« En certains lieux les Spectacles seront utiles pour rendre les gens riches moins mal-faisants ; pour distraire le peuple de ses misères ; pour lui faire oublier ses Chefs en voyant ses Baladins ; pour maintenir et perfectionner le goût quand l’honnêteté est perdue ; pour couvrir d’un vernis de procédés la laideur du vice ; pour empêcher, en un mot, que les mauvaises mœurs ne dégénèrent en brigandage. […] Pourquoi trouverions-nous un motif de honte dans un acte aussi indifférent en soi et aussi utile dans ses effets ? […] Pour rendre le Spectacle utile, il n’y a donc qu’à choisir les passions vertueuses.
La Tragedie est-elle utile ?
Ceux qui apprennent la danse, au moins pour les jeunes hommes, et pour les jeunes filles, et qui trouvent mauvais qu’on les condamne, disent que le bal donne souvent occasion à beaucoup de mariages, qui ne se contracteraient jamais autrement, d’où ils voudraient conclure que ces assemblées, non seulement ne sont pas mauvaises et illicites ; mais qu’elles sont même quelques fois utiles.
Il y a des divertissements plus utiles et plus décents que les spectacles. 136 Chap.
« Melius faceret Judæus in agro aliquid utile, quam si in theatro seditiosus existeret, et melius fœminæ corum die sabbathi lanam facerent, quam quod tota die in neomeniis suis impudice saltarent. » Exo. […] « Melius faceret Judæus in agro aliquid utile, quam si in theatro seditiosus existeret, et melius fœminæ corum die sabbathi lanam facerent, quam quod tota die in neomeniis suis impudice saltarent. »
Molière dans le plus grand nombre de ses Pièces a été imitateur, il n’a inventé que la moindre partie de son Théâtre ; j’observe donc que lorsqu’il a imité, si la source où il puisait n’était pas pure, ses Comédies ne sont pas assez correctes : et de là vient qu’il nous a donné plusieurs Pièces où les bonnes mœurs ne sont pas toujours régulièrement conservées ; au contraire lorsqu’il a inventé, il nous a fait connaître combien il était exact observateur des règles de l’honnête homme, en respectant les égards de la Société civile, et en ne donnant que des Pièces utiles pour la correction des mœurs. […] Les mœurs des hommes en général sont l’objet naturel de la Comédie qui les critique pour les corriger ; mais il y a pourtant une espèce de mœurs, que la Comédie ne saurait peindre sans se dégrader, et qui n’appartient qu’à la farce ; si l’on savait traiter comme il faut la bonne critique, et distinguer ce qui convient à la farce, on ferait des ouvrages fort utiles à la République.
Mais il y a chez tous les peuples des opinions respectables et utiles au Gouvernement que les Auteurs Dramatiques se gardent bien d’attaquer ; il faut louer leur sagesse et ne pas confondre avec les vices qu’on critique sans ménagement, les opinions qu’on respecte vu leur utilité, quoique ces opinions puissent quelquefois introduire certains abus dans les mœurs. […] Si cet orgueil est utile aux Anglais pour le maintien de leur Constitution, un Auteur Anglais aurait donc tort de le leur reprocher et de vouloir les métamorphoser en Philanthropes. […] Ceci vous prouve qu’on ne doit pas respecter si scrupuleusement les penchants du Peuple pour qui l’on écrit, il n’est question que de distinguer ceux qu’on doit ménager, et ce sont encore un coup ceux qui sont utiles aux vues du Gouvernement, on ne doit pas surtout prêcher le bonheur des Républicains à des peuples assujettis à la Monarchie, ni la supériorité de puissance des Monarchies sur les Républiques à des Républicains. […] Or il est aisé de prouver que l’usage que Molière a fait de ce goût, loin d’être préjudiciable, fut utile aux progrès de sa morale et l’on en doit conclure qu’il était bon en lui-même, et qu’il a dû le respecter. […] La scène d’un jeune homme, d’un caractère doux et bienfaisant, qui cependant, emporté par les fumées du vin, vient de jeter une assiette au visage d’un de ses meilleurs amis, contient des réflexions et en fait faire de si sensées à tous ceux qui l’écoutent ou qui la lisent, qu’on peut présumer que des scènes dans ce goût, et destinées à la même critique, feraient une impression très utile dans le cœur de nos ferrailleurs étourdis.
Puisque ces deux Passions portent les hommes à la vertu, Aristote n’a pu penser que la Tragédie les excite pour les purger, & la Tragédie ayant une fin utile, ne devient dangereuse que par la faute des Poëtes, & la nature des Représentations.