Ainsi les Poètes qui doivent s'accommoder à ces inclinations pour leur plaire, sont obligés de faire en sorte que leurs pièces roulent toujours sur ces trois passions; et de les remplir d'amour, de sentiments d'orgueil, et des maximes de l'honneur humain. […] Je l'ai vu, j'ai vengé mon honneur et mon père; Je le ferais encor, si j'avais à le faire. » C'est par la même corruption d'esprit qu'on entend sans peine ces horribles sentiments d'une personne qui veut se battre en duel contre son ami, parce qu'on le croyait auteur d'une chose dont il le jugeait lui-même innocent.
Le métier de Comédien fut toujours un métier d’esclave, et jamais la pureté des mœurs ni la noblesse des sentiments n’ont dû les affranchir. […] Il faut que ces nobles sentiments de décence et de dignité qui caractérisaient les maîtres du monde, fussent bien profondément gravés dans leur cœur pour avoir survécu à leur vertu, et résisté à l’amour effréné des spectacles : « Video meliora proboque, deteriora sequor », disait un Romain qui ne les haïssait pas. […] La loi que l’on viole, les sentiments qu’on combat par les œuvres, sont-ils moins certains ? […] Il mourut, dit-on, dans de grands sentiments de repentir. […] Vitellius, malgré la bassesse de ses sentiments, méprisait si fort le théâtre, qu’il défendit aux Chevaliers Romains de se déshonorer en y paraissant : « Ne ludo senico polluerentur. » (Tacit.
Pendant le service c'est la plus respectueuse attention : elle n'est interrompue que pour entrer dans les sentiments des Prêtres et des Prêtresses, rire ou pleurer avec eux. […] Qu'importe que ce soit la partie supérieure ou inférieure, un sentiment actif ou passif, un objet fabuleux ou véritable, pourvu qu'on goûte réellement le plaisir ? […] L'Orateur Chrétien se trouve heureux, s'il inspire ces sentiments à ses auditeurs. […] Son habileté consiste à faire passer le spectateur dans tous les sentiments bons ou mauvais de son rôle. […] Cette ivresse absorbe tous les bons sentiments.
Que le sentiment y est bien manié ! […] Les reconnoissances ont toutes le même objet, le même sentiment, la même fin ; tout s’y réduit à ses phrases coupées. […] Il peut y avoir sans doute dans un spectacle des ames privilégiées, qui, enlevées par un sentiment souvent excité, y trouvent un plaisir nouveau, plus longtems que d’autres. […] On a vu des exemples d’une amitié qui a duré autant que la vie, mais quelle différence entre un sentiment vrai & qui se reproduit chaque jour entre ceux-même qui l’éprouvent, & l’effet d’un sentiment qu’excite l’imitation !
Nous avons montré dans les Chapitres précédents, quels sont les maux qui accompagnent la danse, suivant le sentiment des Docteurs, même des derniers siècles. […] « Vitanda spectacula omnia non solum, ne quid vitiorum pectoribus insideat, quæ sedata et pacifica esse debent ; sed ne cujus nos voluptatis consuetudo detineat, et a Deo atque a bonis operibus avertat. » Alexandre de Halès traite les danses comme un divertissement qui est mauvais, et qui n’est propre qu’à émouvoir la sensualité et les convoitises, et à causer des sentiments d’impureté. […] Saint Antonin assure qu’il n’y a presque point de danse qui ne serve à donner des mauvais sentiments ; Antonin. […] Ajoutons à tant de témoignages si exprès, et si formels, les sentiments de beaucoup de personnages illustres en piété, qui ont fait des Sermons entiers contre la danse, et qui considèrent de près, et dans la lumière de la vérité, les péchés qui s’y commettent ordinairement, et qui naissent des regards, des attouchements et des entretiens, les condamnent encore, et les détestent comme un divertissement diabolique ; et ne croient point que personne se puisse innocemment exposer au péril qui s’y trouve, quelque chaste et quelque établi qu’il soit dans la mortification des sens. […] Et toutes les âmes qui ont quelque crainte de Dieu, et quelque sentiment solide de piété, souhaitent ardemment que cette mauvaise coutume soit détruite et anéantie ; leur désir est bien raisonnable et bien juste ; car outre les maux fréquents et ordinaires, desquels nous avons auparavant parlé, nous en pourrions rapporter d’autres qui se rencontrent plus particulièrement dans les bals ou dans les danses qui se font dans les villes ; mais qui sont si étranges que les oreilles chastes et pieuses ne sauraient le souffrir.
Quels sentiments aurait eu Jésus-Christ des fidèles qu’il formait, s’il avait jugé nécessaire de leur interdire par une loi expresse, des plaisirs païens ? […] Auront-ils alors touchant les spectacles les mêmes sentiments ? […] De jeunes personnes qui se font un point d’honneur de plaire, et qui sont gagéesb pour exprimer de la manière la plus vive une passion ; des gens qui n’ont d’autre gloire que de se distinguer sur un théâtre, en inspirant la passion qu’ils expriment ; des voix douces et insinuantes, accompagnées de mille manières séduisantes, mêlées de paroles tendres, et de vers composés avec art, pour inspirer l’amour ; tout cet assemblage prodigieux de dispositions, et de choses, dont la moindre, prise séparément, est une tentation, ne sera tout au plus, au sentiment des mondains, qu’un amusement indifférent, un divertissement licite et innocent des gens du monde. […] pourquoi passer une partie de la vie où l’on aurait horreur de mourir, et un sentiment si naturel n’est-il pas un puissant préjugé contre la prétendue justification du théâtre profane ? […] Qu’on se fasse un système de conscience, tel qu’on voudra ; que les libertins raisonnent tant qu’ils voudront, il sera toujours faux que les spectacles profanes soient licites ; il sera toujours vrai que les dangers qu’on y trouve, les dispositions qu’on y apporte, la Religion qu’on professe, le sentiment et l’exemple des Saints qu’on respecte, les obligations qu’on a, et l’édification qu’on doit, que tout cela interdit aux Chrétiens la comédie, les spectacles profanes, et toutes ces assemblées de plaisirs, d’où l’on ne sort presque jamais, que moins Chrétiens.
La fréquentation des spectacles ne peut se concilier avec la vie et les sentiments d’un véritable chrétien. […] « Or, pour savoir si cette idée peut s’allier avec celles des spectacles, il suffit d’examiner ce que c’est que le spectacle ; il suffit de remarquer, avec Tertullien, que c’est une assemblée d’hommes mercenaires, qui, ayant pour but de divertir les autres, abusent des dons du Seigneur, pour y réussir, excitent en eux-mêmes les passions autant qu’ils le peuvent, pour les exprimer avec plus de force : il suffit de penser, avec saint Augustin, que c’est une déclamation indécente d’une pièce profane, où le vice est toujours excusé, où le plaisir est toujours justifié, où la pudeur est toujours offensée, dont les expressions cachent le plus souvent des obscénités, dont les maximes tendent toujours au vice et à la corruption, dont les sentiments ne respirent que langueur et mollesse, et où tout cela est animé par des airs qui, étant assortis à la corruption du cœur, ne sont propres qu’à l’entretenir et à la fortifier : il suffit de comprendre que c’est un tableau vivant des crimes passés, où on en diminue l’horreur par la manière de les peindre : il suffit de considérer, avec tous les saints docteurs, que le théâtre est un amas d’objets séduisants, d’immodesties criantes, de regards indécents, de discours impies, animés toutefois par des décorations pompeuses, par des habits somptueux, par des voix insinuantes, par des sons efféminés, par des enchantements diaboliques. […] N’est-ce pas là que, par des peintures vives qu’on y fait, les passions s’excitent dans notre âme, et que le cœur, bientôt capable de tous les sentiments qu’un acteur exprime, passe tour à tour de la tristesse à la joie, de l’espérance à la crainte, de la pitié à l’indignation ? […] « Pour bien comprendre ce que nous venons d’avancer, il ne faut que considérer quelles impressions font sur l’âme les images les moins animées par elles-mêmes, et quel est le sentiment naturel qui accompagne la lecture d’un événement profane, la vue d’une peinture immodeste ou d’une statue indécente : si ces objets, tout inanimés qu’ils sont, se retracent naturellement à l’esprit, si on ne peut même en sentir toute la beauté et toute la force sans entrer dans la pensée de l’auteur ou dans l’idée du peintre, quelle impression ne font pas les spectacles, où ce ne sont pas des personnages morts ou des figures muettes qui agissent, mais des personnages animés, qui parlent aux oreilles, qui, trouvant dans les cœurs une sensibilité qui répond aux mouvements qu’ils ont tâché d’y produire, jettent toute une assemblée dans la langueur et la font brûler des flammes les plus impures ! […] Ces leçons s’allient-elles bien avec les sentiments de l’Evangile ?
Pourvu qu'on veuille être de bonne foi, on en sera facilement persuadé, si on veut examiner la nature de la Comédie, son origine, ses circonstances, et ses effets, et si on veut s'instruire de la tradition universelle de l'Eglise sur ce sujet par les sentiments des Pères qui en ont parlé, et par ceux de l'Eglise assemblée dans un très grand nombre de Conciles. […] Les anciens, voulant donc instruire les peuples, et la forme de leur culte n'admettant que des sacrifices, et des cérémonies sans aucune exposition, ni interprétation de leur religion, qui n'avait point de dogmes certains: ils les assemblaient dans les places publiques (car ils n'avaient pas encore l'usage des théâtres, qui ne furent même inventés qu'après qu'on se fut servi quelque temps de chariots pour faire que les Acteurs fussent vus de plus loin) et ils leur inspiraient par le moyen des spectacles les sentiments qu'ils prétendaient leur donner, croyant avec raison qu'ils étaient plus susceptibles de recevoir une impression forte, par l'expression réelle d'une personne considérable, que par toutes les instructions qu'ils eussent pu recevoir d'une autre manière plus simple et moins vive. […] N'est-ce pas ce sentiment qu'Alcionée mourant par sa propre main, dit à Lidie : « Vous m'avez commandé de vaincre, et j'ai vaincu, Vous m'avez commandé de vivre et j'ai vécu : Aujourd'hui vos rigueurs vous demandent ma vie, Mon bras aveuglément l'accorde à votre envie, Heureux et satisfait dans mes adversités, D'avoir jusqu'au tombeau suivi vos volontés. » Rodrigue ne parle-t-il pas de même à Chimène, lorsqu'il va combattre Dom Sanche. […] Ils connaîtront leur crime, et le voudront venger; Mon zèle à leur refus, aidé de sa mémoire, Te saura bien sans eux arracher la victoire. » Ce serait une fort méchante excuse à cette horrible impiété, de dire que Comélie était païenne, car cela prouve seulement qu'elle se trompait, en attribuant la divinité à des choses qui ne la possédaient pas, mais cela n'empêche pas que, supposé qu'elle leur attribuât la divinité, elle n'eût pas des sentiments effroyablement impies. Cette estime pour Comélie que le Poète a voulu donner en cet endroit aux spectateurs, après l'avoir conçue lui-même, vient du fonds de cette même corruption qui fait regarder dans le monde comme des enfants mal nés et sans mérite, ceux qui ne vengent pas la mort de leur Père, ou de leurs parents, en sorte que le public attache souvent leur honneur à l'engagement de se battre contre les meurtriers de leurs proches ; qu'on les élève dans de si horribles dispositions, et qu'on mesure leur mérite à la correspondance qu'on trouve en eux aux sentiments qu'on prétend leur donner, que ces sortes de représentations favorisent encore d'une manière pathétique, et qui s'insinue plus facilement que tout ce qu'on pourrait leur dire d'ailleurs.
Ils voient le mouvement des corps, et leurs postures différentes ; et les yeux qui ne sont animés que de la curiosité, n’y trouvent que trop d’attraits malins pour éveiller les sentiments de la chair corrompue. […] « Pepigi fœdus cum oculis meis, ut ne cogitarem quidem de virgine. » Ajoutez à ces sentiments si pleins de vérité ces paroles de saint Augustin, « Qu’il ne faut point regarder, ce qu’il n’est pas permis de désirer ». […] Et il n’y a point d’homme raisonnable qui n’entre dans ce sentiment, s’il considère sans préoccupation et devant Dieu, avec quelle facilité les hommes et les femmes du monde tombent dans des péchés intérieurs, c’est-à-dire, de pensée et d’affection, et combien peu d’attention ils font à eux-mêmes pour n’y tomber pas, ou même pour les remarquer lorsqu’ils y sont tombés. […] Mais que dirons-nous de ceux qui ne vont au bal que pour contenter les passions déréglées de leur cœur, afin d’y voir les personnes pour lesquelles ils ont de l’attachement, et afin d’avoir la liberté de s’entretenir avec elles, de les cajoler, et de leur communiquer leurs mauvais sentiments ?