En un mot, ce serait faire un affront à la nature qui nous inspire insensiblement ces desseins. […] Les autres choses que l’homme fait c’est l’art ou l’expérience qui lui ont appris ; mais le plaisir est plus ancien que tout cela, la nature en est seule la maîtresse, et l’a enseigné aux animaux pour le soutien de leur vie : c’est pourquoi il naît avec nous et n’est jamais vicieux que quand il passe les bornes que la nature lui a prescrites. […] Pour preuve de ceci, on peut alléguer ce qu’allèguent les Médecins, que la nature pour l’utilité de ses opérations dans le corps de l’animal, y a tellement attaché le plaisir que l’un ne se trouve jamais sans l’autre. […] En un mot il faut détruire la Nature dans tous les ouvrages de laquelle il se rencontre quelque image de plaisir et de volupté. […] Dans les lieux les plus augustes s’y peut-il pas rencontrer des désordres de cette nature, y a-t-il assemblée publique où il ne se trouve un mélange de brouillons avec des honnêtes gens ?
A la renaissance des Lettres en Europe, les Comédiens, toujours contredits par les Prêtres, tour-à-tour tolérés & chassés par les Gouvernemens, n’eurent que des Salles, de peu d’étendue, telles que pouvaient se les procurer de simples particuliers, dont l’établissement n’était pas stable ; & ceci même procura un bien : les Acteurs parurent sur la Scène dans leurs proportions naturelles ; leur jeu fut simple ; faute d’art & de moyens, ils nous indiquèrent le comble de l’art : mais ils ne firent que nous l’indiquer ; ils en étaient bien éloignés eux-mêmes : ce fut Baron, l’élève de Molière, qui ramena l’art à la nature, & qui fut l’instituteur de la belle Déclamation. L’enthousiasme de son art montait les ressorts de son âme au ton des sentimens qu’il avait à exprimer ; il paraissait ; on oubliait l’Acteur & le Poète : il parlait ; c’était Mithridate ou César ; ni ton, ni geste, ni mouvement qui ne fût celui de la nature. […] C’était bien-là le cri de la nature, qui applaudit à la perfection de l’art.
Oui, Monsieur, elles règnent sur nous, la nature les plaça sur le trône en les formant, et nous fit naître à leurs genoux ; mais notre bonheur commença avec leur empire, et la preuve de cela, la preuve qu’originairement cet ordre est bien, c’est qu’il est l’ouvrage de la nature, confirmé par nos cœurs. […] La nature vous l’arrache ; oui, la nature ; elle pense à vous : vous nous l’apprenez vous même, en disant que le plus charmant objet de la nature, le plus capable d’émouvoir un cœur sensible, et de le porter au bien, est une femme aimable et vertueuse. […] Oui, Monsieur, vous méprisez moins les femmes que vous ne dites, vous les haïssez moins qu’il ne paraît, et la nature vous trompe. […] La nature cependant voyait sa frénésie avec horreur. […] Son imagination s’échauffa ; il fit des discours en dormant, et sa langue conduite par la nature, n’exprima plus que la vérité.
L’observation éxacte de la Nature a donné naissance à toutes les règles, mais celle ci sur-tout est tirée de ce que nous enseigne la Nature, & de ce qui se passe chaque jour sous nos yeux : en voilà la preuve ; si l’on nous racontait une histoire remplie d’événemens incroyables, serions nous affectés, éprouverions nous cet attendrissement, cet intérêt qui font que les âmes bien nées plaignent les malheureux ? […] Un Frère est assez barbare pour envoyer à son Frère une boète remplie de poudre, & disposée de façon qu’en s’ouvrant elle fasse périr le malheureux objet de sa rage ; nous en sommes assurés ; pourtant un pareil tableau mis sur la Scène, révolterait tous les Spectateurs ; parce qu’il peindrait des choses trop éloignées de la Nature : il est possible qu’un Père, livré au fanatisme, ait pendu lui-même son Fils, mais on refusera toujours de croire une pareille probabilité. […] Le Poète éxaminera soigneusement si son sujet est vraisemblable ; les principes que je viens d’établir pourront peut-être l’éclairer ; il éloignera tout ce qui rendrait merveilleux les incidens de son Drame ; il fera ses éfforts afin de s’approcher de la Nature. […] Sédaine, qui copie si bien la nature, n’ait pas senti le ridicule d’un tel sujet adapté au Théâtre.
Voyons ce qu’on est obligé de sçavoir, & les dispositions qu’il faut que la Nature nous ait donnée. […] Le sublime Corneille, le tendre Racine, Molière le peintre de la Nature ; en un mot tous les grands Hommes qui l’ont rendu fameux, devraient enflammer votre génie, plutôt qu’un Spectacle où l’esprit est souvent contraint de se cacher. […] Devenez le Peintre fidèle de la Nature ; défendez-vous de la ridicule honte de n’oser nous montrer ses infirmités, ses taches, ses désagrémens. On se plaît dans ce siècle singulier à contempler des objets vils & méprisables : Que la Nature donc soit votre étude unique. […] Les leçons que je leur donne sont puisées dans la nature même du Spectacle auquel ils se consacrent.
Il ne suffit donc qu’il peigne d’après nature ; il faut encore que l’étude approfondie des belles proportions & des grands principes du Dessin, l’ait mis en état de la corriger. […] Le Jeu retenu demande une grande expression dans les yeux, dans les traits, & nous ne balançons point à bannir du Théâtre celui à qui la nature a refusé tous ces secours à la fois. […] & qu’il connaît peu ses intérets, lorsqu’il employe un art mal entendu, à profaner en lui, la noble simplicité de la nature ?
Je fais cas des règles sans en être l’esclave : je suis l’admirateur de la nature ; et toutes les fois que les règles s’en éloignent il m’en coûte peu pour les abandonner. […] Je me suis, il est vrai, conformé à ces règles dans ce que j’ai donné ; mais il est aisé de voir que ce qui m’a déterminé à tenir cette conduite, c’était le désir d’éviter la singularité, et la crainte d’être le seul de notre siècle qui osât opposer une digue à la prévention générale : j’ajoute que je n’ai suivi ces règles que lorsqu’elles m’ont paru conformes aux préceptes de la raison autant qu’à ceux des Maîtres de l’Art ; aussi lorsqu’il m’est arrivé de citer quelque dogme du grand Maître, j’ai toujours dit : Comme le veut Aristote ou plutôt la raison : la nature : le bon sens : le vrai : et autres termes semblables, ainsi qu’on peut le vérifier dans mes Ecrits. […] En un mot je respecte les règles, lorsqu’elles me paraissent dictées par la nature et conformes à la raison ; mais je ne les écoute pas quand elles forcent la nature, et que, contraires au bon sens et à la raison, elles ne tendent qu’à nous mettre aux fers comme des esclaves.
J’admire bien sincérement les heureux talens que la Nature vous a si libéralement prodigués. […] Mais il ne suffit pas de connoître la nature du mal, il faut indiquer le remede, & les moyens les plus sûrs d’en faire l’application. […] La sage Nature n’a point destiné tous les humains à être des Poëtes, des Orateurs, des Géometres, ni des Grammairiens ; mais elle les a tous destinés à vivre en société, & à s’acquitter des devoirs attachés à l’humaine condition. […] Je conviens que nous ne connoissons pas clairement la nature de l’ame ; mais sommes nous beaucoup plus savans sur la nature de la matiere ; & puisque dans l’un & l’autre cas nous sommes obligés de combiner un grand nombre d’effets bien observés pour parvenir à quelque degré de connoissance sur les causes, quels effets sont plus sensibles & plus caractéristiques que ceux des passions & de toutes les affections de l’ame, dont nous sommes continuellement avertis par le sens intime ? […] Mais en vain la nature nous offre les moyens de nous rendre heureux, si notre inapplication & notre lâcheté nous empêchent d’en profiter.
Comme dans une révolution du globe, les forêts étant bouleversées, les arbres déracinés sont entraînés avec confusion par des torrents qui les jètent et les entassent dans des ravins profonds, où, privés de tous les moyens de vie et de conservation que la nature leur avait préparés, ils se décomposent et tombent en corruption ; ainsi, dans notre révolution politique, la société ayant subi un grand bouleversement, les hommes déplacés ont été jetés et entassés confusément dans les administrations, dans ces ravins civils, où, dépouillés de tous les éléments dont l’âme sensible et bien née compose son bonheur, privés de toute sécurité relativement aux points qui y sont les plus essentiels, asservis de fait, ne jouissant que très-illusoirement des droits de citoyen et des bienfaits de la liberté, ils s’énervent et s’abatardissent….. ; ou souffrent cruellement dans un réel esclavage, tantôt témoins, tantôt victimes des plus révoltantes injustices, sacrifiés tour-à-tour à l’esprit de parti, aux affections de coterie, à la cupidité, à l’intrigue, à la bassesse, à l’ineptie ; et, ce qui est le comble de la honte et des tourments de leur servitude, trop souvent soumis à cette espèce d’élus devenus leurs chefs, leurs juges, les arbitres de leur sort ! […] La société veut qu’à l’âge de raison tous ses membres jouissent de leurs droits en toute plénitude, ou ne soient soumis qu’à l’empire des lois générales et positives qui la régissent ; c’est pourquoi, se défiant de la perfection de celles de la nature, voulant prévenir ses injustices ou ses erreurs, et l’amour, la tendresse paternelle, les affections intimes et cordiales d’un père pour son enfant ; les gages qu’il lui en a donnés depuis son berceau, ne paraissant pas encore à sa sollicitude des garanties suffisantes, l’enfant étant parvenu à cet âge, elle l’affranchit du pouvoir paternel, pour le mettre à l’abri de ses abus ; elle lui assure soigneusement ce que son père lui doit ; et ici, par une inconséquence trop peu sentie, elle l’abandonne et le laisse à la merci du pouvoir et des passions d’un inconnu, ou d’un étranger de fait plus puissant sur lui que son père même, avec lequel il n’a que de froids rapports, et dont rien ne lui garantit la bienveillance, ni même la justice.. ! […] … J’entends ses plaintes amères ; il parle au nom de la nature, il accuse la société d’être trop méfiante d’un côté, et trop confiante de l’autre ; il lui reproche sa rigueur contre une loi naturelle dont elle aurait dû plutôt imiter la sagesse. Tous ceux, dit-il, de qui le pain d’autrui dépend, ces supérieurs de toute espèce sont d’autres pères de votre création ; achevez donc votre ouvrage ; rendez-les propres à leur destinée ; assurez aussi à leurs enfants ce qu’ils leur doivent ; comme la nature, en formant les siens, a imprimé dans le fond de leurs cœurs des lois auxquelles ils ne peuvent résister sans remords ; ainsi, en formant les vôtres, imposez-leur des devoirs auxquels ils ne puissent manquer sans châtiment.