Le théâtre doit instruire et divertir le public, mais les instructions de piété n’y doivent être ni fréquentes ni affectées, il faut qu’elles soient regardées comme des sentiments qui sont attachés aux caractères des Acteurs, et qui servent à l’action qui se passe sur la Scène. […] Qu’il serait à souhaiter que de pareilles sujets fussent quelquefois représentés sur la Scène Française pour édifier et divertir en même temps. […] Si j’étais d’humeur de grossir cette Préface, je pourrais faire une dissertation de l’unité de la Scène qu’on ne trouve point dans ma Tragédie. […] Si Monsieur de Corneille se fût imposé cette règle, que serait devenue cette belle Scène que Rodrigue fait avec Chimene quand il la va trouver chez elle ? Que s’il faut justifier mon Ouvrage en particulier, il me suffit du moins pour établir l’unité morale que ce commerce qui est entre la Ville et le Camp pour l’exécution de ce qui se passe sur la Scène, se puisse faire vraisemblablement dans moins de temps qu’il ne faut pour satisfaire à la règle de vingt-quatre heures ; et d’ailleurs cette unité de Scène se doit expliquer plus favorablement pour mon Ouvrage, puisque la proximité du Camp et de la Ville était absolument nécessaire dans les Sièges du temps de Judith où l’on ne pouvait battre les murailles de la Ville assiégée, qu’avec des machines.
En effet, elle ne produit que des scènes touchantes. […] Dans une scène où deux de ces personnages se rencontrent, presque toujours celui à qui la postérité a déféré le premier rang, n’occupe que le second. […] Ce n’est point aux doucereux transports d’une passion effeminée a remplir la scène, c’est aux emportemens de la colére & de la rage. […] Cette passion peut-elle produire un effet durable, & laisser d’elle un long souvenir, tandis qu’on l’interrompt par des huit ou dix scènes de galanterie ? […] Mais cette chaîne se rompt à chaque instant ; aussi l’impression primitive s’efface-t-elle par les scènes galantes. » Que contiennent-elles ces scènes ?
A des obstacles qui seuls suffiroient pour faire naître le dégoût, & déserter la Scène, on en ajoute chaque jour qui précipitent la Décadence. […] Comment dans cet état opéreroient-ils cet ensemble, qui naît d’une correspondance, d’une liaison exactes du jeu & de l’action de tous ceux qui sont sur la Scène ? […] Des hommes qui viennent de rire ; de folâtrer avec les Comédiens, sont-ils bien pénétrés de ce que ceux-ci leur disent à l’ouverture de la Scène ? […] On ne peut donc me transporter dans le lieu de la Scène, qu’à l’aide des décorations. […] On ne prend plus d’intérêt aux Pièces, qui ne paroissent sur la Scène, que ce qu’elles sont à la lecture.
Du Théâtre et Scène. […] Théâtres, de la Scène, et de l’Orchestre. […] Les Scènes étaient dressées selon le sujet et argument des fables. […] Or y avait-il trois manières d’icelles Scènes : à savoir Tragique, Comique, et Satirique. […] Or chaque Scène avait sa dimension selon l’harmonie du chant, et selon la quantité des Joueurs : ce néanmoins tous ces Spectacles et leurs parties avaient ceci de commun, que les parois n’étaient point ceintes à l’entour de carneaux, mais de corniches et larmiers avancés.
Ses personnages sont ils dans le cas qu’on désire de sçavoir ce qui leur est arrivé avant l’ouverture de la Scène ? […] Ainsi le Poète du Théâtre moderne aura raison de placer toujours une Ariette, un Duo, dès l’ouverture de la Scène. […] Que chaque Scène soit courte & aille au but. […] Mais, insistera-t-on, le Roi agit hors de la Scène, & l’on en parle ; ainsi votre reproche tombe de lui-même. […] Scène seconde, du Roi & du Fermier.
Comme les Anciens avaient trois sortes de Pièces, de Comiques, de Tragiques & de Satyriques, ils avaient aussi de trois sortes de Scènes, c’est-à-dire, des Décorations de ces trois différens genres. […] Ces trois Scènes pouvaient se varier de bien des manières ; mais la disposition en devait être toujours la même en général ; & il falait qu’elles eussent chacune cinq différentes entrées, trois en face, & deux sur les aîles. L’entrée du milieu était toujours celle du principal Acteur : ainsi dans la Scène Tragique, c’était ordinairement la porte d’un Palais : celles qui étaient à droite ou à gauche, étaient destinées à ceux qui jouaient les seconds Rôles ; & les deux autres, qui étaient sur les aîles, servaient, l’une à ceux qui arrivaient de la campagne, & l’autre à ceux qui venaient du Port ou de la Place publique. C’était à-peu-près la même chose dans la Scène Comique. […] Cinna rend compte à Emilie de sa conjuration, dans le même sallon où va délibérer Auguste ; & dans le premier Acte de Brutus, deux Valets de Théâtre viennent enlever l’Autel de Mars pour débarrasser la Scène.
L’action théâtrale n’aurait plus rien alors qui la dégradât ; elle ne serait point affaiblie par les vers et par le jeu de ces Scènes d’amour qui en font disparaître toute la noblesse. […] Je dis la même chose de la Scène qui vient ensuite entre Cinna et Æmilie. […] Ce n’est pas sans fondement, ou par caprice, que je conseille de faire usage de la Scène des deux petites filles dans Œdipe : j’ai représenté, il y a trente ans, une pure traduction de l’Œdipe de Sophocle ; et je sais, par expérience, le grand effet que cette Scène fit sur le Théâtre, et combien elle arracha de larmes. […] Quinault nous apprend, dans les premières Scènes de sa Pièce, qu’il s’était déjà parlé de mariage entre Lavinie et Agrippa, comme entre Albine et Tibérinus. […] Dans les Scènes entre Romulus et Hersilie, je trouve du côté de Romulus des expressions de sentiment vives et tendres, qui me paraissent devoir être supprimées.
Parmi le grand nombre de passions et de vices qui assiègent, pour ainsi dire, l’humanité, il y en a plusieurs qui la déshonorent, ou pour le moins qui la couvrent de honte ; il paraît donc qu’il faut éviter de mettre sur la Scène des Tableaux qui peuvent scandaliser les Spectateurs et leur nuire. Il est vrai qu’il faut une grande précaution et beaucoup de discernement pour faire le choix des passions et des vices dont on peut faire usage sur le Théâtre ; mais je ne conviens pas qu’on doive en bannir sans distinction toutes ces passions et tous ces vices qui peuvent être dangereux sur la Scène. Je sais que les Poètes Comiques n’ont besoin que du ridicule des hommes pour faire rire les Spectateurs ; mais si de plus ils ont la louable intention de corriger et d’instruire, alors ils auront tort de se borner à mettre le ridicule des hommes sur la Scène, ils ne feront qu’effleurer l’écorce, et n’iront pas jusqu’à la racine du mal. […] Dans cette vue on doit traiter la passion d’amour de la même manière qu’on traite les autres passions sur la Scène. […] Pourquoi la fait-on triompher toujours sur la Scène, comme si elle ne méritait pas la moindre correction ?
La première Scène de l’Avare est celle qui renferme et porte avec elle tout le fardeau du scandale et du mauvais exemple. On est instruit dans cette Scène que Valère s’est déguisé en Domestique pour entrer dans la maison au service d’Harpagon père de sa Maîtresse, et cela du consentement de la fille. Cette Scène est prise de la Comédie Italienne de Lélio et Arlequin Valets dans la même maison, qui a fournit de même à Molière les épisodes de Cléante, d’Elise et de Maître Jacques, avec la Scène de la Cassette. Je pense que pour en ôter le mauvais exemple, et pour décharger Elise du blâme qu’elle mérite pendant toute la Pièce, cette première Scène devrait être tournée tout différemment de ce que Molière a fait. […] Valère promet de lui obéir en tout : le reste de la Scène fera les expositions nécessaires à la Pièce, et les autres Scènes suivront le plan de la première à l’égard de Valère et d’Elise.