Je désire beaucoup, Mademoiselle, que vous approuviez mes idées ; j’ose me flatter que vous ne les dédaignerez pas toutes.
Concevoir une extravagance, et la faire adopter, c’est depuis quelques années une opération parfaitement synonime ; mais de toutes celles qu’on a proposées depuis qu’il y a des hommes qui déraisonnent, et depuis qu’il y a parmi les hommes ce qu’on appelle idée de mœurs et de décence publique ; je puis assurer que rien n’égale la promptitude, l’enthousiasme, je dis trop peu, la fureur avec laquelle on s’est emparé de la creuse et fatale invention qui dévoue la jeunesse au théâtre. […] Dans les beaux temps de la république on n’avoit point d’idée d’histrions ; de quoi eussent servi les gesticulations et les mignardises de ces gens-là aux Camille et aux Cincinnatus17 ?
Elles donnent une étrange idée de la grossiereté de ce siecle. […] Cette idée de l’opéra est très-juste, & cet aveu d’un grand poids de la part d’un homme qui dans toute son Histoire fait un éloge infini singulierement de tous les Auteurs dramatiques & de leurs ouvrages.
.) ; Fenelon avoit les mêmes idées. […] Languet, Archevêque de Sens, disoit à M. la Chaussée, Poëte très-décent, dont on a trop méprisé les idées, lors de sa réception à l’Académie : Je puis donner, non aux spectacles, que je ne puis approuver, mais à des pieces aussi sages que les vôtres, une certaine mesure de louanges.
» On peut sans rougir nommer par leur nom les plus grands crimes, l’idée du crime en est le préservatif ; mais on ne peut détailler ces jeux dangereux, même pour les condamner ; l’idée même d’amusement en est l’amorce et le voile : « Honeste non possunt vel accusari. » On peut voir commettre la plupart des péchés, tuer, voler, blasphémer, sans devenir coupable ; on ne peut voir les jeux du théâtre sans tomber dans le désordre, le spectateur est complice de l’Acteur : « Unum est aspicientium et agentium scelus. » Selon la parole de l’Apôtre, on se rend coupable, non seulement en faisant le péché, mais encore s’unissant à ceux qui le font : « Etiam qui consentiunt facientibus. » Ceux qui étaient allés chastes à la comédie, en reviennent adultères ; ils s’en étaient déjà rendus, en y allant ; chercher le vice, c’est s’en servir : « Qui ad immunda properat, jam immundus est. » Pensons-nous que Dieu ne voit pas nos désordres, ou nous flattons-nous qu’il jettera sur nous un regard favorable, quand il nous voit dans un lieu qu’il déteste ?
J'ai demandé compte à ma mémoire de tout ce que j'avais lu ; j'ai rappelé toutes mes vieilles idées, et j'ai cherché dans tous les Livres qui me sont tombés sous la main, et je n'ai rien trouvé qui ne m'ait fait connaître clairement que les Acteurs du Poème Dramatique ont toujours été maintenus dans tous les droits et les honneurs de la République Romaine, et que les Scéniques seulement, les Histrions, les Mimes et les Bateleurs exerçant l'art de bouffonner, ont été marqués de cette infamie, qui fait soulever tant de gens par ignorance ou par scrupule contre le Théâtre.
Regardez-donc la comédie non dans une idée chimérique qui n’a d’être que dans quelque livre de poétique, mais dans la pratique commune et dans la vérité.
Suivant cette idée, Monsieur, je me contenterai quelquefois de montrer le ridicule des preuves que notre Docteur apporte pour justifier la Comédie, et quelquefois aussi j’entrerai dans une discussion plus sérieuse, particulièrement lorsqu’il sortira de sa sphère ; et qu’en voulant trop faire l’habile homme, il abusera de l’autorité de l’Ecriture et des Pères de l’Eglise : car alors il faudra le démasquer, et ne pas souffrir qu’il impose aux idiots. […] Et afin que notre Docteur ne rejette pas à son ordinaire ce que Tertullien a dit contre la Comédie sur la Comédie ancienne, posons l’idée de la Comédie telle qu’elle est aujourd’hui, et voyons si la censure de Tertullien ne tombe pas aussi sur elle. […] Voilà, ce me semble, l’idée la plus juste des Comédies les plus innocentes que l’on ait vues de nos jours ; car je laisse à part les Pièces purement comiques, que le Docteur lui-même abandonne. Or il va paraître clair comme le jour que la Comédie, suivant cette idée, se trouve aussi combattue par les raisons que Tertullien emploie contre les Pièces de Théâtre. […] C’est-à-dire, ou qu’ils parlent de certains flûteurs sans conséquence qui jouaient de leur temps, et à qui nos Comédiens ne voudraient pas être comparés, ou que traitant la chose d’une manière Métaphysique, ainsi que saint Thomas, ils se sont fait comme lui une idée de la Comédie qui n’est peut-être pas possible, et qui en tout cas n’est pas celle de la Comédie d’aujourd’hui ; puisque dans les Comédies d’aujourd’hui il y a toujours quelque chose des caractères du monde que saint Jean condamne, c’est-à-dire, qui tient « ou de la concupiscence de la chair, ou de la concupiscence des yeux, ou de la superbe de la vie».
Nous faisons le plus grand cas, comme on a pu le voir, dans le Chapitre précédent, de l’Auteur de Zaïre ; nous savons même que cette haute idée que nous avons de lui, est commune à tous ceux qui ont quelques connoissances, & quelque ombre de goût ; mais une estime aveugle lui feroit peu d’honneur.