Le Spectacle moderne s’écarte souvent de la Vraisemblance. Tout cela se trouve réuni dans le nouveau Théâtre ; aucun Spectacle n’employe aussi-bien que lui la Vraisemblance ; c’est peut-être la raison qui nous le fait tant chérir. […] Un Spectacle si naïf, si simple, devrait-il tomber dans de pareilles fautes ?
IL y a deux sortes de Parodies dramatiques, l’une où les Acteurs parlent tout simplement, & l’autre qui se chante : cette dernière, de beaucoup plus ancienne, appartient de droit au Spectacle moderne par sa nature & par son genre. […] Nos Pièces simplement de Dialogues ne sont pleines sur-tout que de bouffonneries ; elles éxcitent le rire immodéré, par un Spectacle, par une action burlesque, & par de bons mots entâssés les uns sur les autres : elles ne peuvent amuser que la populace ou les enfans. […] Cette Pièce offre un Spectacle fait pour des fous, plutôt que pour des hommes sensés.
Les Spectacles auraient été bientôt détruits, si l’homme ne s’était absolument intéressé qu’à la vérité ; mais il suffit qu’il en voye l’apparence ; sa seule image le touche & l’affecte. […] L’Abbé du Bos21 croit qu’on aime les Spectacles tragiques, quelque déchirement qu’ils fassent éprouver à l’âme sensible, parce que le cœur est énnemi du repos, qui le fait tomber dans l’indolence, dans une langueur insipide : afin de s’occupe, il se remplit de passions, tristes ou enjouées, peu lui importe, pourvu qu’elles le retirent du désœuvrement. […] 18 Il est inutile de parler des autres Spectacles.
Ce ne fut pas le seul spectacle où le Pontife oublia la Sainteté de la Thiare, ce fut une tâche dans un Pontifiat que de grands événemens ont rendu célébre. […] Sa passion dominante étoit la musique, il réussissoit admirablement à chanter & à composer, il avoit chez lui des concerts, & sa maison devint le plus curieux spectacle de Rome. […] Ce spectacle plût beaucoup au peuple Romain. […] Ses égaremens ne justifient pas le spectacle, le spectacle les condamne. […] C’est à Rome que les spectacles ont été portés à un plus grand excès de somptuosité & de licence.
Ceci pourra paroître singulier à la plupart de ceux qui sont accoutumés à regarder la Comédie comme un Spectacle de pur amusement ; mais je les prie de mettre à part les préjugés que l’habitude leur a fait contracter, & d’examiner quelques Comédies d’après les principes constitutifs de son essence, j’espere après cela, que la plupart de mes lecteurs trouveront mon opinion moins extraordinaire. […] On sort d’un pareil Spectacle plus suffisant, plus orgueilleux & plus impertinent qu’on n’y étoit entré ; on est bien résolu d’éviter le ridicule du vice, c’est-à-dire, samaniere d’être extérieure ; mais on est déterminé d’en conserver le fond, s’il est intéressant pour nous de le conserver : c’est ce qui fait que la Comédie parmi nous n’a produit d’autre effet jusqu’ici, que de supprimer le ridicule du vice, sans le détruire ; & il étoit naturel que cela arrivât ainsi, puisque généralement parlant, la Comédie a lancé tous ses traits plutôt sur la maniere d’être extérieure du vice, que sur le fond du vice. […] Je ne compte pas parmi les avantages de la Comédie, traitée selon les regles qui constituent son essence, celui de faire cesser le cri des dévots contre les Spectacles ; car il faut convenir qu’ils n’ont eu jusqu’ici que trop de raisons de déclamer contre un Spectacle qui se prétendant institué pour corriger les Mœurs, les a peut-être rendues plus mauvaises.
Ils plaignent les Poëtes, oublient l’Acteur, sont peu frappés du spectacle, & finissent souvent par s’en dégoûter. […] Ils lui donneroient plus de confiance en sa théorie, il ne parleroit plus qu’élemens : il leur conféreroit sans cesse toutes les parties d’une Tragédie ; le tems que dure un spectacle ne seroit employé qu’à des disputes sur l’art d’attendrir & d’émouvoir, qu’à des puériles discussions sur les fautes que l’Auteur pourra avoir commises. […] Ce spectacle affreux vous feroit regretter d’avoir joui encore une fois de la lumière. […] Nous semblons n’aller au spectacle que pour eux.
Il ne sert de rien de répondre, qu’on n’est occupé que du chant et du spectacle, sans songer aux sens des paroles, ni aux sentiments qu’elles expriment : car c’est là précisément le danger, que pendant qu’on est enchanté par la douceur de la mélodie, ou étourdi par le merveilleux du spectacle, ces sentiments s’insinuent sans qu’on y pense ; et plaisent sans être aperçus.
Saint Charles Borromée, qui vivoit à la fin du seiziéme siécle, eût le même sentiment de celle qu’on représenta alors ; & nous dit : « Qu’entre les entretiens publics de corruption étoient les spectacles de la Comedie, & que tout ceci étoit contraire à la morale chrétienne. » Personne ne nous prouvera, que le Theatre du dixseptiéme, ou du dixhuitiéme siécle soit plus chaste que dans le siécle de ce Saint : je suis donc en droit de pouvoir suivre le commandement du même Saint, qui veut, que ceux qui ont quelque charge des ames, en inspirent de l’horreur à celles que Dieu leur a confiées ; qu’ils leur montrent, que ces spectacles sont les malheureuses sources des calamités publiques, qui accablent le peuple chrétien ; & qu’ils alleguent à cet effét l’autorité des Saints Chrysostome, & Cyprien, & du grand Salvien. […] La grace de Jesus-Christ produit dans les prédestinés une aversion pour toute vanité, & pour les spectacles de la Comedie : Saint Luc au livre des Actes des Apôtres parle des premiers Chrétiens comme des gens livrés & devoués à la grace ; & ces gens ne paroissoient jamais aux spectacles de la Comedie : ou s’il y en paroissoit quelqu’un, on le regardoit délors comme un Apostat & un Infidéle. […] Or les saints Peres m’apprennent, que d’abandonner les spectacles de la Comedie c’étoit une marque de Religion, & une marque bien autentique dans l’estime commune des premiers chrétiens, qui jugeoient selon la morale de Jesus-Christ. […] « C’est vous joüer, mon frere, écrivoit saint Cyprien, d’avoir dit anatheme au demon, comme vous avez fait recevant sur les Fonts la grace de Jesus-Christ, & de rechercher maintenant les fausses joies, qu’il vous présente dans ce spectacle de vanité. » Elle a raison la Demoiselle, que du moins les Devotes s’en doivent absténir : & ce seroit à juste titre qu’elle se scandaliseroit, si quelqu’une de ces Demoiselles, qui se sont volontairement engagées à passer leur vie en priéres & en œuvres de charité, venoit se montrer dant la Comedie ; si elle veut prendre, diroit elle fort bien, part à nos plaisirs & à nos passetems, qu’elle renonce à sa vie retirée & à la profession : voila, Madame, quels seroient les justes sentimens de cette fille sur la conduite des Devotes : mais pourquoi ne s’applique-t-elle pas des regles si justes & si raisonnables ? […] « quiconque cherche le péril, y perira », & qu’on y ajoute le sentiment de tous les Docteurs, que de rechercher une occasion où l’on commet ordinairement le crime, c’est être dans le dessein de le commettre : & quelle sera la personne si heureuse, pour qui ces spectacles ne sont pas des pechés, & des pêchés griefs, & des pechés dignes de la reprobation éternelle ?
Nous avons souvent parlé des spectacles de la Chine, voici ce que nous apprend de ceux du Tonquin, le dernier & vingt-neuvieme tome des Lettres édifiantes & curieuses, des missions étrangeres des Jésuites, dont le travail utile & agréable est interrompu depuis plusieurs années. Ces spectacles sont fort semblables, le Tonquin est non-seulement voisin de la Chine, mais en étoit autrefois une province ; les mœurs, les loix, la créance, les divertissemens doivent être à peu près les mêmes. […] Il n’y a pas de spectacle au Cap, & on ne l’y désire pas, chacun in voit dans sa maison de fort touchants ; des domestiques heureux, des enfans bien élevés, des femmes fidelles ; voilà des plaisirs que la fiction ne donne pas . […] Des hommes faits doivent s’occuper des choses utiles, ce théatre quoique fort élagué, est encore dangereux ; mais combien doit être souverainement pernicieux un corps de spectacle, toujours subsistant ; des corps d’acteurs & d’actrices établis, soudoyés, protégés, favorisés ouvertement, qui passent leur vie à donner tous les jours des leçons, des objets, des modeles, des occasions, des exemples de tous les vices. […] Mais il passe sa vie au spectacle ; il écoute attentivement, il retient aisément ; peut-il ne pas goûter les oracles que prononce sur la scéne une belle bouche, qu’embellit un pas de trois, que réchauffe un coup d’archet, & qu’il est d’ailleurs si porté à croire ?