Voilà, à ce que je crois, la correction et l’instruction que l’on doit chercher dans une fable dramatique. […] On voit clairement que dans sa fable il n’a envisagé que la correction des mœurs ; marchant toujours vers ce but, il ne s’est pas contenté de donner un caractère instructif à son principal Acteur, et de le punir par la perte de son bien, et par les moqueries de ses amis : il a voulu que les caractères épisodiques de sa Pièce ne continssent pas moins d’instruction que le caractère principal : c’est ce qui fait que Célimène n’est pas moins punie de sa coquetterie qu’Alceste de sa misanthropie. […] LES FEMMES Savantes, Quand pour la première fois j’ai résolu d’étudier les Ouvrages de Molière, je me proposais uniquement de découvrir et de suivre pas à pas le génie de ce grand homme dans la production de ses Fables de Théâtre ; bientôt je fûs convaincu qu’il avait porté si loin la perfection de son Art, que non content de m’en faire un modèle pour mon usage particulier, je crus devoir communiquer au Public mes réfléxions pour autoriser, par l’exemple d’un si grand maître, ce que j’ai écrit en matière de Théâtre. […] J’admire surtout le grand art de Molière dans un point de cette fable.
LA fable des amours de Cupidon & de Psiché, inventée par Apulée, dans son âne d’or, mise en vers par la Fontaine, dont Moliere a fait un mauvais drame, & Thomas Corneille un mauvais opéra, que Lulli réchauffa des sons de sa musique, & que l’Abbé Basnier dans sa mythologie, traite avec raison de conte puerile ; cette fable vient d’être rajeunie dans un poëme en huit chants, avec des notes, comme si elle en valoit la peine, pour servir de suite aux fables de l’Abbé Aubert, & qui assurément doit en empêcher le fruit, en remplissant l’esprit du lecteur d’une multitude de folies amoureuses, dont le fonds est très-licencieux, & les images dangereuses. […] Ce fard ternit plus qu’il ne favorise, pour un moment d’éclat, il prépare des années de rides, & des taches ; il sort de cette boëte une vapeur empatée, qui rend horrible, il faut y renoncer pour se borner à la simple nature ; la beauté même y gagne : tel est la moralité de cette fable. […] La fable de Cupidon, & de Psiché, n’est point de l’ancienne mithologie. […] Psiché qui avoit du goût & du génie ne se contenta pas de la mithologie, dont on ui joua les fables, elle voulut de l’histoire. […] C’est sans doute sur cette fable qu’a été imaginée une autre fable de la Fontaine de Jouvence, qui rajeunissoit ceux qui en buvoient.
Dans la plus-part des Fables que nous auons veuës, nous n’auons rien veu qui leur fust propre, rien qui fust pur, rien qui fust reconnoissable. […] Et le vray lupiter mesme n’est-il pas appellé dans les Fables le tranquille & le serein, aussi bien que le foudroyant & l’amasseur de nüées. […] Elle est cause que les Poëtes de Theatre ont esté appellez des Docteurs, διδασκάλοι καὶ κωμωδοδιδάσκαλοι, & qu’on disoit enseigner des Fables, pour dire Faire iover des Comedies. […] Ie veux dire, qu’ils font parler toutes les personnes, comme si elles auoient toutes estudié ; comme si l’Vniuersité estoit deuenüe toute la Ville ; comme si les Histoires rares & les Fables peu connües, les Allegories & les Antitheses s’estoient débordées iusques dans les Appartemens des Femmes ; dans les Sales du Commun ; dans les Boutiques des Artisans. […] La Doctrine de laquelle nous parlons, est inseparablement vnie à la Fable ; ne passe point du particulier au general ; entre dans l’esprit, sans dire son nom, & sans frapper à la porte : La leur au contraire se destache du corps de la Fable ; nâge au dessus du sujet, & ne se mesle point auec luy ; s’adresse au Peuple & aux Spectateurs ; & seroit bien faschée de n’estre pas reconnuë à l’instant mesme qu’elle se presente.
« Ce qu'il y a de plus tolérable, écrit Saint Augustin, ce sont les Comédies et les Tragédies, où les Fables des Poètes sont représentées parmi les Spectacles publics, avec quelques choses indécentes, mais sans aucunes paroles impudentes et dissolues, comme en beaucoup d'autres Jeux du Théâtre. […] Aussi Lactance ne blâme la Comédie et la Tragédie, que pour les sujets qui contenaient quelquefois des Fables malhonnêtes, et non pas l'art du Poète, ni l'exercice des Acteurs « Omissis Evangeliis Comœdias legere, amatoria bulicorum versuum verba canere, Virgilium tenere et Mimorum turpia scripta cantare. » Can.
Si c’est ainsi, mes Pères, que vous honorez les Héros de vos fables, c’est justement sur le contre-pied que les Saints ont honoré les leurs. […] Je trouve, mes Pères, qu’il est encore plus honteux pour votre Héros et pour vous-même, d’avoir choisi dans toute la fable un Symbole si peu propre à représenter une extrême vigilance.
Max. l. 2 c. 4 étaient originairement venus d'Etrurie, et leurs Fables tenaient beaucoup des vieilles Satires, mais avec une modération digne de la sévérité Romaine ; et pour cela, dit-il, jamais ils ne furent notés d'infamie ; ils ne perdirent point leur droit de suffrage dans les assemblées publiques, ni le privilège de servir dans les Armée, avec la solde et les avantages de leur milice. » Pouvait-il s'expliquer plus clairement ? Et si les Acteurs des Fables Atellanes ont été si favorablement traités, nous peut-il rester quelque scrupule pour les Comédiens et les Tragédiens, que les Romains tenaient dans un plus haut rang, qu'ils honoraient d'une bien plus grade estime, et que le cours des années n'a pas empêché de passer jusqu'à nous avec les règles de l'art, et les exemples des ouvrages qui les ont rendus si célèbres, et qui leur ont mérité l'affection des Grands, et l'applaudissement des peuples. Au lieu que les Fables Atellanes nous sont entièrement inconnues, comme étant beaucoup moins considérables. […] Déesse Flore par des Jeux Scéniques, que l'on croyait célébrer d'autant plus dévotement qu'ils étaient célébrés honteusement, et toute la Ville voyait, entendait et apprenait cette manière d'apaiser leurs Dieux, si effrontée, impure, détestable, immonde, impudente, honteuse, et qui doit donner de l'horreur à la véritable Religion, ces Fables voluptueuses et criminelles écrites contre leurs Dieux, ces actions déshonnêtes, inventées avec autant d'iniquité que de turpitude, et commises avec plus d'abomination, et dont les Acteurs furent privés des honneurs publics par les sentiments de la vertu Romaine, et du droit de suffrage dans les assemblées, on connut leur turpitude, et ils furent déclarés infâmes. » Où l'on ne peut pas dire que ce grand Saint parle d'autre chose que de l'infamie des Mimes et Farceurs des Jeux Scéniques, à cause de leur impudence.
applique proprement le mot d'Histrion aux Mimes, qui par leur danses représentaient les Fables des faux Dieux, en disant, « qu'un seul contrefait tantôt Vénus par ses mollesses, et tantôt Cybèle par les tremblements de son corps. ». […] Et ce qui doit être de grande considération sont les paroles de Tite-Live« Quod genus ludorum ab Oscis acceptum tenuit juventus nec ab Histrionibus pollui passa est. », qui dit qu'après l'établissement des Jeux Scéniques, les jeunes gens qui jouèrent les Fables Atellanes, ne permirent jamais aux Histrions de se mêler avec eux, de crainte qu'ils ne corrompissent les innocentes railleries qui s'y faisaient ; Car puis qu'il est certain que les Comédiens et les Tragédiens ont toujours été dans un rang élevé au-dessus des Atellans, ils ont été bien moins capables de souffrir ce mélange des Bouffons, ni le commerce de leurs honteuses plaisanteries. […] Chrysostome, où il blâme les Chrétiens d'aller voir sur l'Orchestre un lit préparé pour y représenter par la Danse la Fable de Mars et de Vénus, ce qui ne se faisait que par les Mimes.
Je réponds que, quand cela serait, la plupart des actions tragiques, n’étant que de pures fables, des événements qu’on sait être de l’invention du Poète, ne font pas une grande impression sur les Spectateurs […]. »bq Il ne fallait pas dire « sur les Spectateurs » mais dire « sur moi », et ne pas conclure de votre insensibilité singulière que tous les Spectateurs soient insensibles : votre allégation d’ailleurs est fausse. Les sujets de nos Tragédies sont ordinairement puisés dans l’Histoire, les Auteurs se font une loi de respecter les faits attestés, et loin que le Spectateur, dans les circonstances inventées s’amuse à réfléchir que ce sont des fables, les larmes que l’Acteur lui arrache prouvent assez qu’il est frappé du tableau comme il le serait de l’original. […] Souvenez-vous de la fable de « La Colombe et de la Fourmi »ce : je ne suis pas tout à fait comparable à la Fourmi, j’en conviens ; mais aussi vis-à-vis de M. de Voltaire, n’êtes-vous pas comparable au Chasseur, qui était sur le point de tuer la Colombe ? […] [NDE] J. de La Fontaine, Fables choisies, Paris, D. Thierry, 1668, Livre II, Fable 12, p. 72-73.
L’on croit s’assembler au spectacle, et c’est là que chacun s’isole, c’est là qu’on va oublier ses amis, ses voisins, ses proches, pour s’intéresser à des fables, pour pleurer les malheurs des morts, ou rire aux dépens des vivants ; de manière qu’on pourrait dire de ceux qui les fréquentent : N’ont-ils donc ni femmes, ni enfants, ni amis, comme répondit un barbare, à qui l’on vantait les jeux publics de Rome ? […] Nous y voyons de violentes passions ennoblies avec art ; des sottises héroïques consacrées par de vieilles fables ou histoires ; de beaux sentiments, qui ne sont à bien dire que des saillies extravagantes d’ambition et de vengeance ; des fantômes de vertu, qui en imposent par un vain coloris de grandeur ; des personnages qui, par leur caractère, leur rang, leurs sentiments et leurs exploits, réveillent au fond de l’âme et flattent des inclinations vicieuses d’où naissent en nous les révolutions les plus funestes. […] Je réponds que, quand cela serait, la plupart des actions tragiques n’étant que de pures fables, des événements qu’on sait être de l’invention du poète, ne font pas une grande impression sur les spectateurs. […] Ce sont des fables, à la vérité, mais des fables qui font sur le cœur de plusieurs des impressions plus durables que les vérités les plus sublimesag . » Et quand même le fond de ces pièces serait tiré de l’Ecriture sainte, on ne peut pas les voir sans danger ; parce que la sainte morale, transportée sur un théâtre, ne peut produire dans ce sol empesté que des fruits pernicieux : sa place véritable et naturelle est dans la chaire, où environnée de la majesté de Dieu, nourrie de l’onction qui la rend si touchante et si auguste, elle déploie toute sa dignité et toute sa force ; mais au théâtre c’est un sel affadi ; elle n’y paraît que pour être tournée en ridicule, pour essuyer le mépris et encourir la haine des spectateurs.