« Chez nos dévots aïeux, le théâtre abhorré Fut longtemps, dans la France, un plaisir ignoré, De pèlerins, dit-on, une troupe grossière, En public à Paris, y monta la première, Et sottement zélée en sa simplicité Joua les Saints, la Vierge et Dieu par piété. » Boileau, Art Poétique, Chant III. […] Cependant, jusqu’au treizième siècle, il n’y eut point de représentations publiques ; elles se faisaient dans des maisons particulières. […] Il n’y avait point alors d’autres divertissements publics que ces fêtes nationales, qui étaient données à l’occasion d’événements intéressants, auxquelles les grands de la nation étaient invités. […] Les clercs des procureurs au parlement transigèrent avec les enfants sans souci pour donner au public de pareilles représentations : ils s’appelaient basochiens. […] Il n’y eut que les enfants sans souci qui demeurèrent en possession d’amuser le public.
Le but du Gouvernement en imposant silence à la Comédie sur certains états, est sans doute d’empêcher les peuples de sortir du respect & de la soumission qu’ils doivent à ceux qui gerent les affaires publiques. Mais cette défense du Gouvernement lui est préjudiciable ; car en dérobant les grands à la censure publique, elle leur fait entendre qu’ils peuvent être vicieux impunément ; & il est malheureusement trop vrai que lorsqu’on peut commettre un crime sans rien craindre, on le commet presque toujours. Or la crainte de la censure publique a la vertu plus que toute autre barriere de contenir les hommes dans le devoir. […] Au reste quelque convaincu que je sois de la vérité de mes réflexions sur l’essence de la Comédie, je les soumets à l’examen du public, sans m’engager à les défendre contre mes adversaires.
On ne dira pas cette fois que c’est un Homme peu instruit, un Dévot imbécille, un Poëte mécontent du Public, un Vieillard sans ame & sans prétentions, qui renonce au Théâtre. […] Encouragé par l’indulgence dont le Public a honoré Sidney & le Méchant, ébloui par les sollicitations les plus puissantes, séduit par mes amis, dupe d’autrui & de moi-même, rappellé en même temps par cette voix intérieure, toujours sévère & toujours juste, je souffrois, & je n’en travaillois pas moins dans le même genre. […] Il ne me resté qu’un regret en la quittant ; ce n’est point sur la privation des applaudissements publics, je ne les aurois peut-être pas obtenus ; & quand même je pourrois être assûré de les obtenir au plus haut degré, tout ce fracas populaire n’ébranleroit point ma résolution : la voix solitaire du Devoir doit parler plus haut pour un Chrétien que toutes les voix de la Renommée. […] Si la prétention de ce caractère, si répandue auiourd’hui, si maussade comme l’est toute prétention, & si gauche dans ceux qui l’ont malgré la nature & sans succès, n’étoit qu’un de ces ridicules qui ne sont que de la fatuité sans danger, ou de la sottise sans conséquence, je ne m’y serois plus arrêté ; l’objet du portrait ne vaudroit pas les frais des crayons : mais outre sa comique absurdité, cette prétention est de plus si contraire aux régles établies, à l’honnêteté publique, & au respect dû à la Raison, que je me suis cru obligé d’en conserver les traits & la censure, par l’intérêt que tout Citoyen qui pense doit prendre aux droits de la Vertu & de la Vérité.
Des gens plongés dans des emplois laborieux, accablés d’affaires, soit publiques, soit particulières ; agités par les flots tumultueux de mille soucis, emportés par le tourbillon de la fortune. […] Ils se réfugient au théâtre public, qui les distrait, pour se dérober aux scènes secrètes qui les chagrinent. […] La nature, dira-t-on, est assez bien exprimée ; et, si cet effet n’accompagne pas l’exécution de la pièce, on regarde le secret de l’art comme manqué, et l’auteur en est puni sur-le-champ par le mépris public qu’on fait de son ouvrageaj. […] Or, sied-il bien à des personnes vertueuses de se montrer dans des lieux où on ne va que pour donner et recevoir des leçons publiques de libertinage ; où le cœur, exposé à tous les traits de la volupté, ne trouve de plaisir qu’à en recevoir de profondes blessures ?
L’insulte alors deviendrait publique, et l’offensé serait en droit de se pourvoir. […] N’aurait-il pas été honteux que des gens de l’un et de l’autre sexe eussent rempli de pareils rôles aux yeux du Public ? […] Car n’est-ce pas pour être connu personnellement qu’un Auteur donne ses ouvrages au Public ? […] N’est-ce pas pour gagner de l’argent qu’un Auteur, un Avocat, un Prédicateur même se produisent au Public ? […] Vous voulez ici faire craindre au Public qu’ils ne soient ce qu’ils représentent.
Il croit donc que ceux qui dansent les jours des Dimanches pèchent grièvement ; si ce n’est peut-être, dit-il, que ce fût dans l’occasion d’une joie publique, et extraordinaire, comme pour quelque victoire, ou que cela se fît secrètement : mais ces exceptions ne sont point justes, et ne doivent point être par conséquent reçues. […] Et ainsi lorsqu’il y a quelque sujet de réjouissance publique, la considération que l’on doit avoir pour l’ordre de l’Eglise et l’obligation qu’ont ses enfants de s’appliquer aux choses de Dieu, ne permet point qu’on puisse légitimement faire choix de ces jours saints pour des divertissements humains et profanes. […] Mais revenons encore sur ce même sujet des Fêtes, à l’exception que ce même Docteur fait, sur les occasions importantes d’une réjouissance publique, comme serait quelque victoire remarquable.
Le théâtre doit instruire et divertir le public, mais les instructions de piété n’y doivent être ni fréquentes ni affectées, il faut qu’elles soient regardées comme des sentiments qui sont attachés aux caractères des Acteurs, et qui servent à l’action qui se passe sur la Scène. […] Ce bruit est devenu un scandale public, et semble nous faire entendre qu’il faudrait proscrire la piété et la bannir du Théâtre, comme si nous étions encore dans ce siècle barbare et ignorant, où les spectacles publics représentaient nos plus sacrés mystères d’une manière qui rendait ridicule ce qui devait être le sujet de l’attention la plus sérieuse et de la plus profonde vénération.
Pourquoi prétendraient-ils, contre toute justice et en dédaignant les formes prescrites par l’église, exercer contre des citoyens et sans l’aveu du prince, une action publique, une punition et un déshonneur sensibles, qui affligent les familles, qui mettent le peuple en émotion et troublent l’ordre public ? […] Le rigorisme ambitieux et ignorant qui frappa d’anathème le cadavre de l’acteur que nous venons de désigner, faillit troubler la tranquillité publique en ameutant le peuple.
L’oisiveté n’avait pas encore amolli les esprits, et l’hérésie même avait horreur de ces corruptions publiques. […] Les saints Canons ont toujours défendu les réjouissances publiques aux pénitents : et quand ferons-nous, Mes très chers Frères, des fruits dignes de pénitence, si nous ne les faisons lorsque nous voyons la colère du Ciel répandue sur toute la terre ? […] Est-ce au pied du Théâtre ou de l’Autel qu’on va chercher les consolations des tristesses publiques ou particulières ?