» Pour ce qui est de la Comédie, les Païens même ont reconnu combien elle était dangereuse, et que les jeunes gens ne devaient pas lire ces sortes d’Ouvrages, qu’après que leurs mœurs seraient tellement affermies, qu’elles ne pourraient plus en être blesséesb […] La Tragédie n’est point si dangereuse que la Comédie ; mais elle l’est néanmoins beaucoup.
Croyez-vous en vérité, que la subtile contagion d’un mal dangereux demande toujours un objet grossier, ou que la flamme secrète d’un cœur trop disposé à aimer en quelque manière que ce puisse être soit corrigée ou ralentie par l’idée du mariage, que vous lui mettez devant les yeux dans vos héros et vos héroïnes amoureuses ? […] Si l’on ne propose pas dans nos comédies des violences semblables à celles-là, on en fait imaginer d’autres, qui ne sont pas moins dangereuses ; et ce sont celles qu’on fait sur le cœur qu’on tâche à s’arracher mutuellement, sans songer si l’on a droit d’en disposer, ni si on n’en pousse pas les désirs trop loin.
Je gémis : mais je ne crus pas que tout cela fût effectivement bien dangereux. […] Les Jeunes-gens se verront plus souvent ; mais, comme l’on sain, les illusions de l’imagination d’un sexe abandonné à lui-même, sont plus dangereuses que la familiarité entre tous deux. […] La Comédie, au contraire, pour être utile, & même pour n’être pas dangereuse, dans le siècle de l’esprit & du rafinement des voluptés, a bien une autre tâche à remplir. […] Cette dangereuse Pièce, ainsi que beaucoup d’autres du même Auteur, a fait plus de mal qu’on ne pense ; soit par la lecture, soit par la Représentation. […] Quant à ces contrastes entre la Grande & la Petite Pièce, ils sont quelquefois utiles, pour détruire cette même émotion dangereuse dont je viens de parler.
mettre cinq ou six heures de temps à se parer et à se peindre le visage, pour aller ensuite dans une assemblée tendre des pièges à la chasteté des hommes, et servir de flambeau au démon pour allumer partout le feu de l’impudicité : demeurer les nuits entières exposé aux yeux et à la cajolerie de tout ce qu’il y a de libertins dans une ville ; employer tout ce que l’art et la nature ont de plus dangereux pour attirer leurs regards, et pour séduire leur cœur, déguiser sa personne et son sexe, pour ôter à la grace ce petit secours qu’elle trouve dans nos habits ; rouler de quartier en quartier sous un masque de théatre ; ne se pas contenter de discours frivoles et inutiles, se relâcher jusqu’à dire des paroles qui scandalisent : de quel terme oserait-on se servir pour autoriser une licence si scandaleuse ? […] Dites à cette jeune personne que ses parents prennent plaisir d’immoler à tant de vanités, et qui est si contente d’en être la victime ; dites à ce libertin en qui l’esprit du monde et une oisiveté invétérée ont presque éteint l’esprit de Religion ; dites à cette jeune femme qu’un leurre de fortune flatte et éblouit, et qui n’a plus de goût que pour les joies et les fêtes mondaines ; dites-leur que selon saint Chrysostome, il n’y a point de plus dangereux ennemis du salut que ces divertissements nocturnes, ni qui soient moins chrétiens. […] J’ai toujours cru les bals dangereux, disait un des plus beaux esprits de son temps, et le Courtisan le plus poli de son siècle :* j’ai toujours cru les bals dangereux ; ce n’a pas été seulement ma raison qui me l’a fait croire, ç’a encore été mon expérience ; et quoique le témoignage des Pères de l’Eglise soit bien fort, je tiens que sur ce chapitre celui d’un Courtisan doit être d’un plus grand poids.
C’est une question problématique, quel des théatres est le plus dangereux. […] Cet arrangement, un peu triste, & si différent de la distribution légère & galante de la Comédie Françoise, est certainement moins dangereux & plus décent que la confusion des rangs & le mélange des sexes qui règne en France. […] Ce goût dramatique est moins dangereux que le goût François. […] Ainsi nos premiers romans de Scuderi, de la Calprenede, les Pharamons, le grand Cyrus, avec leurs dix ou douze tomes, n’ont pas un poison si dangereux que nos brochures. […] A l’exception de Plaute & d’Aristophane, qui sont trop libres, qui ne le sont pas plus que Moliere, qui le sont moins que Poisson, Dancourt, Vadé, le théatre de la Foire, tous les dramatiques Grecs & Latins sont autant & plus décens que les nôtres, & moins séduisans, moins galans, moins dangereux que Racine.
L’indécence voilée est plus dangereuse que celle qui se montre à découvert. […] On a toujours pensé qu’un Ouvrage licencieux, écrit avec art, avec ménagement, était plus dangereux, trouvait plutôt le chemin du cœur, qu’un Livre qui ne nous laisse rien à deviner, & qui méconnaît le mérite des èxpressions fines & délicates. […] Mais il faut bien se garder de la peindre avec des couleurs trop fortes, cette passion si vive, si dangereuse. […] Il eût été dangereux, en parlant de l’Opéra-Bouffon, de ne rien dire au sujet de l’indécence. […] Il eût été trop dangereux de garder le silence.
Tel est le malheur attaché à la Poésie, cet Art si dangereux, dont l’Histoire est beaucoup plus la liste des fautes célèbres & des regrets tardifs, que celle des succès sans honte & de la gloire sans remords : tel est l’écueil presque inévitable, sur-tout dans les délires de la jeunesse ; on se laisse entraîner à établir des principes qu’on n’a point ; un vers brillant décide d’une maxime hardie, scandaleuse, extravagante : l’idée est téméraire, le trait est impie, n’importe, le vers est heureux, sonore, éblouissant, on ne peut le sacrifier, on ne veut que briller, on parle contre ce qu’on croit, & la vanité des mots l’emporte sur la vérité des choses. […] Quand on a quelques Ecrits à se reprocher, il faut s’exécuter sans réserve, dès que le remords les condamne : il seroit trop dangereux d’attendre ; il seroit trop incertain de compter que ces Ecrits seront brûlés au flambeau qui doit éclairer notre agonie. […] Comment immoler nos jours à des Ouvrages rarement applaudis, souvent dangereux, toujours inutiles ?
Des leçons pour apprendre les subtilités du vice, ou des exemples pour s’affermir dans le crime, ou des aliments des passions pour en repaître leur cœur, ou des peintures fabuleuses pour retracer à leur imagination de trop coupables vérités. » Le théâtre ne leur plaît qu’autant qu’on a soin de ne pas contrarier, jusqu’à un certain point, leurs penchants, qu’on y ménage, qu’on y flatte même leurs passions favorites, qu’on y donne aux vices qui leur sont les plus naturels un vernis d’héroïsme et de grandeur qui adoucisse à leurs propres yeux ce qu’auraient d’odieux des couleurs trop vraies et des images trop ressemblantes : comme ils sont plus susceptibles d’impressions nuisibles et dangereuses que d’impressions bonnes et utiles, une morale exacte, une raison sévère les ennuient et les rebutent. […] Quand ils traiteraient les passions de la manière la plus honnête, cette apparence d’honnêteté et le retranchement des choses immodestes rendraient leurs pièces beaucoup plus dangereuses, parce que en attaquant la pudeur d’une manière moins directe, les personnes vertueuses en ont moins d’horreur, et pensent moins à se défendre du poison qu’elles contiennent. […] La morale des anciennes tragédies grecques était beaucoup moins dangereuse que celle des tragédies modernes.
Mais on peut voir l’esprit de Saint Antonin sur ces dangereuses tendresses de nos théâtres, lorsqu’il réduit la musique Ibid. […] On peut entendre par là ce qu’il aurait jugé de nos opéras, et s’il aurait cru moins dangereux de voir des comédiennes jouer si passionnément le personnage d’amantes avec tous les malheureux avantages de leur sexe.