète comique, qu’il les nomme d’entre les trois que nommera le Bureau des spectacles, ils seront choisis entre ceux qui auront fait plus de pièces qui soient en même temps plus agréables aux spectateurs et plus utiles aux bonnes mœurs.
Les héros qu’on introduit sur la scène tragique, les simples citoyens qui parlent & qui agissent dans la comédie, ne paroissent-ils pas également asservis à cette passion impérieuse ? […] S’il est dangereux de se former l’idée de la vertu sur ces héros de l’antiquité payenne qu’on introduit sur la scène tragique, est-il plus sûr, mes Frères, de prendre pour règle de sa conduite & de ses mœurs les maximes qu’on débite dans cet autre spectacle, qui est destiné à représenter les actions les plus ordinaires de la vie ; je veux dire la comédie ?
Les acteurs & les actrices jouoient bien des scènes de toutes especes dans la traversée, mais aucun ne s’attendoit à ce dénouement vraiment tragique, qui termina la piece vers le tropique du Capricorne, en les livrant au trident de Neptune. […] Cette prétendue réforme ne sait, comme celle des protestans, qu’adoucir les austérités, mitiger les regles, les prieres, les exercices, & débarrasser de tout ce qui gêne : cet air de liberté, ce ton de mondanité, détruit l’esprit de l’état, & forme une décoration comique ou plutôt tragique, puisque la religion en souffre, & que le contraste de la rigueur édifiante des regles primitives avec les nouvelles constitutions scandalise les foibles.
Le goût de la nation & des Auteurs est tourné presque totalement au tragique. […] Les Opéra se passent presque tous en fêtes & divertissemens, & dans le petit nombre de tragédies qu’ils donnent, le chant, la danse, les décorations éteignent tous les sentimens tragiques.
Il confirmait par un fait tragique arrivé de son temps, les éloges que les lois en font. […] ) De pareils exemples, sans être toujours si éclatants et si tragiques, ne sont pas rares.
Nous n’osons pas même aller aux autres spectacles, pour ne pas souiller nos yeux et remplir nos oreilles des vers profanes qu’on y lit, « ne oculi nostri inquinentur, et aures hauriant prophana quæ ibi decantantur carmina », par exemple, quand on y raconte ou représente les actions tragiques de Thyeste ou de Thésée. […] Les spectacles sont des voluptés qui souillent l’âme par tout ce qui s’y fait : « Voluptates quæ inquinant per ea quæ his geruntur. » Les tragiques ne s’occupent que des forfaits des Rois, les comiques des amours et des intrigues des coquettes ; le théâtre n’est qu’un lieu de débauche, « theatrum prostibulum ».
Dans les événements de la vie, ou les plus inattendus ou les plus tragiques, il sait encore ranimer en nous le sentiment de l’espérance ou celui du bonheur, en nous portant à la plus parfaite résignation. […] Les acteurs tragiques n’étaient donc alors, à vrai dire, que des historiens dont le talent devait jouir d’une considération d’autant plus grande à Athènes, qu’il en relevait toute la gloire, et qu’il en flattait l’orgueil et la vanité. […] Ils ne peuvent ignorer le péril extrême que courut Eschyle, ce fameux tragique, qui, pour une impiété contre les Dieux, fut traduit en jugement et traîné au supplice, auquel il ne put échapper que par l’adresse et le courage de son généreux frère. […] Aussi fière qu’Athènes de ses fameux tragiques, la France pourra donc compter encore d’autres Sophocle, de nouveaux Euripide, et son théâtre, réellement le premier de l’univers ; oui son théâtre français enfin épuré, pourra désormais s’enorgueillir d’avoir recouvré et peut-être surpassé son ancienne splendeur. […] Loin des regards de cette multitude toujours avide de scènes tragiques ou scandaleuses qui piquent son oisive curiosité, il se plaît à rétablir le calme dans le foyer paternel, et c’est pour lui le bonheur suprême de voir réunis par ses soins, des frères prêts à dissiper en contestations amères le faible produit de leur héritage.
L’Histoire nous offre à la vérité, nombre d’événemens tragiques.
Si l’on peut les ramener au but utile du beau Dramatisme comique ou tragique.
Et ces farces exécrables dont en France on fait un dessert de ciguë aux représentations tragiques et sérieuses, mériteraient sans doute une sévère punition du Magistrat parce que les mauvais propos et abominables que l’on y tient ne corrompent pas seulement les bonnes mœurs et n’apprennent pas seulement au peuple des mots de gueule, des traits de gausseries et des quolibets sales et déshonnêtes mais le porte à l’Imitation des friponneries et sottises qu’il voit représenter et qui par ses yeux (lesquels sont plus vifs que l’ouïe) passent dedans son cœur.
Mais ce ne sont pas les ridicules qui font la honte des rois & le malheur des peuples ; ce sont les passions qui les dominent ; & jamais les auteurs ni les acteurs tragiques & comiques n’en ont guéri aucune, ni dans les princes, ni dans les sujets.
Nous lisons dans la Poëtique d’Aristote que ceux qui préféroient le Poëme Epique au Poëme Tragique, se fondoient sur ce que le Poëme Epique ne devoit faire son impression que sur des Spectateurs éclairés, & par conséquent, disoient-ils, l’Epopée n’a pas besoin des secours que la Tragédie emprunte pour faire son effet sur des Spectateurs qui sont d’ordinaire une vile populace.
Pour ce qui est des décorations, les Anciens en avaient de trois sortes selon les trois sortes de pièces qui se jouaient sur le Théâtre, les Comiques, les Tragiques et les Satiriques. […] On doit joindre à Sénèque Pomponius Secundus, Poète Tragique qui vivait sous les Empereurs Caius et Claude. […] Pline le Jeune et Quintilien l’ont loué ; et Terentianus Maurus, qui écrivait peu de temps après, joint Sénèque et Pomponius comme les deux Tragiques les plus estimés De Metris pag. 81. […] « In tragicis junxere Choris hunc sæpe diserti, Annæus Seneca et Pomponium ante secundus. » Ces deux Auteurs Tragiques étaient beaucoup plus chastes qu’on ne l’est à présent. […] Les Histoires Tragiques nuisent par le récit qu’on y fait des parricides ou autres vices des grands.
Un très grand nombre d’Abbés & de Jésuites ont depuis travaillé pour la scéne, dans tous les genres : Lyrique, tragique, comique, pastorale, &c. […] Au jour marqué, parurent sur la riviere d’Arne, un grand nombre de barques chargés d’échafauts, & de personnages qui représenterent l’enfer : on y voyoit du feu, des roues enflammées, divers autres genres de supplices : parmi quantité de dragons & de serpens monstrueux, on voyoit des hommes, dont les uns portoient des figures horribles, des démons ; les autres tous nuds pour représenter les ames des damnés, jettoient des cris & poussoient des hurlemens aussi affreux que s’ils avoient été en effet dans les tourmens ; mais rien ne pouvoit être plus tragique que ce qui termina cette scene : au moment que le peuple, avide de ces folles représentations, paroissoit le plus attentif, le pont construit de bois, se trouvant trop chargé, tomba tout à coup : tous ceux qui étoient dessus, furent précipités dans les eaux ; & plusieurs y périrent : ceux qui se sauverent, furent la plupart estropiés & toute la ville dans la désolation.
Voilà du tragique ; mais voici qui est très-comique pour préparer les voies à ses invasions, désarmes & endormir le monde par une réputation de modération & de justice. […] La guerre suivante, pour l’élection du Roi de Pologne Stanislas, ne fut ni moins tragique par le sang qu’elle fit répandre, ni moins comique par les rôles qu’y joua lâ Prusse.
C’est alors, Messieurs les Tragiques, que vous aurez des Héros à peindre, jusque-là vous ne peindrez que des Don Quichottes. L’imbécile Public s’était imaginé depuis longtemps que l’Achille de Racine, le Britannicus, la Phèdre, l’Athalie, Atrée, Thyeste, Pyrrhus, Electre, Orosmane, Zaïre étaient des personnages vraiment tragiques : qu’il est heureux, ce Public, d’avoir un précepteur comme Jean-Jacques Rousseau pour le tirer de son aveuglement !