On ne trouve dans la piété, ni ce brillant du style, ni cette harmonie des vers, ni cette émotion de l’âme, ni cet amusement de l’esprit, ni cette légèreté de la danse, ni cette mélodie des airs vifs ou tendres qui enchantent sur le théâtre. […] C’est que la mollesse de leur chant avait, des louanges de Dieu, fait des airs de théâtre ; ce qui dérangeait même à l’Eglise les gens les plus pieux, par mille occasions de dissolution et de péché : « Cantus suavitate velut scenicis cantibus, ad extimulandas libidines, in dissolutionem et peccati occasionem cessit. » Dira-t-on que ces airs tendres et efféminés sont moins dangereux au théâtre, où tout favorise, où rien n’arrête la passion ? […] 6.) qu’il est mal aisé d’expliquer combien sont dangereux les pièges que tend la volupté au théâtre : « Quam periculosos laqueos exhibeant mimicæ voluptates. » Si l’on pouvait fouiller dans le fond des cœurs, on verrait le spectateur pousser des soupirs à chaque son des instruments (combien plus vivement à chaque accent des Actrices !) […] Des légions de démons qui l’infestent, y répandent tant de plaisirs et si séduisants, que les âmes les plus chastes peuvent à peine s’en défendre : « Honestæ mentes superare non possunt. » Comme à la guerre, on creuse des fosses, on plante des pieux, on sème des chausses-trapes, on tend des embûches sur la route de l’armée ennemie, où toujours quelqu’un est pris : « Tam multæ illecebrarum insidias ut aliqua capiatur. » Il serait impossible d’épuiser le détail de tous ces prodiges d’impureté, « portentis ».
J’avance donc que, plus le style sera scrupuleux, les situations tendres & décentes, & plus aussi la Comédie-Ariette sera sûre de plaire. […] L’on sent bien que, quelles que soient les mœurs d’un Petit-maître & ceux de la Coquette qui le subjugue, ils ne trouveraient pas grand plaisir l’un & l’autre, à répéter des couplets indécens, mais pourtant mille fois au-dessous du libre de leurs conversations particulières & de leurs Billets-doux : c’est du tendre qui les charmera : ils se passioneront en le chantant : c’est un sentiment inéprouvé ; c’est du neuf pour eux ; ils en sont enchantés : sans rien sentir, ils soupirent, & par des mouvemens passionés, ils mentent, avec une volupté qu’eux seuls peuvent apprécier, le sentiment qu’ils ne connaissent pas.
Sinon un vain plaisir qui sera d’autant plus vif que la pièce tracera plus fidèlement le portrait de nos maladies secrètes, dont elle est l’attrait et la pâture, « plena, comme dit saint Augustin, fomitibus miseriarum mearum », j’avoue que l’histoire intéresse de même le lecteur dans les actions qu’elle représente, et qu’il est malaisé de lire la Romaine, sans détester les cruautés de Marius et de Sylla, la profonde dissimulation de Tibère, aimer la clémence d’Auguste, sans grossir le parti de Pompée contre César, mais quelle erreur de ne savoir pas distinguer entre l’art de décrire les méchantes actions pour en inspirer de l’horreur, et celui de peindre des passions tendres, agréables, délicates, d’une manière qui en fasse goûter le plaisir, ne doit-on pas avoir quelque honte de confondre deux choses si opposées ? […] Mais quoi me dira-t-on en dernier lieu, peut-on prier sans cesse, et avoir toujours l’esprit tendu ?
Quelle innocence à l’épreuve de tous les pièges qu’on y tend ? […] mettre cinq ou six heures de temps à se parer et à se peindre le visage, pour aller ensuite dans une assemblée tendre des pièges à la chasteté des hommes, et servir de flambeau au démon pour allumer partout le feu de l’impudicité : demeurer les nuits entières exposé aux yeux et à la cajolerie de tout ce qu’il y a de libertins dans une ville ; employer tout ce que l’art et la nature ont de plus dangereux pour attirer leurs regards, et pour séduire leur cœur, déguiser sa personne et son sexe, pour ôter à la grace ce petit secours qu’elle trouve dans nos habits ; rouler de quartier en quartier sous un masque de théatre ; ne se pas contenter de discours frivoles et inutiles, se relâcher jusqu’à dire des paroles qui scandalisent : de quel terme oserait-on se servir pour autoriser une licence si scandaleuse ?
On doit conclure que ceux qui outre cela donnent encore de l’argent pour assister à la Comédie sont plus coupables, puisqu’ils contribuent d’une manière plus efficace à la faire jouer ; de sorte que l’argent qu’on donne aux Comédiens, dit Saint Augustin81, tend à les entretenir dans leur iniquité, comme celui que l’on donne à une femme débauchée. […] Saint Isidore de Damiette100 a dans son Epître 336, suppose cette vérité, quand il dit que « les Comédiens n’ont jamais dessein de rendre meilleurs ceux qui vont à la Comédie, et quand ils le voudraient, ils ne le pourraient pas, parce que leur profession ne tend et n’est propre qu’à nuire. […] On répond à la seconde demande de l’exposé, que si la Comédie est mauvaise, comme on l’a prouvé, et que par cette raison tant les Acteurs que les spectateurs pèchent grièvement, quoique différemment ; tous ceux qui coopèrent à la Comédie d’une manière prochaine et déterminée, pèchent pareillement, et particulièrement ceux qui composent pour le Théâtre les Pièces que l’on y représente ordinairement, parce que leur action tend d’une manière déterminée à une chose mauvaise. […] La mère de cette Sainte, dit ce Père, avait un grand soin de la faire instruire, et entre autres choses elle ne lui permettait point de lire les Fables, ni les Comédies : « Car108 elle regardait, dit-il, comme une chose honteuse et tout à fait indécente, de gâter un esprit bien élevé et encore tendre par toutes ces tragiques histoires de femmes dont les Fables des Poètes sont remplies, ou par les saletés qui se trouvent dans les Comédies ». Il suit de tout ce qui a été dit ci-dessus, que de la manière dont les Pères et les Canons de l’Eglise ont parlé de la Comédie et des Comédiens : que les Evêques se sont expliqués dans leurs Rituels, et s’expliquent encore aujourd’hui ; on doit être persuadé que la Comédie, comme elle se joue par les Comédiens, a toujours été reconnue jusqu’à présent comme une chose mauvaise, qui excite les passions et tend à corrompre les bonnes mœurs, soit par la représentation, soit par les différentes circonstances qui l’accompagnent.
La deuxième regarde les Auteurs, et généralement tous ceux qui y coopèrent ; ils répondent à cette demande, que tous ceux qui coopèrent à la Comédie d’une manière prochaine et déterminée pèchent, et particulièrement ceux qui composent pour le Théâtre les Pièces que l’on y représente ordinairement, parce que leur action tend d’une manière déterminée à une chose mauvaise. […] On rapporte l’exemple de la mère de sainte Macrine sœur de saint Grégoire de Nysse, qui avait un si grand soin de sa fille, qu’elle ne lui permettait pas de lire des Fables ni des Comédies, regardant comme une chose honteuse de gâter un esprit encore tendre, par toutes ces Histoires tragiques de femmes, dont les fables des Poètes sont remplies, ou par les idées mauvaises des Comédies. […] Tendres Amours, enchantez-nous toujours, O jours heureux que l’on vous trouve courts !
« Non seulement les romans et les pièces de théâtre éloignent l’âme de tous les actes de religion et de piété, mais encore ils tendent, en quelque manière, à nous inspirer une profonde aversion pour toutes les actions ordinaires et sérieuses. […] Les maximes impies qu’elles renferment tendent à inoculer de mauvais principes aux hommes et à affaiblir en eux ce respect et cette crainte religieuse que la Divinité et les choses divines doivent inspirer ; le libertinage qu’on y rencontre à chaque pas est éminemment propre à infecter l’esprit des hommes, et à les disposer à la débauche et à la dissolution. […] Si nous avions pour la gloire et le service de Dieu seulement la moitié de la sensibilité et du zèle que nous témoignons à nos amis ou à nos partisans politiques, trouverions-nous quelque plaisir dans des lieux où la débauche enflammée par les fumées du vin, guidée par la licence, vient puiser des impressions conformes à son état et à ses goûts ; ces lieux qu’on a osé appeler des écoles de morale, et du voisinage desquels s’empressent de se retirer la morale, la modestie, la décence, tandis que la débauche et le libertinage s’empressent de s’y rendre, et y établissent leur résidence de prédilection ; ces lieux où le saint nom de Dieu est journellement blasphémé, où l’on applaudit des gestes et des paroles qui ne seraient pas tolérés dans une société quelconque, mais qui peuvent hardiment dépasser toutes les limites les plus reculées assignées à la licence dans nos cercles, sans franchir les limites tout autrement larges de la décence théâtrale ; ces lieux enfin où la morale qu’on débite n’est pas celle que doit chérir et respecter tout chrétien, mais celle à l’extirpation de laquelle doivent tendre ses efforts de tous les jours ; non celle que nous recommandent les saintes Ecritures, mais celle qu’elles condamnent comme fausse et criminelle, fondée sur l’orgueil, l’ambition et la faveur.
Ce n’est pas que j’ignore que mon Lecteur, s’il a retenu tout ce qu’il a lu jusqu’à présent, ne soit en droit de me regarder comme l’ennemi déclaré de la passion d’amour sur la Scène ; et j’avoue sans peine qu’il aura raison : cependant, autant que je suis contraire à cette passion, lorsque la représentation en est nuisible, et qu’au lieu de guérir une maladie, elle ne fait que la rendre plus dangereuse ; autant suis-je éloigné de l’exclure du Théâtre, toutes les fois qu’elle y pourra paraître avec utilité, et d’une manière qui tende à en corriger les inconvénients. […] Dans la situation où se trouve Polyeucte, lorsque, déterminé à souffrir le martyre pour la foi, il se voit arrêté par les prières de sa femme, et par les tendres efforts qu’elle fait pour l’en détourner ; quel sentiment ces critiques auraient-ils mis dans le cœur et dans la bouche d’un tel mari ? […] Après toutes ces réflexions, qui prouvent suffisamment la différence qui se trouve entre les deux intrigues d’amour des Tragédies de Mithridate et de Rhadamiste, je crois que, d’avoir rejeté cette première ne doit point m’empêcher d’adopter la seconde, qui me paraît en toutes ses parties tendre à l’instruction des Spectateurs.
Enchantée de savoir un nombre infini de petits airs, elle les joignit à des paroles tendres qui èxprimaient les sentimens de son cœur. […] S’ils avaient accordé à leurs Artistes les libertés que les nôtres ont le droit de prendre, le chant & l’harmonie auraient atteint chez eux l’énergie & la force, le tendre & l’agréable, auxquels ils sont arrivés de nos jours. […] La trop tendre Sapho aurait bien dû se servir de ce moyen pour adoucir la rigueur du jeune Phaon, plutôt de se précipiter de désespoir dans la mer : sans doute que l’ingrat qu’elle adorait, n’aimait pas la musique. […] Les gens sensés chez les Grecs, (ainsi que le prouve particulièrement le passage de Plutarque que je viens de citer,) trouvaient qu’une musique trop tendre, trop éfféminée, était très-pernicieuse ; on ne pouvait même s’empêcher de détester à Athènes un nommé Phrynis, qui amolit, dit-on, la musique ancienne. […] D’ailleurs, à force de répéter des Chansons tendres, voluptueuses, le cœur s’enflamme, l’on est moins révoltée de s’entendre adresser des douceurs que l’on prononce tous les jours avec sentiment.