On a vu par mes soins en Vers doux et pompeux Ce que Rome et la Grèce ont eu de plus fameux : Et j’ai même emprunté chez un Peuple Barbare Un des beaux Ornements dont la Scène se pare : Mais quoique Bajazet justifie un tel choix Ce sont des libertés qu’on ne prend qu’une fois ; Et de quelques Talents dont le Ciel m’ait pourvue J’ignore en quel endroit je dois fixer ma Vue.
Il y a toujours de la conformité entre l’humeur d’un peuple et le genre de ses spectacles ; où les deux sexes sont frivoles, voluptueux, il faut que le théâtre enseigne et respire le plaisir, qu’il nourrisse les passions et qu’il les rende intéressantes jusque dans leurs égarements, et qu’il fasse de l’amour la faiblesse des grands cœurs.
Il avoit reçu une belle éducation ; il avoit toujours eu bonne compagnie, ce que n’avoit eu ni Moliere ni Plaute, qui étoient nés & avoient passé la moitié de leur vie dans la lie du peuple. […] Les femmes avorterent, les enfans moururent de peur : on l’accusa d’Athéisme dans son Prométhée, qui est l’original du festin de Pierre ; il est vrai que ce n’est qu’un tissu de blasphême : on l’accusa encore de sacrilége, pour avoir révélé le mystere des Initiés, & le peuple pensa l’assomer en plein théâtre ; mais il fut absous, parce que n’étant pas initié, il ne parloit que sur le rapport d’autrui ; il prit tous ses sujets dans l’Iliade & l’Odissée, & s’en faisoit gloire ; car il n’est pas inventif poëte, il n’est qu’inventif décorateur. […] De qui se joue-t-on d’avantage des dieux que l’on rend auteurs des forfaits ; de la réligion qu’on fait servir à les autoriser ; d’un peuple sanguinaire qu’on amuse par des horreurs d’une foule d’amateurs imbéciles ?
Du reste, la beauté est un mérite arbitraire qui dépend de la prévention et de la fantaisie ; un visage noir au dernier degré est un objet agréable aux yeux de certains peuples : et il y a apparence que M. […] Apparemment qu’il craint que ces peuples qui ne sont plus ne viennent enlever les Muses d’Angleterre, ne confinent l’Opéra dans une prison, et n’enterrent ainsi tous les plaisirs de la paix. […] et que ceux qui montaient sur le Théâtre pour divertir le peuple, recevaient dès là une marque d’infamie par un Edit exprès contre eux : Famosi sunt ex Edicto. […] Il assembla donc le peuple pour en faire une dédicace solennelle ; il le nomma Le Temple de Vénus ; et donna à entendre en même temps qu’il y avait au-dessus du Temple des places préparées pour le divertissement public. […] Moyens efficaces pour renverser tout l’ordre de la discipline, pour amollir les peuples et corrompre les mœurs !
Comme on ne représente sur les théatres que des galanteries, des aventures romanesques & licentieuses, les femmes sont flattées des adorations qu’on y rend à leur sexe ; elles s’habituent à être traitées en Nymphes ; de là le dédain qu’elles ont de s’occuper du soin de leur ménage ; elles abandonnent au peuple ces connoissances de détail réservées aux meres de famille, & elles préferent d’exercer tous les talens séducteurs qui ne conviennent point à une femme honnête. […] ce cri armé de tous les traits de l’éloquence, n’est-il pas le cri de la patrie, qui venge l’honneur & les bonnes mœurs sacrifiées aux licences de telles scenes, qui accoutument les yeux du Peuple à des horreurs qu’il ne devroit pas même connoître, & à des forfaits qu’il devroit regarder comme impossibles ?
Thomas n’a point parlé de la comédie proprement dite, qui étoit inconnue de son temps ; que le mot Histrion veut dire seulement un bouffon, un balladin, un ménetrier, un joueur de flûte ou de gobelets, &c. tous genres faits pour amuser le peuple, compris sous le nom général d’Histrion. 1.° S. […] Thomas, qui de son temps ne connoissoit autre chose, & tous les gens de bien avec lui, ont pu tolérer ces amusemens maussades, plus propres à dégoûter qu’à séduire, aujourd’hui abandonnés au peuple, que ces bouffonneries font rire sans conséquence.
Que diroit-on d’un Prince, ou d’un grand Seigneur, qui n’auroit de commerce qu’avec la lie du Peuple, qu’on verroit aller de bouchon en bouchon, & chanter au milieu des ruës avec des porteurs de chaizes & de laquais ?
Nous ne faisons point icy de distinction de ces divers genres de Ieux, parce que l’Idée vulgaire & universelle les confond ordinairement, & que ces connoissances trop fines pour le Peuple & pour les gens de Cour, l’embarassent beaucoup plus qu’elles ne les instruisent, & qu’ils s’en rebutent plûtost que d’en profiter.
Cette ruse est semblable à celle dont se servit le même Satan, pour décourager le peuple d’Israël, du voyage vers la terre promise ; il porta les espions (que Moïse avait envoyé pour la considérer, et pour en apporter des nouvelles) à persuader au peuple, « Que l’air était fort mauvais en ce pays-là, qu’on n’y pouvait pas vivre longuement, que les habitants étaient des géants si prodigieux, qu’ils mangeaient les autres hommes comme des locustes. »2 Ces discours eurent telle force, que ce peuple trop crédule eût quitté l’entreprise commencée, si Josué, qui était allé visiter la même terre, aussi bien que les autres, n’eût dit tout le contraire, et n’eût fait voir la facilité de conquérir tout ce pays-là, la douceur de vie, les commodités des fruits, et d’autres choses nécessaires à la vie qui s’y rencontraient.