Tout doit être rendu à la famille, ou confisqué, quand même ces enfants auraient obtenu du Prince des lettres de légitimation. […] Quinault, fils d’un Boulanger, selon Furetière, dans son Factum contre l’Académie, et d’une honnête famille, selon l’Abbé d’Olivet, dans son Histoire de l’Académie, mais fort pauvre, puisqu’il fut valet de Tristan l’Hermite, homme fort peu pécunieux aussi, de qui il apprit à faire des vers, Quinault, dis-je, avait été dans la suite Clerc d’un Avocat au Conseil, où il avait appris quelque mot de chicane, qui lui facilita l’exercice de sa charge, et lui donna du crédit chez son Marchand. […] Ce mariage fut absolument inconnu à sa famille, jusqu’à ce que quatre ans après la mort du mari, la veuve se déclara, et demanda la succession du père, que les collatéraux s’étaient partagée. […] Lorsque la le Grand voulut faire reconnaître son bâtard, elle fit écrire à la famille de Samson que « si on ne le recevait pas, elle le ferait monter sur le théâtre ».
On y apprend à ne couvrir que d’un vernis de procédés la laideur du vice, à tourner la sagesse en ridicule, à substituer un jargon de théâtre à la pratique des vertus, à mettre toute la morale en métaphysique, à travestir les citoyens en beaux esprits, les mères de famille en petites maîtresses, et les filles en amoureuses de comédie. » Aussi, dit Houdar de La Mothead, « nous ne nous proposons pas en composant des pièces de théâtres d’éclairer l’esprit sur le vice et sur la vertu, en les peignant de leurs vraies couleurs ; nous ne songeons qu’à émouvoir les passions par le mélange de l’une et de l’autre, et les hommages que nous rendons quelquefois à la raison ne détruisent pas l’effet des passions que nous avons flattées. […] L’union règne-t-elle davantage dans les familles ? […] Enfin, que peuvent faire de mieux ceux qui vont vous entendre, que d’armer leur cœur contre des impressions funestes à leur repos, et d’oublier si parfaitement ce qu’ils viennent d’apprendre, qu’il ne leur en reste aucun souvenir en rentrant dans le sein de leur famille ?
Mais il y a autant de différence entre les spectacles publics et les divertissements du cloître, que entre un repas honnête avec des personnes choisies, et les débauches du cabaret ; entre une partie de jeux d’adresse avec ses amis, et les jeux de hasard dans un brelan ; entre un menuet dansé en famille dans sa maison, et un bal nocturne, un bal d’opéra, un charivari ; la même différence que entre les personnes qui le composent ; entre des femmes publiques, et des vierges consacrées à Dieu ; des actrices fardées, à demi nues, et des vierges modestement voilées ; un amas de libertins et d’impies, et une compagnie de gens pieux et réglés ; une profession livrée au vice, et un état sacré dévoué à la religion et à la vertu. […] On en fut scandalisé, la plupart des femmes et des filles, élevées dans des principes de religion, refusèrent des rôles, et ne voulurent pas y assister, surtout celles de la Confrérie de la Sainte Famille, établie à la paroisse, qui sont en fort grand nombre, et les plus distinguées. Les invitations, les promesses, les menaces du Gouverneur, que la résistance rendait plus vif, ne purent en gagner que trois, qui furent aussitôt exclues de la Sainte Famille.
Peut-il approuver qu’on y emploie un argent dont on devrait soulager tant de pauvres familles qui gémissent dans l’indigence ?
Ceux qu’on entendoit gémir sur le Théâtre étoient les objets de la vengeance des Dieux, les malheureux enfans de ces Familles, victimes de colere, que le Destin poursuivoit. […] Un Prince qui regne depuis vingt ans, aimé dans sa Ville & dans sa Famille, se trouve un objet d’horreur pour ses Sujets, pour tous les hommes, pour sa femme, pour ses enfans, pour lui-même : & parce que ce Prince ne mérite pas ses malheurs, & cependant s’y est précipité par son emportement, son imprudence, & sa curiosité, il excite à la fois la Terreur & la Compassion.
Comme on ne représente sur les théatres que des galanteries, des aventures romanesques & licentieuses, les femmes sont flattées des adorations qu’on y rend à leur sexe ; elles s’habituent à être traitées en Nymphes ; de là le dédain qu’elles ont de s’occuper du soin de leur ménage ; elles abandonnent au peuple ces connoissances de détail réservées aux meres de famille, & elles préferent d’exercer tous les talens séducteurs qui ne conviennent point à une femme honnête. […] O familles infortunées ! […] D’où l’on ose conclure que deux heures par jour, données à l’activité du vice, sauvent une partie des crimes qui se commettroient ; & tout ce que les spectacles causent d’entretiens dans les cafés & autres refuges de fainéans & de libertins est encore autant de gagné pour les peres de famille, soit sur l’honneur de leurs filles ou de leurs femmes, soit sur leurs bourses & celle de leurs enfans.
Le Genevois lui même, resterait au sein de sa famille & de sa Patrie, s’il pouvait y jouir de l’amusement qui lui fait aimer Paris ? […] Ignore-t-on, que dans un Pays tel que le nôtre, où elles sont réellement la moitié de la Nation, puisqu’elles y sont admises au gouvernement public & particulier des familles ; qu’elles y font l’ornement de la Cour ; l’embellissement des Villes ; que leurs atours & leurs charmes augmentent la pompe des plus augustes cérémonies ; ignore-t-on, dis-je, qu’on ne peut les exclure d’aucun divertissement, soit comme Actrices, soit comme Spectatrices, sans s’exposer à le voir bientôt deserter par les hommes ? […] La Grèce libre put voir avec satisfaction la fabuleuse histoire des familles de ses Rois qui s’étaient entredétruites, lorsqu’on représentait les Œdipe, les Agamemnon, les Atrée, les Eriphile : mais avec quels transports n’admira-t-elle pas, dans les Perses d’Eschyle, les Héros auxquels elle devait sa liberté ?
C’est là que les factions monachiques et jésuitiques ultramontaines, sont gorgées de richesses, tandis que l’Etat est pauvre et la famille royale privée de finances. […] La division et la haine règnent dans toutes les familles, et cette discorde, soufflée par les prêtres et les jésuites, se propage malheureusement jusque dans le sein de l’auguste famille du souverain légitime, dont l’autorité méconnue ne lui laisse plus que des vœux impuissants à former pour le bonheur de son peuple.
Toutes les familles, charmées du succès de leurs enfants, et ravies du spectacle, prendront les mêmes sentiments. […] Et ce Prédicateur lui-même qui parle aujourd’hui contre la comédie, en composait il y a deux jours, et demain il ira voir, louer, admirer celle de son confrère, et féliciter les familles d'un succès qu'il vient d'anathématiser. […] règne-t-il plus d'union dans les familles ?