Je ne parle pas des licences, du libertinage, des indécences, des tableaux présentés & sous-entendus, que l’actricisme de ces Pièces, prises de Contes trop libres, ne couvre que de gaze ; parce que ce n’est pas-là ce qui fait la fortune des Comédies-chantantes : plus un siècle est libre dans ses mœurs, plus il est retenu & chaste dans son expression : les oreilles des débauchés, sous l’expression la plus innocente, croient toujours entendre une lasciveté : ainsi le Monstre qu’élevèrent Sénèque & Burrhus, ne voyant aucune partie de son corps qui ne fût souillée, ne pouvait envisager un autre homme, sans se former une image obscène.
Mais ne voit-on pas que dans la conclusion de la pièce le vice est puni, la vertu récompensée, que dans le corps on y sème d’excellents sentiments et des maximes que la morale Chrétienne ne désavouerait pas qu’elle contribue à bannir les dérèglements et former les mœurs.
Et c’est ainsi que ces doctes Religieux qui portent les flambeaux des lettres et de la piété par toute la terre se servent des Représentations dans leurs Collèges non seulement pour donner à leurs écoliers la hardiesse de parler en public et pour former leur geste et leur action à l’art Oratoire, mais encore pour corriger les mauvaises mœurs et imprimer de bons sentiments de vertu en l’âme des spectateurs.
Nos temples aussi peuvent devenir dangereux pour quelques-uns par les nombreuses réunions qui s’y forment ; faut-il pour cela les fermer ?
Quels sentiments aurait eu Jésus-Christ des fidèles qu’il formait, s’il avait jugé nécessaire de leur interdire par une loi expresse, des plaisirs païens ?
Jésus-Christ formerait lui-même les sons d’une voix qui corrompt les cœurs !
« Tout véritable Misantrope (dit-il) est un monstre, s’il pouvait exister, il ne ferait pas rire, il ne ferait qu’horreur. » C’est une vérité incontestable, je le crois aisément, Molière s’est trompé, mais je ne prends point le change, c’est de lui qu’il parle, il est ce monstre « des Spectacles & des mœurs (dit notre Critique forcené) voilà qui formerait un Spectacle à voir, d’autant plus que ce serait la première fois. » Persifflage pitoyable & digne de l’Auteur, comme s’il n’était pas des Comédiens honnêtes gens : lui-même avoue avoir été étroitement uni avec un. […] Elle sçut gagner Lucius par ses paroles flatteuses ; enfin ils déterminèrent entre eux de se défaire l’un de sa femme, l’autre de son mari ; le parricide ne fut différé que de quelques jours après le complot formé. […] Mais une troupe formée d’honnêtes gens, chose moins difficile à faire que Jean-Jacques Rousseau se l’imagine (en ayant omis une grande partie qui pourrait la composer) l’alternative par ce moyen se trouvera éclipsée : Genève pourra pour lors adopter un spectacle, & le pratiquer sans crainte qu’il aliéne les mœurs des habitans. […] Ces Pièces ayant passé dans les mains de ces Acteurs, perdirent le nom de Comédie. » (Même Théât. p. 24) Charlemagne, par une Ordonnance de l’an 789, mit les Histrions au nombre des personnes infâmes, & auxquelles il n’était pas permis de former aucune accusation en Justice, &c. […] Une danse de gens égayés par un long repas semblerait n’offrir rien de fort intéressant à voir, cependant l’accord de cinq ou six cens hommes en uniforme, se tenans tous par la main, & formans une longue bande qui serpentait en cadence & sans confusion, avec mille tours & retours ; mille espèces d’évolutions figurées, le choix des airs qui les animaient, le bruit des Tambours, l’éclat des flambeaux, un certain appareil militaire au sein du plaisir : tout cela formait une sensation très-vive qu’on ne savait supporter de sang froid.
Ces Pélerins avoient réussi à former une société, sous le nom de Confrérie de la Passion, dans le quinzieme siécle, sous Charles VI & VII Nos prémiers Comédiens furent des Troubadours, des Jongleurs , dit l’Encyclopédie tom 3 pag. 671. […] C’est qu’ils forment & augmentent l’assemblée des spectateurs, & que, s’il n’y en avoit pas un certain nombre le Théatre seroit bientôt abandonné. […] Enfin dans tous les livres de piété, destinés à édifier & à instruire les fidéles, & en particulier à éclairer l’esprit, & à former le cœur de la jeunesse ; en un mot, dans tous les monumens, que l’Eglise nous présente depuis sa naissance, jusqu’à nos jours : cet enseignement, dis-je, ne nous demontre-t-il pas, que l’Eglise a toujours condamné les spectacles, & qu’elle les a toujours interdits aux fidéles ?
Rousseau dans l’opinion qu’il a du public, puisqu’il jouit au spectacle du plaisir de voir former d’honnêtes gens dont la probité lui sera utile. […] Il faudrait, s’il est permis de le dire, prendre la fleur de l’espèce humaine pour en former une République qui serait peu nombreuse encore. […] Ce n’est là que rapprocher les traits qui doivent former son image. […] Sur ce goût il s’est formé un modèle, et sur ce modèle un tableau des défauts contraires, dans lequel il a pris ses caractères comiques, et dont il a distribué les divers traits dans ses pièces. […] En voulez-vous former une république ?