D’autres soutiennent au contraire que la comédie d’aujourd’hui, tout épurée qu’elle est des infamies de l’ancienne, est encore une école très dangereuse, et que ce qu’on y voit et ce qu’on y entend ne peut que corrompre les mœurs ; et effectivement on y voit et on y entend tout ce qui peut fasciner les yeux, tout ce qui peut charmer les oreilles, tout ce qui peut séduire le cœur.
Et leurs yeux et leurs oreilles doivent-elles être moins chastes que leurs langues, auxquelles il n’est pas permis de proférer aucune parole vaine et qui ne convienne point, comme dit S. […] Il le faut, parce qu’il est bien difficile qu’ils n’y souillent en même temps leurs yeux, leurs oreilles, et leur âme.
Elles achèvent de persuader un spectateur que tout ce qu’il voit est véritable : quand les yeux & les oreilles sont séduits, l’ame ne tarde guères à l’être.
[K] Chez les Anciens, les masques de Théâtre étaient une espèce de casque qui couvrait toute la tête, & qui, outre les traits du visage, représentait encore la barbe, les cheveux, les oreilles, & jusqu’aux ornemens que les femmes employaient dans leur coîfure.
accoutumé d'assister aux Combats de la lutte ; mais Auguste ne voulut pas souffrir qu'on exposât à leurs yeux des hommes tous nus, qui pouvaient offenser les sages, et flatter la débauche des autres, et remit au lendemain matin le combat des Athlètes, avec défense aux femmes de venir au Théâtre devant onze heures ; c'est ainsi qu'il en faut user pour les Poèmes Dramatiques, je veux dire en éloigner tout ce qui peut offenser les oreilles chastes, et l'honnêteté de la vie.
» Or la Comédie est le plus charmant de tous les Divertissements, Elle ne cherche qu’à plaire à ceux qui l’écoutent, Elle se sert de la douceur des Vers, de la beauté des expressions, de la richesse des figures, de la pompe du Théâtre, des habits, des gestes et de la voix des Acteurs ; Elle enchante tout à la fois les yeux et les oreilles : et pour enlever l’homme tout entier, Elle essaye de séduire son esprit après qu’elle a charmé tous ses sens.
Suffit-il d’épargner à l’oreille les obscénités du langage, si une autre sorte de langage les met sous les yeux ? L’imagination n’est que trop dédommagée des sons que l’oreille n’entend pas, par les images qu’on lui trace, & d’autant plus agréablement que le son s’envole, & que le tableau reste, & qu’elle peut continuellement se repaître des objets de la volupté. […] Ne vous flattez pas ; vos yeux, vos oreilles, votre cœur ont déjà commis le crime. […] Les Chapitres 13 & 14, couvrent de ridicule un des abus de la peinture ; c’est d’adresser la parole à des tableaux, des statues inanimées, comme si c’étoit des personnes vivantes ; tant, il est vrai, que les images entretiennent la passion jusqu’à s’épencher en vains discours, à des actes sans vie, qui ne peuvent ni leur répondre, ni les entendre ; non erubescit loqui cum ille qui est sine animâ, il demande la protection d’un bois mort, pro vila rogat mortuum ; car ils ont des yeux, & ne voient pas ; des oreilles, & n’entendent pas ; des pieds, & ne marchent pas ; des mains, & ne touchent pas ; une bouche, & ne parlent pas.
La fin des pièces dramatiques est d’exciter en l’âme plusieurs passions tour à tour, la tristesse, la joie, la douleur, l’espérance, le désespoir : Ces passions entrent dans l’âme par les yeux, et par les oreilles, par les spectacles, et par les récits ; lorsqu’on fait voir au spectateur, quelque objet pitoyable, ou qu’on lui raconte quelque Histoire tragique. […] C’est sur ce principe, que les Théologiens modernes excusent l’état des Comédiens, et soutiennent qu’ils sont en bonne conscience, pourvu qu’ils n’abusent pas de leur emploi, et qu’ils ne disent rien d’illicite, ou de scandaleux, qui pût blesser les oreilles délicates. […] Ils les accablent d’une foule de passages tirés des Conciles et des Pères, et même de la sainte Ecriture, qui sont autant d’anathèmes lancés contre la Comédie ; car ils la regardent comme une occasion prochaine du péché, puisqu’on y trouve tout ce qui peut plaire aux yeux, charmer les oreilles, et séduire le cœur ; en effet, disent-ils, le but des Comédiens est d’émouvoir les spectateurs, pour les faire entrer dans toutes les passions qu’ils représentent, et dont les âmes faibles se laissent aisément surprendre. […] Ce sont, Madame, à peu prés les raisons, dont se servent ceux qui veulent que l’on bannisse la Comédie, parce que c’est une école dangereuse, où la vérité et les bonnes mœurs se corrompent ; où tout ce que l’on voit et tout ce que l’on entend, conduit au relâchement et au libertinage ; où l’amour et toutes les autres passions se glissent par les yeux et par les oreilles.
Il résulte de tout ceci qu’Opéra-Bouffon veut dire un Spectacle de choses communes, de pures frivolités ; une éspèce de Drame où l’esprit ne se montre guères, où l’oreille seule est enchantée par les sons de la Musique ; & enfin un lieu dans lequel s’assemblent en foule des Spectateurs plus avides de nouveautès passagères que du sublime & du vrai beau ; & plus curieux d’images basses & populaires que d’un Tableau noble & d’une vaste étendue. »** Quoique St Evremont n’en ait point voulu parler, il semble pourtant le définir assez, tel qu’il parait au prémier coup-d’œil, dans ce qu’il écrit au sujet de l’Opéra Sérieux.
L’Eglise retranche même dans les jours de tristesse et de deuil, les solemnités de son culte, les parures de ses Autels et de ses Ministres, la douceur même et la gaieté de ses chants ; et vous irez repaître vos yeux des agréments affectés, et du pompeux ajustement de quelques femmes licencieuses, et prêter l’oreille à la voix et aux récits passionnés de ces Sirènes, dont parle Isaïe Isay. ch.
N’est-il pas vrai qu’il n’a jamais prêché ni ne prêchera jamais publiquement ce qu’il vous dit à l’oreille ?
Le Peintre ne parle qu’aux yeux, le Musicien à l’oreille, le Poëte à l’imagination ; encore n’ont-ils qu’un langage sourd, une expression obscure : le Spectateur est obligé de se prêter, d’y mettre continuellement du sien : sinon un goût décidé, une intelligence particuliere ; du moins une attention laborieuse. […] On peut en imposer aux yeux, surprendre l’esprit, séduire l’oreille. […] L’esprit & l’imagination ne s’amusent point par des sons sans jeu, des idées sans images, des propos sans intérêts ; il n’y a que la triste oisiveté qui puisse absolument y trouver son compte : à des cerveaux vuides, une oreille ébranlée apprête une sensation. […] Et ce mal si célébre, ce poison si terrible, le croiroit-on, c’est l’amour : comme si de quelque façon qu’il soit manié, il pouvoit jamais avoir l’ombre de danger ; qu’on l’offre avec ses nudités : quelle est l’oreille ou l’œil qui s’y prêtera ? […] Toutes ces idées que l’on prend aux Spectacles, à les bien apprécier, ne sont en elle-même qu’un air modifié, qui flate nos oreilles, une nuance agréable qui amuse nos yeux ; mais ni l’un ni l’autre ne vont au cœur : autant en emporte le vent.
Outre le poids des voix le nombre n’y doit point manquer, ni une, ni deux ne rempliraient pas l’oreille : Ces deux choses sont nécessaires, et néanmoins elles ne suffisent pas ; il est besoin que toutes les voix s’accordent et soient réglées par une même mesure. […] Cette belle et savante harmonie se fait pour tous les hommes, il en est peu pourtant qui se donnent le loisir d’y prêter l’oreille ; car qui est-ce qui se veut tirer de la presse des affaires pour entrer dans la solitude ? […] Cela leur donne une honnête hardiesse ; elles en prennent souvent trop, et l’assurance qu’on prétend leur donner, leur ôte le respect : Si quelqu’un en doute il n’a qu’à prêter l’oreille aux justes plaintes des pères et des mères qui se lamentent de ne trouver plus de déférence auprès de leurs enfants. […] il y avait tant de charmes pour les yeux, et pour les oreilles, qu’il n’était point de cœur assez ferme pour résister au péché. […] On en fait comme des boucs d’Anathème, et chacun les charge de fleurs ; on se persuade que le mal qu’on fait à leur prêter l’oreille, retombe sur eux et qu’on peut voir innocemment ce qu’ils ne peuvent représenter sans crime.
Mais ce reproche, ne pouvons-nous pas l’adresser à une infinité de demi-Chrétiens qui veulent concilier Jésus-Christ & le monde, & jouir tout-à-la-fois des divertissemens du siècle, & des consolations de la piété ; à ces personnes de l’un & de l’autre sexe que l’on voit, tantôt prosternées aux pieds des saints Autels, priant avec des démonstrations de piété & de ferveur, écoutant avec respect la parole du salut ; & tantôt confondues dans la foule des mondains, imitant leur luxe & leurs vaines parures, prêtant l’oreille à leurs fausses maximes, partageant leurs plaisirs les plus frivoles & les plus dangereux ; à ces personnes, par exemple, qui, après avoir satisfait aux devoirs extérieurs de la piété, ne croient point en perdre le fruit & le mérite, en assistant aux Spectacles du théâtre ; & qui regardent comme permis & innocent, ce que l’Eglise a toujours condamné avec tant de sévérité ? […] Je vous demande si jamais vous n’avez entendu sortir de ces bouches impures que des paroles chastes & mesurées ; si jamais vos yeux & vos oreilles n’ont rien rencontré dans les Spectacles, qu’on dit être les plus châtiés, qui pût alarmer la modestie ; si vous voudriez imiter, ou si vous souffririez dans les personnes dont la conduite vous est confiée, les parures indécentes, les manières lascives & dissolues, l’air d’effronterie & d’impudence qu’on étale sur le théâtre ; si vous adopteriez le langage qu’on y parle ; & si enfin vous n’avez jamais rougi, en souriant à des propos que vous auriez honte de répéter ? […] Les personnes qui ont eu le malheur de fréquenter les Spectacles, savent mieux que moi que ces maximes sont la corruption même, réduite en art & en systême ; & celles dont les oreilles n’ont pas encore été souillées de ces discours anti-Chrétiens, n’ont rien de plus à désirer que de les ignorer toujours.
Casaubon, sur cet endroit d’Athenée, cite les vers d’une églogue appellée Theopompea, où parlant de la parure d’un petit maître, Cultum & mollitiem nescio cujus trussori , on dit qu’il avoit si savamment parfumé & si artistement arrangé ses cheveux par le moyen des pommades, des aiguilles de tête & autres instrumens de tête appellés crinales, qu’il leur avoit donné la figure des aîles d’un oiseau au dessus de la tête, une derriere à chaque oreille, comme un oiseau prêt à voler, ou comme Mercure qui avoit des aîles à son bonnet : Elata coma in altum ex utrâque parte capitis speciem alarum exhibebat. […] Des sons harmonieux réjouiront l’oreille, des objets agréables plairont aux yeux, des goûts délicieux flatteront les palais ; l’odorat aussi aura sa satisfaction propre, toutes les délices sont réunies dans le Ciel. […] L’oreille est déchirée par les hurlemens ; les grincemens des dents, & des odeurs empestées punissent l’odorat.
On pourroit impunément les heures entieres avoir l’esprit & le cœur attaché à des intrigues amoureuses, toujours souillé par des images, ému par les sentimens les plus vifs, l’imagination toujours remplie de beauté, de plaisir, d’obstacles, de succès, l’oreille frappée de discours galans, & de sons tendres & harmonieux, toute l’ame occupée de situations attendrissantes & délicieuses, & au milieu de tous ces pieges, les objets les plus immodestes continuellement sous les yeux, sans être séduit par l’erreur, & entraîné par la passion, sans apprendre à cette école à mépriser, à braver la pudeur qui retient, la loi qui défend, le remords qui trouble, le péché qui effraie, en entendant cent fois dire & redire, chanter avec grace, débiter avec assurance, déclamer avec feu, exécuter avec goût cette morale anti-chrétienne, si conforme à la nature, canonisée dans le monde, si agréable à un cœur corrompu, qui fait du crime un mérite, de la résistance un ridicule, de la volupté un besoin, de la passion une nécessité ! […] Qu’a-t-on besoin du secours des oreilles ? […] Cet homme gagné va vous attaquer ; vous l’avez charmé par les yeux, il vous enchante par les oreilles ; vos indécences l’ont blessé, ses flatteries, ses poursuites, ses entreprises vous perdront ; vous l’avez exposé à vos traits, vous vous livrez aux siens ; il allume dans votre cœur le feu dont vous le consumez ; refuserez-vous de sa main un poison que vous lui avez servi ?
Les Comédiens vulgaires disent crûment les choses que vous enveloppez, vous prenez un autre chemin pour atteindre au même but : différence des conditions ne fait rien aux yeux de celui qui n’a acception de personnes, & s’il est vrai que vous soyez pour les grands du monde, un sujet de scandale, je vous trouve tout aussi coupable qu’un Charlatan qui empoisonne, en débitant ses drogues, les oreilles de la Canaille, par des obscénités grossieres.
L’Avare rit de la peinture qu’on fait de lui-même, & croit se moquer de son voisin ; la Coquette applaudit à son portrait, & dit tout haut à l’oreille de cinq ou six personnes discretes, qu’elle connaît bien là son amie ; le petit Maître sourit à l’esquisse de ses ridicules, & s’écrie, que le Marquis un tel est peint à ravir.
Il faut garder les sons perçans & renforcés, le fortissimo de l’Orchestre pour des instants de désordre & de transports où les Acteurs semblent s’oublier eux-mêmes ; il faut, par une musique douce & affectueuse, avoir déjà disposé l’oreille & le cœur à l’émotion ».
Le spectacle saisit les yeux, les tendres discours, les chants passionnés, pénètrent le cœur par les oreilles.
Mais tout à coup un cri extraordinaire frappa ses oreilles et excita sa curiosité.
Vous diriez qu’il a ramassé dans un même lieu tout ce qui peut donner entrée aux plaisirs sensuels ; l’oreille y est charmée par les concerts ; les yeux par-tout ce que le luxe & la vanité peuvent étaler de plus agréable. […] Tout y concourt à séduire l’ame & à l’amollir ; le cœur conduit par les oreilles & par les yeux s’attache à tout ce qui le charme ; la raison suspendue par l’enchantement se tait ; rien n’est du goût, que ce qui flatte les sens ; & parmi tant d’objets si capables de plaire, & qui plaisent en effet, l’ame sera-t-elle maîtresse de ses desirs ? […] On a beau leur dire qu’il y a des jeux défendus, des spectacles & des assemblées dangereuses ; ils s’en moquent, ferment les yeux & se bouchent les oreilles pour ne point voir ni entendre toutes ces choses qui leur déplaisent. […] Et ces oreilles auxquelles retentit encore l’accord enchanteur d’une symphonie molle & séduisante, comment écouteront-elles le chant modeste des pseaumes ? […] Si je passe des exemples généraux aux particuliers, parmi les Auteurs sacrés j’entends un Augustin qui se cite lui-même en témoignage ; & avec cette noble franchise si digne d’un vrai Pénitent, il avoue que c’est sur le théâtre qu’il respira par les oreilles & par les yeux tout le venin qui corrompit son cœur.
Le Spectacle des Colléges est bien différent du vôtre, Mademoiselle, selon l’Ordonnance de Blois1 & la déclaration de la Faculté de Paris2, on a soin d’en retrancher toute espéce de saleté & le langage de la tendresse, les Regens qui en ont la direction, avant de mettre les Rolles entre les mains des Ecoliers, en ôtent tout ce qui pourroit souiller le cœur & blesser les oreilles : c’est un exercice que l’on croit utile à ceux qui se destinent à parler en public, & l’on ne se propose pas d’intéresser les Spectateurs, on a porté la réforme jusqu’à défendre par une nouvelle Ordonnance1 les danses dans les intermèdes ; quoiqu’un semblable amusement qui se passeroit entre les jeunes gens d’un même sexe, ne suppose aucune sorte de danger, mais une simple indécence. […] Fermez l’oreille à ces imposteurs qui vous annoncent la paix où elle ne se rencontre pas : cherchez-la plutôt dans la doctrine des Saints ; la sécheresse du stile ne doit pas vous rebuter, sous cette écorce désagréable vous trouverez une onction parfaite, & la douceur du miel cachée sous des feuilles d’Absinthe.
Vous avez consacré vos lèvres et vos oreilles à l’Evangile ; les ouvrir aux folies, c’est un crime ; les y accoutumer, un sacrilège. […] 7.) va jusqu’à défendre aux Ecclésiastiques même les décorations, et les chansons tendres, qui, en flattant les yeux et les oreilles, amollissent la vigueur de l’âme, et par leurs attraits y font glisser le poison du vice.
Pour vous élever dans une extrême délicatesse, vous voulez des robes dorées, vous portez des bagues, des diamans du prix, des colliers de perles, les gros pendans d’oreilles, vous frisez, vous poudrez, vous embaumez vos cheveux : Vultis odoratos politu variare capillis ; il est vrai que vous n’en faites pas plus que les hommes, il en est de si effeminés, de si enivrés de leur parute, qu’une nouvelle mariée n’y peut rien ajouter ; cum comptos habeant sæcula nostra viros & vix ad cultus nupta quod addat habet . […] On peint le front, les joues, les paupieres, les sourcils, le nez, la bouche, les oreilles, les ongles, les mains, les pieds. […] Malheureusement le bout de l’oreille paroissoit ; il fut découvert par-là, & sifflé de tout le monde.
Le bruit, le tumulte, les chants efféminés, les discours licentieux, les mauvaises chansons, sont bien plus insupportables à son oreille que les injures des bourreaux : Rursùm erucifigentes in semetipsis filium Dei, & ostentui habentes. […] J’arracherai leurs cheveux, je jetterai leur chaussure, leurs colliers, leurs bracelets, leurs pierreries, leurs pendans d’oreille, leurs rubans, leurs bagues, leurs miroirs, leurs boëtes de parfums, &c. […] Quand on avance hardiment qu’il ne se passe rien que d’innocent dans la danse, ne diroit-on pas qu’il s’agit d’une danse de marionnettes insensibles à tout, & pour qui tout est insensible, qui n’ont ni des yeux pour jeter de mauvais regards, ni de langue pour dire de mauvaises paroles, ni d’oreilles pour les entendre, ni de mains pour prendre des libertés criminelles, ni desprit pour avoir de mauvaises pensées, ni de cœur pour former de mauvais desirs ?
Remplissez vos scènes, non d’idées difficiles à combiner, à sentir, non d’expressions qui ne parlent qu’aux oreilles, mais de faits qui ébranlent l’ame, qui subjuguent le cœur ; mais de ces sentimens qui frappent les spectateurs, & s’emparent d’eux avec une douce violence.
Erit tempus1 cùm sanam doctrinam non sustinebunt, sed ad sua desideria coacervabunt sibi magistros prurientes auribus : en vain la vérité s’offre encore, elle voudroit se faire entendre ; elle déplaît, on en détourne les yeux, on ferme l’oreille à sa voix, on ne veut envisager que les attraits du scandale, ni écouter que le langage de l’imposture A veritate auditum avertent, ad fâbulas autem convertentur.
Après avoir parlé de la taille, de la souplesse, de la légèreté & de l’oreille qu’il doit avoir ; il ajoute, qu’il n’est pas plus difficile de trouver un visage à la fois doux & majestueux.
Les Prêtres doivent s'éloigner de tous les objets qui ne font que charmer les oreilles, et surprendre les yeux par des apparences vaines, et pernicieuses, et ils ne doivent pas seulement rejeter et fuir les Comédiens, les Farces et les Jeux déshonnêtes; mais ils doivent encore représenter aux Fidèles, l'obligation qu'ils ont de les rejeter et de les fuir.
Au lieu de travailler à guérir les plaies qu’ils ont faites à l’âme, et à la délivrer de la dépendance où elle est à leur égard, on fortifie les liens qui l’asservissent, on les multiplie, et on la contraint en quelque sorte à être toute dans les yeux et dans les oreilles.
vice ne s’insinue guère en choquant l’honnêteté, mais en prenant son image ; et les mots sales sont plus contraires à la politesse qu’aux bonnes mœurs : voilà pourquoi les expressions sont toujours plus recherchées, et les oreilles plus scrupuleuses dans les pays les plus corrompus.
A lui parla ogni giorno Del vador di suo padre, & qualche volta Della tua bocca esca il mio nome ancora, ou quand je les lis dans le traducteur Anglois, Make him acquainted with his Ancestors, Trace out their Shining story in his Thoughts ; Dwell on the exploits of his immortal Father, And Sometimes let him hear his mother’s name : parce que les Muses ne m’ont pas donné des oreilles pour le Vers Sciolto, ni pour le Vers Blank, j’entens les mêmes choses, & je ne les entens plus avec le même plaisir : au lieu qu’après avoir lû ces quatre Vers de Phedre, J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines Un poison que Médée apporta dans Athenes. Déja jusqu’en mon cœur le poison parvenu, Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu, mon oreille est également satisfaite, en les entendant rendus ainsi par l’Abbé Conti : Io presi, io stillar fei nell’ ardenti mie vene Un velen, che Medea porrò seco d’Athene ; Gia dentro del miu core il veleno diffuso, Sparge nel cor spirante languor fredo non uso.
Mais une pièce dramatique régulière, partagée en scènes et en actes, formant un dessein, un nœud, un dénouement, accompagnée de chant, de danses, de machines, où l’on ne parle qu’en chantant, où l’on ne marche qu’en dansant, un spectacle où tout est réuni pour flatter le cœur, l’esprit, les yeux, les oreilles, que l’histoire de l’Opéra appelle « le spectacle universel, le triomphe de l’esprit humain, le grand œuvre par excellence », et qui en effet bien mieux que celui des Chimistes, fait couler des fleuves d’or dans la main des Acteurs, et une pluie d’or dans le sein des Danaé qui habitent ce pays des Fées ; on ne le connaissait qu’en Italie, il avait été ébauché en faveur de la maison de Médicis, à qui on doit en Europe la naissance des arts et du luxe. […] L’on a rassemblé à l’opéra tout ce qu’il y a de plus capable de flatter les passions ; la vue, par des décorations superbes ; l’oreille, par une musique harmonieuse ; le cœur, par les vers et les chants les plus tendres.
Monsieur de Meaux commence par un Extrait de la Lettre du Théologien, qui avait avancé que la Comédie, telle qu’elle est aujourd’hui, est épurée en France, et qu’il n’y a rien que l’oreille la plus chaste ne puisse entendre. […] Il ajoute que les Airs de Lully tant répétés dans le monde, ne servent qu’à insinuer les passions décevantes, en les rendant plus agréables et plus vives, plus capables par le charme de la Musique de s’imprimer dans la mémoire, parce qu’elle prend d’abord l’oreille et le cœur.
Le sieur de la M… a cruellement abusé de votre patience, Mademoiselle, il auroit dû ménager d’avantage la délicatesse de vos oreilles ; les Tragédies de Corneille vous ont fait aimer la précision ; c’est un goût qui mérite des égards, & vous pouvez les attendre de moi.
On représente l’amour, non pas comme un crime, c’est une simple foiblesse, encore une foiblesse noble & agréable, la foiblesse des Héroïnes & des grands Hommes ; c’est une foiblesse que l’on a sçu si bien déguiser & embellir, qu’elle attire tous les regards, elle charme toutes les oreilles, elle séduit tous les cœurs ; le portrait que l’on en a fait est si flatteur, qu’on ne s’en lasse point, on ne souffre plus guères de Spectacles où elle ne se rencontre pas : c’est elle qui préside à toute l’action, elle est devenue essentielle aux Tragédies les plus sérieuses : en quoi la France a enchéri sur les Grecs & sur toute l’antiquité payenne.
Il est vrai le langage en est plus pur, plus étudié, plus chatié ; mais vous savez si ce langage en ternit moins l’esprit, s’il en corrompt moins le cœur, & s’il peut-être il ne vaudroit pas mieux entendre les adultéres d’un Jupiter, & des autres divinitez, dont les excés exprimez ouvertement & sans reserve, blessant les oreilles feroient moins d’impression sur l’ame.
Le chant si naturel à l’homme, en se dévelopant, a inspiré aux autres hommes qui en ont été frappés, des gestes relatifs aux différens sons dont ce chant était composé ; le corps alors s’est agité, les bras se sont ouverts ou fermés, les pieds ont formé des pas lents ou rapides, les traits du visage ont participé à ces mouvemens divers, tout le corps a répondu par des positions, des ébranlemens, des attitudes, aux sons dont l’oreille était affectée : ainsi le chant, qui était l’expression du sentiment, a fait développer une seconde expression qui était dans l’homme, qu’on a nommée Danse.
« Là, dit saint Jérôme24, s’accomplit l’oracle du prophète Jérémie : La mort entre par les fenêtres de notre âme, c’est-à-dire, par les yeux et par les oreilles. » Lactance emploie le même texte contre la séduction du théâtre25 : il prétend que les sens y sont souillés, et que la corruption se glisse au fond de l’âme ; le cœur et l’esprit en sont infectés.
L’expression latine m’a paru trop forte pour la rendre mot à mot en français : elle aurait certainement choqué les oreilles chastes.
Qu’on veuille sincérement s’instuire, & qu’on soit de bonne Foi, les Spectacles n’auront plus de charmes, & les Théatres seront bientot déserts ; mais, dit Mr. de Fénélon, un des plus pieux, & des plus sçavans Prélats que la France ait vus naitre, Ceux qui aiment la Comédie, & qui suivent les vanités du siécle, ne veulent jamais entendre traiter chrétiennement ces matieres, afin de pécher plus librement & sans inquiétude… Ils ferment les yeux, & se bouchent les oreilles, pour ne point voir ni entendre toutes ces choses qui déplaisent. […] … Que doit-on espérer dans un lieu, où les yeux, par les objets, & les oreilles, par leurs chants lascifs & efféminés, trouvent tant de piéges. […] Augustin rémarque, qu’il tint d’abord les yeux fermés : plût à Dieu , ajoute-t-il, qu’il eût bouché ses oreilles ! […] « Chaque crime, dit Salvien de Marseilles, n’attaque qu’un de nos sens à la fois ; mais la Comédie corrompt en même tems, l’ame par les pensées, le cœur par les désirs, les oreilles, par les équivoques &c, & les yeux par les regards. » Ce fut pour ces raisons, que Philippe Auguste chassa les Comédiens de sa Cour, en 1182, il signala sa piété , dit Mezeray, par l’expulsion des Comédiens, Jongleurs & farceurs, comme des gens qui ne servent qu’à flatter & nourrir les voluptés.
On la fait pénétrer & par les yeux & par les oreilles, jusques dans le fond de l’ame. […] Que n’ont pas à craindre les gouvernemens, qui non seulement tolerent, mais encore donnent ouvertement leur protection à des amusemens qui sont ordinairement pour la jeunesse les écoles du vice, des lieux privilégiés destinés à irriter les passions, des écueils où l’innocence attaquée par les yeux & les oreilles, séduite par les maximes d’une morale lubrique, réchauffée par la musique & des danses lascives, s’expose à des naufrages continuels ?
Le théatre veut si bien qu’on connoisse ses mœurs & sa malignité, qu’il a peint son génie & ses talens sous l’emblême de Satyres avec des pieds de chèvre, des cornes, des oreilles pointues, un masque à la main, un ris caustique, des attitudes indécentes. […] ses oreilles ne sont frappées que des médisances, ses yeux que des ridicules qu’on lui montre avec tout l’art des plus grands maîtres.
Faut-il vous le rabattre Aux oreilles cent fois, & crier comme quatre ? […] ) avoit-il tort de dire : Pour avancer qu’aujourd’hui la comédie n’a rien de contraire aux bonnes mœurs, il faut donc que nous passions pour honnêtes les impiétés & les infamies dont sont pleines les comédies de Moliere, qui remplit tous les théatres des plus grossieres équivoque dont on ait jamais souillé les oreilles des Chrétiens.
Comment les sublimes leçons de la vertu arriveroient-elles pures dans les ames, tandis que l’organe qui les porte jusqu’aux oreilles sera vicié ?
Il faut qu’il soit intelligible & à la portée de tout le monde, autrement il ne serait pas naturel que ceux qui s’entretiennent pussent s’entendre, & l’on se lasserait de prêter l’oreille à ce qu’ils disent.
Si j’entreprens de vous en dissuader la frequentation, vous ne me sçauriez voir de bon œil, & ma morale ne flattera pas vos oreilles, puisqu’elle devra tendre à ne vous pas permettre, ce qui est si agréable à l’ouïe : & peut être l’esprit & le cœur s’y revolteront, puisque je serai obligé de les piquer en ce qu’ils aiment, & le Sage m’apprend, Ecclesiastici 22.
Ce branlement des mains et des pieds, cette évagationk et impudence des yeux, tous ses gestes, aussi blâmables que visibles, montrent qu’il y a quelque chose dans l’intérieur, qui répond au dérèglement extérieur : ceux qui font état de la modestie, fuient toutes ces occasions de dissolution ; après tout, quel plaisir trouve-t-on dans un divertissement qui lasse plus qu’il n’allège, et qui est aussi ridicule qu’il est honteux : Véritablement si l’extravagance ne s’était naturalisée dans nos mœurs, nous nommerions folie ce qu’on nomme gentillesse : et c’est à bon droit qu’on appelle des joueurs à ces assemblées, afin que l’âme étant occupée par l’oreille, les yeux ne s’offensent pas de tant de mouvements irréguliers, cela veut dire qu’une sottise en couvre une autre, ce qu’on appelle une école de gaillardise : c’est un apprentissage d’impudicité.
Ainsi l’on retranchera des anciennes Pièces laissées au Théâtre, toute action d’improbité ou libre, tout geste formant une image provocante, capable de réveiller trop vivement les passions ; toute expression propre à blesser l’oreille des honnêtes-gens ; toute idée obscène ingénieusement enveloppée. […] C’est-là qu’on pourrait faire renaître tous les genres de Danse en usage chez les Anciens ; qu’on exécuterait heureusement dans les entr’actes une précession de scène, qui peindrait en mimes expressives, ce que la Musique & la Poésie doivent ensuite rendre à l’oreille & parler à l’esprit. […] J’ai été surprise que dans Hamlet, on n’ait pas réalisé, sinon aux yeux, du moins à l’oreille, l’objet qui excite la terreur du jeune Prince. […] Nous avons une Musique si savante & si mystérieuse, qu’il faut des oreilles longtemps exercées pour en saisir seulement l’harmonie. En Italie, c’est autre chose, la Musique charme les oreilles grossières ; c’est la Musique charme les oreilles grossières ; c’est la Musique de la nature : ici, ce ne sont que des modulations artificielles.
J’ajoute que celui qui jouait Lucifer a pour nom Simon Vannerot, et que tous deux sont honnêtes enfants de belle expectation, jouissant encore aujourd’hui d’une pleine santé, sans avoir été ni peu ni prou atteints de maladie : de quoi te feront foi tes yeux et tes oreilles, si pour voir la laideur de tes mensonges il te prend fantaisie de t’en venir informer en cette ville. […] Les choses saintes, dit saint Jérôme, doivent être perçues, et par les yeux et par les oreilles.
Il ne faut donc qu’un peu de vrai Christianisme ; il ne faut qu’un peu de zèle pour son salut et pour celui des autres, afin de bannir ces ennemis de la vertu et de l’honnêteté : que Messieurs les Magistrats se donnent la peine d’entendre le Saint Esprit, qui leur parle et qui leur crie, « apprenez Juges, ouvrez, les oreilles, vous qui tenez sous votre autorité, les multitudes, et qui vous plaisez dans les pouvoirs que vous avez sur les Troupes, apprenez deux choses, la premières que toute votre puissance vient de Dieu, la seconde que ce même Dieu vous demandera compte de toutes vos œuvres, et fondera jusqu’à la moindre de vos pensées, par la raison que vous ayant établi les Ministres de son Royaume, vous n’avez point observé la Loi de la Justice ni marché selon sa volonté : ce qui fait qu’en peu de temps il vous apparaîtra d’une manière terrible, et vous fera demeurer d’accord que le jugement contre ceux qui président aux autres, sera effroyable » : Que répondra donc à Dieu le Juge qui aura contribué à la perte des âmes, par la permission injuste qu’il aura donnée à ces persécuteurs de la vertu ?
L A Grange-Chancel, à s’en rapporter à ce qu’il dit de lui-même dans la Préface de ses Œuvres, a été le génie le plus théatral qui fut jamais : Je ne savois pas lire que je savois rimer ; mon oreille étoit si fort accoutumée à l’harmonie des vers, que je connoissois les fautes qu’on faisoit en les lisant ; à peine commençois-je à lire, que j’avois toujours entre les mains des romans & des tragédies, & je pleurois à chaque aventure. […] Malgré tous ces retranchemens, il n’y reste que trop encore de morale lubrique, d’images lascives, de sentimens très-peu conformes aux bonnes mœurs, & fort déplacés, j’ose le dire, dans la bouche d’un sage & d’un Ministre, & dans les oreilles d’une grande Princesse.
Ces descriptions du berger & de la bergère, du moineau & de sa femelle, des déguisemens de sexe, ne font que réaliser le mot de Virgile en répandant le poison dans les oreilles & allumant le feu dans le cœur : Est mollis flamma medullas. […] Un autre trait qui caractérise cet Auteur, & qu’il nous fournit lui-même, c’est ce qu’il dit des obscénités imputées à la Colonie, & dont il l’excuse : Je n’ai jamais eu garde de penser qu’on pût hasarder aujourd’hui certaines plaisanteries ; jamais les oreilles ne sont si délicates que quand la dépravation des cœurs est montée à son comble.
On a beau leur dire, qu’il y a des jeux défendus, des spectacles et des assemblées dangereuses, ils tournent la tête, s’en moquent, se ferment les yeux, et se bouchent les oreilles pour ne point voir ni entendre toutes ces choses, qui leur déplaisent. […] Ils y voient un spectacle, qui flatte tous les sens, qui remplit leur esprit de vanités, qui amollit leur cœur par le son ravissant des violons et des instruments, qui flattent les oreilles, et qui charment et enlèvent l’âme par une douce et agréable violence.
Cet Auteur met encore cette différence entre les autres crimes et la Comédie ; que les premiers n’attaquent chacun qu’un de nos sens à la fois ; les pensées déshonnêtes par exemple ne souillent que l’esprit ; les regards impudiques ne se commettent que par les yeux ; les mauvaises paroles ne sont reçues que par les oreilles ; et lorsque l’un de ces sens est souillé et corrompu par le crime qui lui est propre, les autres en sont cependant exempts. […] Elle corrompt, dis-je, l’âme par les mauvaises pensées ; le cœur par les mauvais désirs ; les oreilles par les paroles déshonnêtes et équivoques, et les yeux par les regards lascifs et licencieux.
Le sens doit finir avec le vers : il est difficile de s’y méprendre, une oreille exercée les sent dans la prose même à la seule prononciation. […] Il faut satisfaire à l’esprit aussi-bien qu’à l’oreille, & ne s’adresser à l’imagination que peut arriver plus surement à l’ame. […] Toutes ces images parasites sont devenus insipides par un emploi trop répété, elles ne font que du ramage, sur le théatre plus qu’ailleurs, où on l’entend si souvent, à l’opéra où l’on n’en entend pas d’autre : c’est un gasouillement de serins qui redisent toujours la même chose, & satisfait l’oreille, mais non le cœur, & ne parvient pas jusqu’à l’ame.
Ses sons enchantent d’abord les oreilles ; mais ils la fatiguent, l’éxèdent, à force d’être continus.
Quant aux expressions dérivées de mots français, elles deviennent légitimes, dès qu’elles sont claires, agréables à l’oreille, & qu’elles abrégent la diction.
» Que les Prédicateurs et les Théologiens, frappés de ces exemples, ne cessent point de crier contre les Spectacles, tandis que l’Eglise lance ses foudres contre les Comédiens ; qu’ils représentent le Théâtre, comme l’école de l’impureté, la nourriture des passions, l’assemblage des ruses du démon pour les réveiller, où les yeux sont environnés d’objets séducteurs, les oreilles ouvertes à des discours souvent obscènes et toujours profanes, qui infectent le cœur et l’esprit.
Ce bruit vint aux oreilles de la Mère Angélique.
N’est-il pas veritable que c’est dans la comedie où le monde a ramassé tous les charmes & tout l’éclat de ses autres pompes, pour ébloüir vos yeux, pour enchanter vos oreilles, & pour fasciner tous vos autres sens. […] Helas, M. l’auriez-vous jamais crû, que dans l’état present du Christianisme, & que dans des villes bien policées on eût ouvert des écoles publiques pour y enseigner le vice, & pour y corrompre les bonnes mœurs ; comme si la nature gâtée comme elle est, jusques dans son fond, n’étoit pas une assez sçavante maîtresse pour enseigner toutes sortes de vices aux enfans ; cependant c’est ce qui se pratique tous les jours dans la comedie, où l’on enseigne non seulement l’art d’aimer, qui fit bannir autrefois un Poëte de Rome, mais encore l’art de commettre le peché avec esprit, & de conduire une intrigue avec adresse ; d’où il arrive que le poison de l’amour, aussi bien que celuy du plaisir, qu’Arnobe appelle, lenocinia voluptatum , venant à couler par les yeux & par les oreilles de ce jeune homme, & de cette jeune fille, il s’insinuera si avant dans leurs ames & dans leurs cœurs, qu’ils se rendront les veritables Acteurs de la piece, qu’ils ont vû representer par les Comediens, & feront qu’on verra dans le parterre ou dans la ville la scene de ce qui s’est joüé sur le theatre. […] Il nous sera encore moins permis de soüiller nos yeux, & nos oreilles en assistant à des spectacles qui sont institués pour honorer, non pas les Dieux de la gentilité, mais l’idole du monde ; car le sens du goût n’étant pas plus privilegié que celuy de la vûë & de l’oüie, il n’y a pas un moindre crime à assister aux pompes du monde, qu’à manger des idolotites, puisque l’un & l’autre est defendu, & que vous avez renoncés à tous les deux. […] De ce que des oreilles sont attentives trois ou quatre heures à entendre des vers empoisonnez, & cependant elles se lassent d’entendre pendant une heure la parole de Dieu ; de ce que des bouches qui ont été teintes du Sang de Iesus-Christ par le Sacrement de l’Eucharistie, sont profanées à applaudir à des crimes commis avec adresse, & representez avec esprit, de ce qu’un tems qui est si precieux, & qui nous est donné pour être employé au salut & à la penitence, est miserablement perdu dans des divertissemens criminels.
Or des paroles sales choquent autant l’oreille que ces vilains objets blessent la vue : car les paroles sont à l’oreille ce que sont à l’œil les couleurs et la surface des corps. […] Prêter l’oreille à de mauvais discours, c’est le moyen d’approuver bientôt le mal même. […] Or, que ce soit la langue, ou bien l’oreille qui serve d’organe au péché ; n’est-ce pas à peu près la même chose ? […] Au contraire, je ne doute pas que vous n’en frémissiez d’horreur, et que vous n’y fermiez aussitôt les oreilles. […] Que dirons-nous des gestes indécents qu’on offre à nos yeux, des expressions obscènes qu’on nous fait retentir aux oreilles, des sales images qu’on nous présente à l’esprit ?
» De tous les Droicts assez entends l’affaire » Pour exploicter sans long temps pretendu » Au fonds d’enfer je puisse estre pendu » Si en brief temps je ne fais des merveilles » Puis qu’il convient que je souffle es oreilles » Bien tost mourront les coquins de Jesus. » Lucifer aiant partagé entre les Diables ses commissions, Sathan lui parla de la sorte : » Voy Lucifer tous Dyables sont enclins » Par tours souldains mouvemens & declins » Dessus les champs leur deuoir tres bien faire, » Mais au depart pour mieulx nous satisfaire » Ta patte estends sur nos groings dyabolicques » Pour confermer nos esprits drachoniques » Que recevons pour benediction Là même, folio 5. verso.
Notre Candidat Littéraire commence à prêter l’oreille à mes discours.
Et ces oreilles, auxquelles retentit encore l’accord enchanteur d’une symphonie molle & séduisante, comment écouteront-elles le chant modeste des Pseaumes ? […] Des exemples généraux si je passe aux particuliers ; parmi les Auteurs sacrés, j’entends un Augustin qui se cite lui-même en témoignage ; & avec cette noble franchise, si digne d’un vrai Pénitent, avoue que c’est sur le théâtre qu’il respira par les oreilles & par les yeux tout le venin qui corrompit son cœur.
Les yeux sont les fenêtres du cœur, par le regard desquels la concupiscence est enflammée ; les oreilles des tuyaux par lesquels comme par un entonnoir ce venin mortel est instillé & entiné au cœur par le diable par le moyen des paroles lubriques. […] Je ne désespère pas que dans peu nous n’ayons d’autres nouvelles à vous donner ; pendant tout le souper qui suivit, elle rêva toujours, elle ne s’étoit point remise de ses agitations, la musique remplissoit encore ses oreilles.
Fermons l’oreille à ces conversations tendres, à ces discours licencieux, à ces équivoques recherchées, à ces médisances empoisonnées, à ces fades puérilités dont on s’amuse, souvent à ces grossieretés dont on ose ne pas rougir. […] Cette affaire parvint aux oreilles des camarades de Dubois.
Après une farce misérable entre Paillasse et un vilain homme habillé en Bohèmienne ; après quelques airs communs de tambour de basque ; après les exercices d’un petit garçon, de neuf ans, qui se met en boule, qui saute à la manière des carpes, qui marche sur la tête, qui tire l’oreille à son père, qui lui crache au nez &c. […] Une badine ou un gros bâton, un chapeau de forme bizarre, des bottines, une cravate énorme, un juste-au-corps étroit ou bien une redingotte immense, quelquefois des boucles d’oreilles, ainsi qu’en portoient les Perses, le peuple le plus efféminé de l’antiquité, voilà la manière de s’habiller de ces hommes perdus ; vous vous attendez bien que celle des femmes qui leur ressemblent n’est pas plus décente.
N’est-ce pas là que tout l’art s’épuise à raffiner les plaisirs, à faire entrer le luxe et la volupté, par les oreilles et par les yeux, pour en remplir l’âme, et pour les faire triompher ? […] Alors les pompes de Satan se déploient dans tout leur éclat, le goût de la parure et de la vanité se communique de rang en rang, les yeux s’ouvrent, ainsi que les oreilles, et le cœur reçoit la moisson de tout ce que la corruption a recueilli pour empoisonner les âmes.
Pendant vne heure que me dura la gloire que j’eus de parler à VOSTRE EXCELLENCE, qui voulut bien que je l’entretinsse de mes voyages en Alemagne, en Angleterre & au Nord, j’eus le temps, MONSEIGNEVR, de contempler cette haute mine, cet air graue & doux, ce teint vif, ces yeux pleins de feu, ce ton de voix qui charme l’oreille, cette action si belle & si degagée, & en general tout ce dehors admirable qui Vous attire d’abord de la veneration & de l’amour. Mais, MONSEIGNEVR, je dois áuoüer que ie ne m’arrestay pas tant à ce bel exterieur, à ce magnifique frontispice, qu’à ce que ie me promettois de la beauté du dedans, & sur la foy de mes yeux & de mes oreilles ie me confirmay entierement dans la creance que j’auois eüe en la foy publique, qui m’auoit depeint VOSTRE EXCELLENCE, comme vne des plus sages personnes de la Terre, & des plus éclairées dans les affaires de tous les Estats. […] Toutes ces especes du Poëme Dramatique se peuuent traiter en prose ou en vers : mais les vers asseurement, s’ils sont bien tournez, chatoüillent plus l’oreille que la prose, & donnent plus de grace & de force à la pensée. […] Mais enfin ces beaux spectacles ne sont que pour les yeux & pour les oreilles, ils ne touchent pas le fond de l’ame, & l’on peut dire au retour que l’on a veu & oüi, mais non pas que l’on a esté instruit. […] L’vn excelle dans vne belle & juste disposition du sujet, à bien soûtenir par tout le caractere de son Heros, à pousser l’ambition, la haine, la colere & toutes les grandes passions jusqu’où elles peuuent aller, à demesler la plus fine Politique des Estats pour la faire entrer en commerce auec l’amour ; & à donner enfin de la force à ses pensées par des vers pompeux & qui remplissent l’oreille de l’Auditeur.
Le Comédien n’est qu’un instrument dont le Poëte se sert pour nous communiquer ses idées, à peu-près comme on se sert d’un violon pour charmer les oreilles des sons les plus touchants.
Fesons en sorte qu’en entendant une Ariette champêtre, l’oreille soit frappée de nouveaux sons & d’accords èxtraordinaires, tels qu’on en forme dans les hameaux.
Vous auriez bien plus meilleure grâce de blâmer un sentiment criminel et des lâches transports que vos oreilles avaient entendus, que l’impiété de ce fils, que vous connaissiez pour imaginaire et pour chimérique.
Et toutes les âmes qui ont quelque crainte de Dieu, et quelque sentiment solide de piété, souhaitent ardemment que cette mauvaise coutume soit détruite et anéantie ; leur désir est bien raisonnable et bien juste ; car outre les maux fréquents et ordinaires, desquels nous avons auparavant parlé, nous en pourrions rapporter d’autres qui se rencontrent plus particulièrement dans les bals ou dans les danses qui se font dans les villes ; mais qui sont si étranges que les oreilles chastes et pieuses ne sauraient le souffrir.
Tout y concourt à séduire l’âme et à l’amollir : le cœur conduit par les oreilles et par les yeux, s’attache à tout ce qui le charme ; la raison, suspendue par tant d’enchantements, se tait.
J’eusse été bien content de ne plus paraître ici pour y faire montre de mon ignoranceb, laissant ce faix à ceux qui mieux versés que moi en l’éloquence, ou pour mieux dire, nourris en l’école de Mercure, savent par une exorde doucement fluide, concilier l’oreille des auditeurs, poussent vivement une narration bien suivie, confirment doctement et non pédantesquement toutefois leur dire de rares exemples, et enfin le concluent si subtilement qu’ils semblent en être sortis sans qu’on s’en soit aperçu.
La Comédie n’est-elle pas une occasion prochaine de manquer à tous ces enseignements salutaires, quand on y trouve tout ce qui peut plaire aux yeux, charmer les oreilles, toucher le cœur ? […] Les Prêtres doivent s’éloigner de tous les objets qui ne font que charmer les oreilles, et surprendre les yeux par des apparences vaines et pernicieuses ; et ils ne doivent pas seulement rejetter et fuir les Comédies, les Farces et les Jeux déshonnêtes : Mais ils doivent encore représenter aux Fidèles l’obligation qu’ils ont de les rejetter et de les fuir. […] Les Bals, les Danses, et telles Assemblées ténébreuses attirent ordinairement les vices et les péchés comme les querelles, les envies, les moqueries, les folles amours : et comme ces exercices ouvrent les pores du corps de ceux qui les font ; aussi ouvrent-ils les portes du cœur, au moyen de quoi si quelque serpent sur cela vient à souffler aux oreilles quelques paroles lascives, quelque muguetterie n, quelque cajolerie ; ou quelque basilic vienne à jetter des regards impudiques, des œillades d’amour, les cœurs sont fort aisés à se laisser saisir et empoisonner. […] L’Auteur de la Lettre aurait bien mieux fait, s’il avait employé son esprit et sa plume à détourner les Lecteurs de toutes les folies du monde, et à les porter à ne rechercher que les joies véritables du Ciel, et ces biens si excellents, que l’œil n’en peut voir la beauté, que l’oreille n’en peut entendre la douceur, et que le cœur de l’homme n’en peut concevoir le prix, À Dieu seul soit l’honneur et l’Empire dans tous les siècles des siècles.
Dans ce même Concile Provincial, il y a une défense particulière aux Ecclésiastiques d’assister aux Comédies : et la raison de cette défense peut aussi regarder tous les Chrétiens : « C’est de crainte, dit le Concile, que leurs yeux et leurs oreilles qui sont consacrées au Service divin, ne soient souillées par des actions et des paroles malhonnêtes et badines. » Tous les Chrétiens ne doivent-ils pas appréhender la même chose ? Leurs oreilles et leurs yeux n’ont-ils pas été consacrés dans le Baptême ? […] « Mille gens d’une éminente vertu et d’une conscience fort délicate, pour ne pas dire scrupuleuse, ont été obligés de m’avouer qu’à l’heure qu’il est la Comédie est si épurée sur le Théâtre Français, qu’il n’y a rien que l’oreille la plus chaste ne pût entendre. […] Il n’y a point non plus, « de personnes d’une éminente vertu, et d’une conscience fort délicate et scrupuleuse», qui puissent lui avoir dit des nouvelles de la Comédie, et l’avoir assuré « qu’à l’heure qu’il est tout y est si épuré, qu’il n’y a rien que l’oreille la plus chaste ne puisse entendre ». […] Mais on lui a fait assez voir la faiblesse de ses preuves ; et on lui soutient encore avec les plus habiles gens et les meilleurs connaisseurs, que dans les Comédies mêmes que l’on joue aujourd’hui, il reste toujours quelque chose de la première corruption des Spectacles ; qu’on y étale encore tout ce que le monde a de plus vain et de plus pompeux, qu’on y fait toute sorte d’efforts pour enchanter les yeux et les oreilles ; et qu’on n’y épargne rien de tout ce qui peut séduire le cœur par le remuement des passions, dont on fait jouer souvent les ressorts les plus fins sous de belles apparences de vertus : en sorte qu’un Comédien croirait avoir perdu son temps s’il n’avait causé quelque émotion et fait quelque brèche au cœur de ses Spectateurs ; et que les Spectateurs de même croiraient avoir perdu leur argent s’ils sortaient de la Comédie aussi froids qu’ils y sont entrés.
La Musique excite & attache notre attention comme la Poësie, par une espéce de langue qui lui est particuliere, & qui ne nous parle que par les rapports des sons : elle nous affecte encore plus que la Poësie, même par la douceur du nombre & de l’harmonie, qui n’a tant de charmes pour nous que parce qu’en ébranlant avec une justesse & une convenance parfaite les cordes de cet instrument naturel qui y répond dans nos oreilles, elle cause dans notre ame une émotion aussi douce qu’agréable ; elle frappe, pour ainsi dire, les ressorts de toutes les passions par des accords qui les excitent ou les rappellent : elle les justifie aussi en un sens & les authorise comme la Poësie dramatique, par la douceur qui est attachée aux dispositions qu’elle inspire dans l’ame, qui en s’y livrant a de la peine à croire que ce qui lui paroît si innocent & qui est si agréable, puisse jamais lui être funeste, ni qu’un plaisir dont elle fait son bonheur actuel, soit capable de la rendre moins parfaite. […] La Poësie n’est, à la vérité, qu’une peinture ; mais cette peinture est bien froide, lorsqu’au premier moment qu’elle frappe notre vûe, elle nous laisse assez de sang froid pour faire des comparaisons ; & pour bien juger de la fidélité du pinceau, il faut qu’elle nous tansporte dans le temps & dans le lieu où l’action s’est passée véritablement, que l’on croie la voir de ses yeux, l’entendre de ses oreilles, & il ne faut pas croire que notre ame refuse de se prêter à cette espece d’enchantement : elle s’y livre au contraire avec d’autant plus de plaisir que l’illusion de la Poësie est plus parfaite. […] Aussi l’Imitation qui se fait des rapports intelligibles par les nombres de l’Arithmétique, par les lettres de l’Algebre, ou même par les lignes de la Géométrie, trouve peu d’admirateurs, au lieu que la plûpart des hommes courent après celle des rapports sensibles qui se fait par la Peinture ou par la Poësie, parce que pour y exercer son jugement, il ne faut y porter que des yeux & des oreilles, avec une imagination vive & un cœur facile à émouvoir.
Quoi, parce que l’on aura donné à Britannicus une âme délicate, un amour pour Junie fondé sur le mérite, les grâces et les vertus de cette Princesse ; qu’on aura, dis-je, uni dans une âme généreuse ce sentiment louable à la fierté Romaine, il s’ensuivrait que ce Héros ne serait plus digne de l’oreille des sages ? […] Si cet homme pouvait justifier son Stoïcisme par des motifs aussi louables que ceux que j’exige, et si la pièce était assez bien faite pour prouver à tout le monde que, puisqu’on a les voies de la Justice pour se venger de l’injure, c’est se rendre aussi criminel que l’offenseur que d’anticiper sur les droits du Gouvernement en se faisant soi-même justice, il y aurait plus d’oreilles que vous ne croyez disposées à saisir les vérités de cette pièce. […] Paris, Garnier-Flammarion, 1967, p. 264 : « L'esprit est moins vivement frappé de ce que l’auteur confie à l’oreille, que de ce qu’il met sous les yeux, ces témoins irrécusables : le spectateur apprend tout sans intermédiaire. » q.
Au lieu de délivrer l’ame de la dépendance où elle est à leur égard, on multiplie ses liens par les Comedies & les Romans ; & on la contraint d’être toute dans les yeux & dans les oreilles.
Il faut des oreilles Russes pour supporter ce charivari, & des esprits Russes pour se plaire à voir défiler tout un jour des drapeaux déchirés, des tambours percés, un brancard fracassé, des charriots de munitions & des milliers de soldats captifs & désarmés.
(expression singuliere, mais vive, qui marque que le vice à la faveur du plaisir s’insinue dans l’ame par l’oreille, comme l’harmonie des sons, & que le théatre est un accord de traits séduisans, comme l’orchestre fait un chœur de musique).
Puisque nous ne pouvons juger que très-imparfaitement de Piéces qui étant composées pour le plaisir du cœur & la satisfaction des oreilles, produisoient leur effet par la Représentation, & qu’elles nous paroissent dans leur caractere comme dans leur forme si différentes des nôtres ; comment les comparer ensemble ?
Il ajoute que tous les combats des Grecs, soit pour l'exercice de chanter et jouer des instruments, soit pour éprouver la force du corps, n'ont point d'autres chefs que les Démons, et que tout ce qui plaît aux yeux, ou qui flatte les oreilles au Théâtre, n'a point d'autre sujet que le respect qu'ils ont voulu rendre à quelques fausses Divinités, ou à des morts.
Gardez-vous, dit-il, de fixer vos regards sur la beauté, sur la parure des femmes ; le désir suivrait de près, et le crime serait commis dans le cœur : « Jam mœchatus est in corde. » Gardez-vous d’écouter les douces paroles ni de souffrir les caresses empoisonnées d’un femme de mauvaise vie ; elle porterait le poison et la mort dans votre cœur, bouchez vos oreilles avec des épines, pour échapper à ses pièges : « Aures spinis sapiendæ, ut illecebras sermonis excludas. » Ce détail suffirait pour anéantir les spectacles, où sont réunis tous les dangers du vice.
Les oreilles chrétiennes ne pouvoient entendre qu’il fut permis d’aller à la comédie. […] Les discours, les regards, les lectures, les maintiens découvrent la nudité, décelent la corruption : le cœur s’exale par les yeux, les levres, les oreilles, la plume ; tout parle de son abondance, tout retrace sa phisionomie & ses traits.