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85. (1759) L.-H. Dancourt, arlequin de Berlin, à M. J.-J. Rousseau, citoyen de Genève « L. H. Dancourt, Arlequin de Berlin, à Mr. J. J. Rousseau, citoyen de Genève. » pp. 1-12

Le relâchement de l’esprit qu’il appelle une vertu se fait, dit-il, par des paroles et des actions divertissantes ; « or qu’y a-t-il de plus particulier à la Comédie, dit un habile Apologiste du spectacle, que d’amuser par des paroles et des actions ingénieuses qui délassent l’esprit ; ce plaisir est le plus louable lorsqu’il est accompagné de la part des acteurs et des spectateurs de cette vertu qu’Aristote nomme Eutrapélie, vertu qui met un juste tempérament dans les plaisirs. » S.  […] « Demander si les Spectacles sont bons ou mauvais en eux-mêmes, c’est faire une question trop vague ; c’est examiner un rapport avant que d’avoir fixé les termes. »e Point du tout : puisque par le mot de « spectacle » on n’entend ordinairement que ceux où des Auteurs ingénieux s’efforcent de punir le vice et de faire aimer la vertu, des Tragédies et des Comédies et non pas tous les autres spectacles frivoles qui ne font rien pour le cœur ni pour l’esprit : on peut donc alors avancer la question et conclure en faveur des spectacles. […] Voilà Monsieur les spectacles utiles qu’on doit autoriser : les Comédiens qui les exécutent, loin d’avoir des reproches à se faire, doivent se regarder comme les défenseurs de la vertu, aussi bien que les Auteurs dont ils sont les organes. […] Primo, le Théâtre est à votre avis l’école des passions, secundo, les Dames Françaises ont les mœurs des Vivandières et sont cause du peu de cas que l’on fait à Paris de la vertu.

86. (1819) La Criticomanie, (scénique), dernière cause de la décadence de la religion et des mœurs. Tome II « Résumé et moyens de réformation. » pp. 105-200

Comparez les temps et jugez ; vous verrez que plusieurs genres de tartufes ont disparu, à la vérité ; mais parce que les vertus qu’il affectaient ont disparu elles-mêmes, ou perdu leur considération après avoir été prostituées dans des portraits scéniques, où tous les excès monstrueux de l’hypocrisie ont frappé si fortement les esprits, ont fait tant de honte, excité tant d’horreur que pour éviter le reproche et même le soupçon d’hypocrisie, on s’en est éloigné jusqu’aux excès contraires, c’est-à-dire jusqu’à préférer l’évidence des désordres, la nudité des vices, ainsi que je l’ai déduit dans la première partie de cet ouvrage. […] Concluez donc avec moi qu’il faut que l’envie ou le besoin de rire ait bien du pouvoir sur les hommes pour les porter si obstinément, malgré l’épreuve du contraire qui les accable, à regarder comme propre à corriger les mœurs le moyen le plus puissant de tourner toutes les vertus en ridicule, de tout corrompre ! […] le ridicule, dis-je, appelle aussi l’attention du réformateur ; il doit être sagement circonscrit, et même souvent repoussé du théàtre comme punition injuste, sans proportion, et comme gratuitement cruel lorsque ses traits seront dirigés contre des défauts légers, qui n’excluent point la vertu et la sensibilité. L’importance de mieux régler l’emploi de ce fléau sur la scène, est d’autant plus grande, que non-seulement les méchants, mais aussi des auteurs très-estimables en ont fait l’usage le plus préjudiciable ; car, je le demande encore une fois aux plus grands partisans même de son utilité et de son indépendance accoutumée, l’auteur du Tartufe, qui, en considération du mal réel qu’il avait intention d’arrêter, du vice odieux qu’il voulait combattre, peut être justifié ou excusé d’avoir saisi l’arme du ridicule, tandis qu’un si grand nombre d’individus foulaient aux pieds avec scandale et paisiblement lès censures, la religion, toutes les vertus, et d’aller combattre d’abord ceux qui les recommandaient du moins à l’extérieur par des exemples et des discours ; et les combattre de manière encore à frapper également les bons et les méchants, à frapper ceux qui se cachaient de peur de scandaliser l’innocence et la vertu, comme ceux qui se cachaient seulement de peur d’être pris et pendus ; cet auteur, dis-je, est-il aussi excusable d’avoir employé cette arme cruelle dans ses critiques éclatantes et solennelles d’égarements, ou travers innocents qui accompagnent même les plus sublimes vertus, qui tiennent à la faiblesse humaine, lesquels n’ont pas plutôt disparu que d’autre les remplacent par une succession aussi nécessaire que celle des pensées frivoles qui assiègent continuellement les esprits forts et les faibles ? […] Il est nécessaire surtout que la religion, unie à la vraie philosophie, recouvre, par un miracle du courage et de la sagesse de ses organes les plus éclairés, et persuasifs par le langage et l’exemple de ces douces vertus que recommande le Dieu de bonté et de miséricorde qu’ils servent, oui, persuasifs par ces moyens ; car, loin de nous les vôtres, odieux inquisiteurs, furibonds fanatiques ; vous êtes épouvantables !

87. (1760) Critique d’un livre contre les spectacles « EXTRAIT DE QUELQUES PENSEES SAINES. Qui se rencontrent dans le livre de J.J. Rousseau contre le Théâtre, ou condamnation de son système par lui-même. » pp. 66-77

Théâtre [...] rend la vertu aimable…. […] savoir, l’esprit, le courage, ont seuls notre admiration ; et toi, douce et modeste vertu, tu restes toujours sans honneurs ! […] n’est point un Héros courageux, ce n’est point un modèle de vertu, on ne peut point dire non plus que ce soit un scélérat17 c’est un homme faible, et pourtant intéressant par cela seul qu’il est homme et malheureux. […]  » « Quand même on pourrait me disputer cet effet ; quand même l’on soutiendrait que l’exemple de force et de vertu qu’on voit dans Titus, vainqueur de lui-même, fonde l’intérêt de la Pièce, et fait qu’en plaignant Bérénice, on est bien aise de la plaindre ; on ne ferait que rentrer en cela dans mes principes : parce que, comme je l’ai déjà dit, les sacrifices faits au devoir et à la vertu, ont toujours un charme secret, même pour les cœurs corrompus : et la preuve que ce sentiment n’est point l’ouvrage de la Pièce, c’est qu’ils l’ont avant qu’elle commence.

88. (1715) La critique du théâtre anglais « CHAPITRE I. L’obscénité du Théâtre Anglais dans le langage. » pp. 1-92

Qu’il est dangereux de commettre de la sorte sa vertu ! […] que de pièges par eux inventés pour surprendre la vertu ! […] que l’extravagance a pris la place de la raison, le renversement celle de l’ordre, et le vice celle de la vertu ? […] Et comme Beaumont célèbre la modestie de Fletcher sur toutes choses, aussi est-il loué pour la même vertu par M. […] [NDE] La Rechute, ou la vertu en danger de John Vanbrugh.

89. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre IV.  » pp. 97-128

Une vertu qui n’exclud pas la volupté, & l’amour des femmes, est-elle une véritable vertu ? Est-il de vertu sans bonnes mœurs, & de bonnes mœurs sans pureté de corps & d’esprit ? […] Etrange vertu ! […] La vertu n’exclud pas l’amour des femmes : j’avoue mon erreur. […] C’étoit une déclaration de sa passion, & un eloge de sa vertu.

90. (1687) Avis aux RR. PP. jésuites « V. » pp. 23-26

On sait qu’il est permis dans le discours d’animer les vertus et les vices, et de donner un corps, une âme, un esprit, un visage, aux choses qui n’en ont point. […] Et chacun à mes pieds conservant sa malice, N’apporta de vertu que l’aveu de son vice. » Mais vouloir, comme on fait ici, représenter le souverain Etre, par un être réel et animé tel que Jupiter, c’est non seulement manquer de bon sens et d’équité, et violer toutes les règles de la piété et de la bienséance, mais c’est comme dit encore M. […] Pierre à tous les Evêques, … …non en dominant sur l’héritage du Seigneur, mais en vous rendant les modèles du troupeau par une vertu qui naisse du fond du cœur ».

91. (1715) La critique du théâtre anglais « PREFACE DE L’AUTEUR » pp. -

Certainement nos Dramatiques regardent la vertu comme leur grande ennemie : ils en ont donné des marques non équivoques en l’attaquant avec un acharnement incroyable ; et (ce que je ne puis avouer sans une extrême douleur) avec un succès aussi qui passe l’imagination. […] En effet, il ne faut pas attendre de l’homme qu’il réprime ses injustes penchants, ni qu’il renonce à ses plaisirs, quand nul motif ne l’engagera à se faire ces violences : il ne se mettra guère en peine de la vertu, si elle est sans récompense : la voix de la conscience ne l’inquiétera guère, si ce n’est qu’une idée en l’air, un fantôme, un effet de la mélancolie. […] Du moins, n’est-ce pas faire un insigne affront à la vertu et la mettre comme de pair avec le vice, que de revêtir des mêmes expressions ce qui est infâme et ce qui est honnête ?

92. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « LIVRE QUATRIEME. » pp. 1-3

Il n'est donc pas étonnant que ces trois grands mobiles des choses humaines se réunissent contre le théâtre, qui est le poison le plus dangereux des bonnes mœurs ; tout doit s'armer contre lui pour l'intérêt de la vertu. […] L'orgueil, l'avarice, l'ambition, la colère, la vengeance, le mensonge, la fraude, la mollesse, le luxe, la médisance, la paresse, etc. sont-ils donc des vertus ? […] Il s'en fait une vertu et un mérite ; c'est par là qu'il tâche de plaire.

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