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3. (1777) Des Spectacles « Des Spectacles. » pp. 75-92

Le Spectacle n’est plus un amusement vide, et oisif ; c’est un assemblage vif et séduisant de tout ce qui peut plaire, qui ne tend qu’à enchanter l’esprit et les sens par mille charmes, et à attendrir le cœur par tout ce que les passions ont de plus fin et de plus insinuant. […] On y fait avec éclat et avec succès des leçons publiques de galanterie, de fourberie, de vengeance, d’ambition ; on y apprend à conduire habilement une intrigue ; à éluder la scrupuleuse vigilance des parents ; à surprendre par mille ruses la bonne foi ; à ne tendre jamais à faux des pièges à l’innocence ; à se défaire en habile homme d’un concurrent ; à se venger à coup sûr d’un ennemi ; à élever sa fortune sur les débris de celle d’autrui, et tout cela en habile homme. […] Quels sentimens auraient eu des fidèles, les Païensm êmes, s’ils avaient vu qu’avec cette loi si pure, si sainte, si parfaite, qui condamne jusqu’à la pensée du mal, qui oblige de tendre sans cesse à la perfection, ces fidèles eussent eu besoin d’un commandement particulier, pour n’aller pas aux spectacles ? […] Comme l’amour est la passion dominante du théâtre, il est aisé de comprendre à quelles fins tendent toutes ces plaintes amoureuses, et tous ces recits tendres qui s’y font. De jeunes personnes qui se font un point d’honneur de plaire, et qui sont gagéesb pour exprimer de la manière la plus vive une passion ; des gens qui n’ont d’autre gloire que de se distinguer sur un théâtre, en inspirant la passion qu’ils expriment ; des voix douces et insinuantes, accompagnées de mille manières séduisantes, mêlées de paroles tendres, et de vers composés avec art, pour inspirer l’amour ; tout cet assemblage prodigieux de dispositions, et de choses, dont la moindre, prise séparément, est une tentation, ne sera tout au plus, au sentiment des mondains, qu’un amusement indifférent, un divertissement licite et innocent des gens du monde.

4. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre XI. De l’amour & de ses impressions dans le Poéme Tragique. » pp. 165-178

Il n’y a point de Lecteur un peu instruit, qui ne préfére le tendre pere d’Iphigénie, suspendu entre l’obéissance dûe aux Dieux & le cri de la nature, à un jeune orgueilleux, qui prétend tout soumettre à sa passion. […] Dans toutes les piéces tendres on voit toujours un Prince aimé, & qui rencontre des obstacles à son bonheur, ou un Prince qui n’est pas aimé, & qui se resout à tout pour gagner un cœur qui se refuse à ses vœux. […] « L’Auteur des représentations en Musique leur annonce une décadance certaine, si au lieu d’exprimer les savantes manieres & les grandes passions en quoi les anciens excellerent, on ne faisoit que des chansons tendres, des petits airs, & de semblables bagatelles. […] On n’en voit guére qui soient à la fois extrêmement tendres & extrêmement ambitieux.

5. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « VIII. Crimes publics et cachés dans la comédie. Dispositions dangereuses et imperceptibles : la concupiscence répandue dans tous les sens.  » pp. 30-40

où il est prescrit d’éviter « les femmes dont la parure porte à la licence : ornatu meretricio : qui sont préparées à perdre les âmes, ou comme traduisent les Septante, qui enlèvent les cœurs des jeunes gens, qui les engagent par les douceurs de leurs lèvres » : par leurs entretiens, par leurs chants, par leurs récits : ils se jettent d’eux-mêmes dans leurs lacets, « comme un oiseau dans les filets qu’on lui tend » g. […] Qui saurait connaître ce que c’est en l’homme qu’un certain fond de joie sensuelle, et je ne sais quelle disposition inquiète et vague au plaisir des sens qui ne tend à rien et qui tend à tout, connaîtrait la source secrète des plus grands péchés. […] Le spectacle saisit les yeux, les tendres discours, les chants passionnés, pénètrent le cœur par les oreilles.

6. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE V. Du principal motif de la Réformation du Théâtre. » pp. 49-58

C’est là qu’ils entendent parler de toutes sortes de matières, qui peuvent ou exciter leur curiosité, ou développer les germes de leurs passions ; et c’est là que, dans un âge encore si tendre et si susceptible des impressions du vice, ils commencent à le connaître et à se familiariser avec lui. […] Si les Anciens ont poussé l’attention, sur cet article, jusqu’à défendre de réciter aux enfants des fables et des contes, qui renfermassent la moindre idée capable de les corrompre : s’ils ne ne permettaient pas même de les amuser par des allégories ; c’est qu’ils sentaient que les premières impressions, qui se font dans l’esprit des enfants, ne s’effacent jamais ; et que, dans un âge tendre, ils n’ont pas encore assez de pénétration pour distinguer l’allégorie de la vérité. […] Si donc ce qu’ils ont entendu tend à la corruption des mœurs, ils remporteront de ce Spectacle les impressions les plus pernicieuses.

7. (1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Troisième Lettre. De madame d’Alzan. » pp. 25-27

monsieur d’Alzan est tendre, sensible ; & ce n’est plus moi qu’il aime ! […] Je vois que j’afflige une épouse estimable, qui n’en est pas moins tendre, pas moins occupée de mon bonheur.

8. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « IV. S’il est vrai que la représentation des passions agréables ne les excite que par accident.  » pp. 10-18

Si les peintures immodestes ramènent naturellement à l’esprit ce qu’elles expriment, et que pour cette raison on en condamne l’usage, parce qu’on ne les goûte jamais autant qu’une main habile l’a voulu, sans entrer dans l’esprit de l’ouvrier, et sans se mettre en quelque façon dans l’état qu’il a voulu peindre : combien plus sera-t-on touché des expressions du théâtre, où tout paraît effectif : où ce ne sont point des traits morts et des couleurs sèches qui agissent, mais des personnages vivants, de vrais yeux, ou ardents, ou tendres et plongés dans la passion : de vraies larmes dans les acteurs, qui en attirent d’aussi véritables dans ceux qui regardent : enfin de vrais mouvements, qui mettent en feu tout le parterre et toutes les loges : et tout cela, dites-vous, n’émeut qu’indirectement, et n’excite que par accident les passions ? Dites encore, que les discours, qui tendent directement à allumer de telles flammes, qui excitent la jeunesse à aimer comme si elle n’était pas assez insensée, qui lui font envier le sort des oiseaux et des bêtes que rien ne trouble dans leurs passions, et se plaindre de la raison et de la pudeur si importunes et si contraignantes : dites que toutes ces choses et cent autres de cette nature, dont tous les théâtres retentissent, n’excitent les passions que par accident, pendant que tout crie qu’elles sont faites pour les exciter, et que si elles manquent leur coup, les règles de l’art sont frustrées, et les auteurs et les acteurs travaillent en vain. […] Dites, que tout cet appareil n’entretient pas directement et par soi le feu de la convoitise ; ou que la convoitise n’est pas mauvaise, et qu’il n’y a rien qui répugne à l’honnêteté et aux bonnes mœurs dans le soin de l’entretenir ; ou que le feu n’échauffe qu’indirectement ; et que, pendant qu’on choisit les plus tendres expressions pour représenter la passion dont brûle un amant insensé, ce n’est que « par accident » c, que l’ardeur des mauvais désirs sort du milieu de ces flammes : dites que la pudeur d’une jeune fille n’est offensée que « par accident », par tous les discours où une personne de son sexe parle de ses combats, où elle avoue sa défaite, et l’avoue à son vainqueur même, comme elle l’appelle.

9. (1697) Histoire de la Comédie et de l’Opéra « HISTOIRE ET ABREGE DES OUVRAGES LATIN, ITALIEN ET FRANCAIS, POUR ET CONTRE LA COMÉDIE ET L’OPERA — CHAPITRE II. » pp. 19-41

La cinquième Classe, est une Exposition des sentiments des Jurisconsultes, qui comparent les Comédiens à des chasseurs dangereux par leurs pièges, puisqu’ils tuent les âmes par leurs discours tendres, comme les chasseurs tuent les bêtes à la chasse ; ils sont aussi de l’avis que la Comédie est défendue, et que d’y assister est un péché mortel. […] Del Monaco assure que tous les Auteurs qu’il a lus sur ce sujet sont du sentiment qu’il y a péché mortel pour les Comédiens, parce qu’ils disent des paroles équivoques, et se servent d’expressions tendres ; parce que les femmes jouent avec les hommes sur le Théâtre ; parce qu’on y traite des intrigues d’amour ; parce que quoiqu’on les dise réformées on les rend agréables, et ainsi opposées à la pureté du cœur, commandée aux Chrétiens. […] Telle est la Comédie sur le papier : on y voit le corps des passions sans âme mais il y a beaucoup de personnes d’un tempérament si tendre, que la lecture des Comédies et des Romans les enflamme facilement : c’est pourquoi ces lectures sont défendues. […] Dans le troisième Chapitre, il nomme les Supérieurs auxquels il faut s’adresser, savoir les Papes, les Prélats et les Princes ; il conclut qu’il serait et plus sûr, et plus utile de défendre absolument les Spectacles, que d’entreprendre de les modérer : car pour modérer et purifier les Spectacles, il faut bannir les expressions tendres, et les sujets qui regardent l’amour des femmes. […] D’où il conclut que les Comédies de ce siècle ne se jouant jamais sans femmes, sans expressions tendres, capables de donner de mauvaises pensées, et qui excitent souvent un amour déréglé ; il faut dire que les Comédies ne sont pas des jeux honnêtes, mais très criminels et très dangereux.

10. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 7 « Réflexions sur le théâtre, vol 7 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SEPTIÈME. — CHAPITRE I. De l’Amour. » pp. 4-29

Les pieges n’y sont pas moins tendus aujourd’hui, on n’y enlève pas moins de cœurs. […] Toujours galans & passionnés, souvent très-libres, voix les plus efféminées, chant le plus tendre, tout retient, tout chante ces vaudevilles, ces ariettes, ces récits. […] L’Empereur leur donne des noms brillans ou tendres pour exprimer leurs talens, sous lesquels elles sont connues (combien de nos Actrices en ont aussi !). […] Si par hasard on découvre quelqu’une de ces unions tendres, elle est l’objet de la plaisanterie, on en fait un spectacle comme d’un ridicule dangereux. […] Elles n’aiment pas moins les hommes, ne leur tendent pas moins de pièges, triomphent des passions qu’elles inspirent, veulent être de tout.

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