Rien de plus ignoble et de plus méprisé qu’un métier uniquement destiné et occupé à enseigner, à inspirer, à pratiquer tous les vices. […] que sont des Comédiens, que des marionnettes animées, et, qui pis est, mises en mouvement par le vice ? […] L’une est la gloire de la vertu, l’autre l’ignominie du vice ; l’une distingue avec honneur parmi les honnêtes gens, l’autre dégrade au-dessous de la canaille. […] L’exécution mercenaire par état, amuser le premier venu pour de l’argent, par des vices et des impertinences, fut toujours la fonction la plus mécanique et la plus vile. […] Lorsqu’il fut bien affermi sur le trône, et qu’il eut mieux connu les vices de cette engeance, il en purgea l’Italie.
L’odorat & les bonnes odeurs souillent l’homme de beaucoup de grands vices : Olfactu & attractu vaporum magnis homo inficitur vitiis. […] Le lac de misere, cette boue, cette ordure, ce cloaque où l’homme est plongé, représentent le pêcheur enfoncé dans le vice, il en est couvert, & s’y enfonce de plus en plus. Rien n’est plus sale que la corruption du péché ; il représente l’état du genre humain depuis le péché originel comme une fosse profonde où les hommes rouloient de vice en vice, d’erreur en erreur, mal extrême d’où le Sauveur l’a délivré par sa mort, & délivre chaque pécheur par la grace du Baptême & de la pénitence, espece de bain salutaire où tout est lavé. […] Le théatre est un cloaque de tous les vices & de tout ce qui leur sert d’aliment. […] Celles dont ils se parfument exhalent le vice, annoncent celles de l’enfer.
L’imagination est souvent blessée à nos spectacles, par la dissonance qui se trouve entre la personne & l’Actrice (le vice profane tout). […] Sans l’assaisonnement du vice s’y divertiroit-on ? […] Par le plus condamnable renversement elle se fait un jeu & du vice & de la veru. […] La vertu peu désirée s’enfuit, le vice peu redouté triomphe ; on lui prête même des armes, on lui suggère des prétextes : le vice n’est qu’une foiblesse, la vertu qu’un travail. […] Ce seroit un miracle de transformer le vice en vertu, la dissolution en sagesse, la galanterie en décence.
Mais le Théâtre fait revivre la morale des Payens : il décredite celle de l’Evangile, les vices sont déguisés sur la Scéne, ils y paroissent avec tout le cortége des graces, tandis que la vertu y fait un personnage ridicule : elle y devient un spectacle de risée. […] On y voit, dit Saint Augustin3, les images de nos miseres & de nos désordres4 ; c’est une peinture de la vie humaine où l’on représente au naturel ses vices & ses foiblesses. […] Les pompes du siecle & le germe de tous les vices. […] Nous ne nous proposons pas, dit M. de la Mothe en son discours sur la Tragédie, d’éclairer l’esprit sur le vice & la vertu, en les peignant de leurs vraies couleurs, nous ne songeons qu’à émouvoir les passions par le mêlange de l’un & de l’autre, & les hommages que nous rendons quelquefois à la raison, ne détruisent pas l’effet des passions que nous avons flattées.
LA Tragédie, Mademoiselle, que l’on supposoit gratuitement l’école des vertus en est donc bien plutôt la ruine, ainsi que la mere des vices : l’amour criminel s’y trouve annobli, c’est l’ambition, la vengeance & l’orgueil qui font les grands hommes. […] Je dirai tout autant de mal de la Comédie ; on s’est imaginé qu’elle reformoit les mœurs, en tournant le vice en ridicule : quelle étrange réforme est celle du Théâtre ! […] Le tableau que Corneille en a tracé est moins propre à décrier le vice, qu’à le rendre aimable. […] A présent tout s’y trouve conforme au génie délicat du siécle ; les portraits sont tirés d’après nature, il régne dans toute la piece une illusion séduisante ; le cœur qu’elle a le don d’intéresser, se suppose volontiers en la place des interlocuteurs, & puise des vices réels dans le spectacle des passions imaginaires.
Les peres & les meres sont obligez de défendre à leurs enfans d’aller à des Comedies si pernicieuses ; le crime s’insinuë dans l’esprit des jeunes gens avec le plaisir, & il s’attache aisément à une matiere molle, & plus disposée au vice qu’à la vertu. […] Un homme qui voit representer ces Pieces ressent en luy-mesme des mouvemens pour la vertu, & pour le vice selon les roles differens : il flote entre la vertu & le vice, quand les Acteurs recitent quelque chose d’indifferent. La suite de la Piece le porte à la vertu & au vice par des vers & par des gestes semblables aux precedens : ces mouvemens ne l’attachent ny à la vertu, ny au vice ; & il n’auroit pas moins de peine à se reconnoistre luy-mesme, s’il avoit le loisir de s’examiner, qu’à bien juger de la qualité de la Piece. La verité est qu’il n’est ny entierement porté à la vertu, ny entierement porté au vice, la verité est que ces deux mouvemens sont imparfaits, la verité est qu’ils sont tous deux desagreables à Dieu qui veut que nous soyons totalement attachez à la vertu, & que nous ayons un entier éloignement du vice. […] Les Conciles de Dieu soustiennent la verité, reforment les mœurs, condamnent & punissent les erreurs & les vices.
Quand on ne sent donc pas la même aversion pour les folles amours et les autres dérèglements que l'on représente dans les Comédies, et qu'on prend plaisir à les envisager, c'est une marque qu'on ne les haït pas, et qu'il s'excite en nous je ne sais quelle inclination pour ces vices, qui naît de la corruption de notre cœur. Si nous avions l'idée du vice selon sa naturelle difformité, nous ne pourrions pas en souffrir l'image.
Quand on ne sent donc pas la même aversion pour les folles amours, et les autres dérèglements qu'on représente dans les Comédies, et qu'on prend plaisir à les regarder, c'est une marque qu'on ne les hait pas, et qu'il s'excite en nous je ne sais quelle inclination pour ces vices, qui naît de la corruption de notre cœur. Si nous avions l'idée du vice dans sa naturelle difformité, nous ne pourrions pas en souffrir l'image.