Il y a plus d’espérance pour les personnes, qui sont touchées des Spectacles, mais dont l’esprit n’est pas séduit ; qui sont faibles, mais qui l’avouent. […] Les pertes qu’on y fait, sont d’un ordre bien différent de celles qui touchent les sens. […] L’âme était déjà si languissante et si faible lors même que les objets étaient éloignés, et elle était si touchée de leur seule idée lorsqu’ils n’étaient présents qu’à sa mémoire ; que sera-ce donc quand sa faiblesse sera livrée aux passions des autres, et qu’elle sera assez imprudente pour admettre dans son cœur tant de mouvements étrangers, et assez aveugle pour savoir gré à tous ceux qui les lui ont inspirés ? […] Il est vrai que peu de personnes connaissent tout le danger des passions, dont on n’est ému que parce qu’on en est le Spectateur ; mais elles ne causent guère moins de désordre que les autres, et elles sont encore en cela plus dangereuses, que le plaisir qu’elles causent, n’est point mêlé de ces peines et de ces chagrins qui suivent les autres passions, et qui servent quelquefois à en corriger : car ce qu’on voit dans autrui touche assez pour faire plaisir, et ne le fait pas assez pour tourmenter.
Si le but de la comédie n’est pas de flatter ces passions, qu’on veut appeler délicates, mais dont le fond est si grossier : d’où vient que l’âge où elles sont les plus violentes, est aussi celui où l’on est touché le plus vivement de leur expression ? Mais pourquoi en est-on si touché, si ce n’est, dit Saint AugustinConfess. 3. 2. […] Si les peintures immodestes ramènent naturellement à l’esprit ce qu’elles expriment, et que pour cette raison on en condamne l’usage, parce qu’on ne les goûte jamais autant qu’une main habile l’a voulu, sans entrer dans l’esprit de l’ouvrier, et sans se mettre en quelque façon dans l’état qu’il a voulu peindre : combien plus sera-t-on touché des expressions du théâtre, où tout paraît effectif : où ce ne sont point des traits morts et des couleurs sèches qui agissent, mais des personnages vivants, de vrais yeux, ou ardents, ou tendres et plongés dans la passion : de vraies larmes dans les acteurs, qui en attirent d’aussi véritables dans ceux qui regardent : enfin de vrais mouvements, qui mettent en feu tout le parterre et toutes les loges : et tout cela, dites-vous, n’émeut qu’indirectement, et n’excite que par accident les passions ?
Il n’y a point de sujet qui mérite d’être plus attentivement considéré que celui duquel nous allons parler dans ce Chapitre, où nous ferons voir, et comme toucher au doigt, que ceux qui vont maintenant au bal s’exposent à beaucoup de périls d’offenser grièvement Dieu, et par conséquent pèchent mortellement. […] On s’y entretient familièrement ; on s’y touche l’un l’autre, au moins pour danser ; et on y vient encore fort ajusté, et avec pompe. […] Ecoutons le saint Esprit, qui nous apprend dans l’Ecriture le péril qu’il y a, non seulement de s’entretenir avec les personnes de différent sexe, ou de les toucher ; mais encore de les regarder ; et nous enseigne à même temps le soin exact que nous devons avoir d’en détourner nos yeux. […] et recommandable par sa doctrine et par sa piété, n’ose point exempter de la même faute, c’est-à-dire du péché mortel, ceux qui n’étant venus que comme forcés, ou par rencontre dans ces assemblées, s’y arrêtent avec danger d’y concevoir quelque mauvais désir, et d’être touchés de quelque affection dangereuse.
Il n’a pas dit un mot : mais il paraissait si touché ! si touché… Agathe le regardait avec surprise ; moi, je l’admirais… & je fesais plus encore.
Ces passions que le théâtre excite sont d’autant plus dangereuses, que le plaisir qu’elles causent n’est point mêlé de ces peines et de ces chagrins qui suivent les autres passions, et qui servent quelquefois à en corriger : car ce qu’on voit dans les autres touche assez pour faire plaisir, et ne touche pas assez pour tourmenter.
C’est un principe constant & puisé dans la nature du cœur, qu’on ne goûte de plaisir au Spectacle, qu’autant qu’il émeur, qu’il touche, & qu’il cause une espéce d’yvresse. […] Augustin, il ne touche, il n’enchante que parce qu’on voit, qu’on sent dans la passion réprésenté Conf.
Y a-t-il personne qui ne soit mille fois plus touché de l’affliction de Sévère lorsqu’il trouve Pauline mariée, que du martyre de Polyeucte ? […] Il continue par saint Augustin, qui remarque dans le troisième Livre de ses Confessions, Chapitre 2. qu’encore qu’il n’y ait rien que de feint dans les Représentations, l’on ne laisse pas de prendre part à la joie de ces Amants de Théâtre, lorsque par leurs artifices ils font réussir leurs impudiques désirs ; qu’on ne prend pas de plaisir dans les Comédies si l’on n’y est touché de ces aventures Poétiques qui y sont représentées, et dont cependant on est d’autant plus touché, que l’on est moins guéri de ces passions. […] Il ajoute qu’elles donnent du dégoût pour toutes les choses saintes, et surtout pour les saintes Ecritures, parce que la nature corrompue n’y trouvant rien qui la flatte, elle s’en dégoûte, et préfère injustement ces Vers et ces Chansons misérables, qui touchent et entretiennent ses passions, aux vérités que ces Livres saints lui découvrent et qui condamnent ses dérèglements. […] Et s’ils chantent, il faut, dit saint Augustin, que ce soit des Psaumes, des Hymnes et des Cantiques spirituels, afin que par le plaisir qui touche l’oreille, l’esprit encore faible s’élève dans les sentiments de piété, et qu’etant plus ardemment touché de dévotion par les chants animés de la parole divine, il reçoive avec plus de respect et de douceur les vérités qu’elle renferme et s’en occupe plus utilement.
Je suppose que quelqu’un des Spectateurs aura par préférence été touché en voyant représenter le Cid de l’impétueux transport du Comte de Gormas, et qu’en conséquence il conservera un mouvement d’indignation contre ce Comte ; un autre au contraire s’en retournera pénétré de la généreuse compassion qu’il aura ressenti pour Rodrigue lorsqu’il apprend l’insulte faite à son père : un troisième enfin animé par le courage de Rodrigue, remportera du Théâtre des sentiments de vengeance. Voilà trois Spectateurs agités de trois différentes passions : et je conviens que leur agitation subsistera pendant quelque temps en se calmant successivement et peu à peu ; mais après deux ou trois heures au plus, tous ces mouvements s’apaiseront et la tranquillité reviendra aussi parfaite qu’elle était avant qu’ils allassent au Théâtre ; par malheur la même chose n’arrivera pas à ceux qui auront été vivement agités et touchés de la malheureuse catastrophe de la tendre passion que Chimène et Rodrigue ressentent l’un pour l’autre.