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54. (1774) L’homme du monde éclairé « L’homme du monde éclairé » pp. 150-171

Je vous avoue, mon cher Comte, que la vie des petites villes est une vraie mort ; point de cafés, point de spectacles ; je me passe de l’un, mais je ne saurois me consoler d’avoir perdu l’autre. […] Non seulement les villes principales ont leur théâtre, mais toutes les cours, même dans leurs maisons de plaisance, entretiennent à grands frais des troupes de comédiens : elles les pensionnent ; elles honorent leurs jeux de leur présence ; elles daignent même quelquefois s’y mêler. […] Ajoutons que les pieces qu’on joue à la cour sont ordinairement plus châtiées que celles qu’on joue à la ville ; mais quand même ces pieces ne seroient pas dans les regles de la bienséance, pensons-nous que le prince qui les voit représenter veuille faire une loi de son exemple ? […] Au-delà comme au-deça des monts, le théâtre n’est que toléré, comme les femmes publiques, en plusieurs villes. […] La scene a beau se couvrir d’or & d’argent, c’est le rendez-vous de toute la mauvaise compagnie, & comme l’égoût d’une ville.

55. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 7 « Réflexions sur le théâtre, vol 7 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SEPTIÈME. — CHAPITRE VIII. Sentimens de S. Chrysostome. » pp. 181-192

Chrysostome a plus fortement & plus souvent que les autres tonné contre le théatre, parce qu’il a été plus à portée d’en voir les désordres a Antioche & à Constantinople, les deux villes du monde où ils ont le plus régné depuis que le Christianisme est monté sur le trône des Césars, malgré la piété des Empereurs & leur zèle à le réformer. […] C’est un très-grand mal dans les villes que le théatre, & c’est parce qu’il est grand qu’on ne le sent pas : Magna mala theatra in civitatibus, magna neque hoc scimus quia magna. […] Ainsi divertit-on les villes, & honore-t-on les Princes dans leurs victoires & leurs triomphes. […] Les Législateurs, les Magistrats peuvent permettre ces horreurs, & les villes y applaudir & s’en faire une fête ! […] Un Général d’armée attaque-t-il une ville qui s’est soumise ?

56. (1775) Voyage en Italie pp. 206-208

Mais depuis qu’on l’a enfermé dans des Villes où il y a tant de désœuvrés d’une part, et tant de gens trop occupés de l’autre ; ceux-ci ont besoin de spectacles, pour se délasser ; et ceux-là pour alléger le poids de leur existence. […] Ce qui le prouve, c’est la multitude des théâtres dans des Villes dont la plus peuplée est bien au-dessous de la population de Paris.

57. (1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [I] » p. 418

Aujourd’hui nous avons des Troupes de Comédiens sédentaires ; tels sont les Comédiens-Français, les Comédiens-Italiens, établis à Paris, sous l’autorité du Gouvernement ; plusieurs autres Troupes qui ont des Théâtres fixes dans les principales Villes du Royaume ; & les Comédiens qui courent les Provinces & s’établissent pour un temps dans nos Villes de la seconde grandeur : on les nomme Comédiens de Campagne.

58. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre troisiéme. — Chapitre III. But que le Spectacle moderne doit se proposer. » pp. 123-132

Or comme il y a trois sortes de vie ; celle des Grands dans la Cour des Rois, celle des Bourgeois dans les Villes, & celle des gens de la Campagne, le Théâtre aussi a reçu trois genres de Poèmes dramatiques, savoir, la Tragédie, la Comédie, la Pastorale ou la Satire. » Cette explication des divers genres de Spectacles pouvait être juste du tems des Grecs, mais elle ne l’est plus actuellement. […] Il ne ressemble en rien à la Pastorale, quoique son intrigue soit ordinairement champêtre ; elle ne nous peint que les amours des Bergers, au lieu qu’il nous représente tout à la fois les mœurs naïves des gens de la campagne & les actions du menu Peuple de nos Villes. […] La Comédie, plus douce dans son stile, plus simple dans sa marche, fait agir l’humble habitant des Villes ; elle donne des leçons à tous les hommes en général, & sur-tout aux particuliers.

59. (1781) Réflexions sur les dangers des spectacles pp. 364-386

Que la contagion de cet usage s’étende, comme elle s’étendra à coup sûr6, qu’elle s’asservisse les empires et les royaumes, que les troupes mimiques (il y en a aujourd’hui dans presque toutes les villes de l’Europe) s’emparent des enfans que des parens plus féroces que les ogres voudront leur abandonner : que fera l’Etat quand il faudra compulser la partie rédondante de la population pour renforcer ses légions, et repousser les ennemis de la patrie ? […] On verroit d’honnêtes commerçans gémir sur les fraudes et les vols multipliés dont ces troupes errantes affligent leur négoce ; emportant de toutes les villes où ils ont gesticulé, les fruits de l’industrie et de la sollicitude des hommes laborieux, morguant dans leur fuite le ressentiment de la justice, et jouissant par surcroît de sécurité d’un titre reconnu à la violation de tous les droits. […] Ce qui ne peut sans inconvénient s’anéantir par un coup d’éclat, succombe sans bruit à des atteintes multipliées… Dissimulant, par une humiliante nécessité, cette source de licence dans les grandes villes, empêchez qu’elle ne pénètre dans les petites où l’innocence et la gaieté, sa compagne fidèle, assurent aux habitans des amusemens sages et salubres…. […] Nos jeunes seigneurs ont établi des jeux de barre et des courses à pied dans les Champs élysées, promenade charmante, vaste et replantée depuis quelques années, à l’extrémité de la ville près du jardin des Tuileries. […] Je connois une ville où l’on a rasé un très-beau jardin, où l’on a ébranché jusqu’au sommet tous les arbres des promenades publiques, afin que le défaut d’ombre et de retraite quelconque, obligeât les oisifs à aller s’entasser au spectacle.

60. (1767) Réflexions sur le théâtre, vol 6 « Réflexions sur le théâtre, vol 6 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SIXIÈME. — CHAPITRE I. Faut-il permettre aux femmes d’aller à la Comédie ? » pp. 4-29

A la Chine, au Japon, dans toute l’Inde on voit des troupes nombreuses de Comédiennes courir de ville en ville, de maison en maison, jouer toutes les pieces qu’on leur demande, & après la piece rendre tous les services que l’on veut. […] Quelle peste dans une ville, quelle source intarissable de crimes que le théatre ! […] C’étoit le théatre de son temps dans la capitale ; c’est celui de tous les temps dans toutes les villes, par-tout on pourroit faire de semblables clefs. […] Les femmes font à Venise la fortune & la gloire des Gondoliers dans tous les théatres de cette grande ville. […] Il leur faut de la société : la compagnie y est des plus brillantes, la Cour & la ville y en réunissent l’élite.

61. (1744) Dissertation épistolaire sur la Comedie « Dissertation Epistolaire sur la Comedie. — Reponse à la Lettre précedente. » pp. 16-18

Nous avons la consolation, de voir dans la Ville, qu’il y a des Dames d’une vertu solide, qui nous édifient très-souvent, & qui sont si assidues aux devoirs de la Religion, qu’on les voit frequemment qu’elles s’approchent de la sainte Table : peutêtre il y a de ce nombre quelques-unes, qui pourroient dire ; tout ce que nous voions, tout ce que nous entendons, quand nous allons à la Comedie, nous divertit, & rien de plus ; du reste nous n’en ressentons aucune impression, & n’en sommes nullement touchées. […] Je me trouvai l’autre jour chez vôtre ami Monsieur *** Nous parlâmes sur le fatal present de la Comedie qu’on a fait à la ville : cependant, me dît-il, les fauteurs de la Comedie soûtiennent, que saint Thomas leur est favorable, en ce qu’il semble dire, que la profession des Comediens n’est pas mauvaise de sa nature, & que l’on peut même contribuer à leur subsistance, pourvû que ce soit d’une maniere moderée : j’aurois souhaité, que nôtre cher ami nous eût donné la solution à cette objection ; car quoique je sois convaincu, que cet Ange de l’Ecole n’a jamais approuvé les Comedies, telles qu’on les représente aujourd’hui ; cependant il faut le montrer à ces gens, qui se saisissent de toute couleur pour couvrir leur passion.

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