Il y déploroit amèrement la rigueur de son sort qui le tenoit éloigné d’une Souveraine qu’il avoit tant aimée : Moi qui avois accoutumé à la voir aller à cheval comme Alexandre, chasser comme Diane, se promener comme Vénus, semblable à une Nymphe dont les beaux cheveux se jouent au gré du vent sur ses joues vermeilles, chanter comme un Ange, toucher la lyre comme un Orphée, &c. […] Le Courrier d’Avignon (Avril 1768) nous dit : « La comédie, pour être trop à la mode en France, y a le sort de toutes les autres modes ; elle dégénère, & tombe en roture.
Dans tout l’Orient une femme ne sort de chez elle que voilée : Ces femmes Payennes vous jugeront, dit Tertullien ; elles cachent si bien leur visage qu’elles ne laissent qu’un œil ouvert : Uno oculo liberato contentæ sunt dimidiâ luce frui quàm faciem prostituere. […] Non : si elle se connoît, elle ne le tient pas à quelqu’un qui la connoisse, Fût-elle un prodige de chasteté, son indécence la rendroit suspecte aux yeux de tout le monde, & à ses propres yeux ; la confiance en sa vertu la lui seroit perdre, la présomption fait négliger toutes les mesures ; plus on s’expose au danger, moins on est en état d’en sortir avec succès.
Soit qu’il ait reçu quelque ordre de le composer, soit qu’il n’ait écouté que son goût ou son intérêt, cet éloge perpétuel des Grands, souvent avec fadeur, presque toujours avec excès, les met, comme des Divinités, si sort au-dessus des atomes qui naissent dans la foule des êtres, qu’on ne peut les voir qu’avec admiration & frayeur. […] On ajoute qu’à défaut des Acteurs ou Actrices, les Actionnaires, leurs femmes & enfans se sort chargés dans le bail de remplir les rôles.
Si nous lui fesions le même accueil qu’en Allemagne, il est probable que nous la verrions bientôt sortir de l’obscurité.
Remarquez encore ici en passant, que ce genre de Spectacle, plus contraire sans doute au Christianisme que la belle Comédie, n’est pas attaqué par les Misomimes avec le même acharnement : ils le traitent d’amusement permis : c’est ainsi qu’à Rome, à côté de la sage & modeste Comédie des Roscius & des Virginius, on vit les licencieuses Atellanes, qui seules ne deshonoraient pas leurs Acteurs ; non-seulement la Jeunesse, mais toute la Ville se passionna pour ce genre, qui corrompit enfin la bonne Comédie ; craignons le même sort.
Il paraît néanmoins qu’alors il n’était un péché pour personne, puisqu’on avançait l’heure des offices, afin qu’au sortir du lieu saint, tous les fidèles y pussent assister.
J’eusse été bien content de ne plus paraître ici pour y faire montre de mon ignoranceb, laissant ce faix à ceux qui mieux versés que moi en l’éloquence, ou pour mieux dire, nourris en l’école de Mercure, savent par une exorde doucement fluide, concilier l’oreille des auditeurs, poussent vivement une narration bien suivie, confirment doctement et non pédantesquement toutefois leur dire de rares exemples, et enfin le concluent si subtilement qu’ils semblent en être sortis sans qu’on s’en soit aperçu.
Suivant cette idée, Monsieur, je me contenterai quelquefois de montrer le ridicule des preuves que notre Docteur apporte pour justifier la Comédie, et quelquefois aussi j’entrerai dans une discussion plus sérieuse, particulièrement lorsqu’il sortira de sa sphère ; et qu’en voulant trop faire l’habile homme, il abusera de l’autorité de l’Ecriture et des Pères de l’Eglise : car alors il faudra le démasquer, et ne pas souffrir qu’il impose aux idiots. […] « Ils crieront plus fort que jamais, dit Tertullien, mais ce sera en déplorant leurs propres misères» : « Tunc magis Tragœdi audiendi, magis scilicet vocales in propria sua calamitate. » Voilà, selon Tertullien, quel sera le sort des Comédiens qui n’auront pas fait pénitence : et que l’on juge après tout cela si notre Docteur a eu raison de faire dire à Tertullien que la Comédie était une chose indifférente, et qu’elle n’était pas plus mauvaise que le fer, les herbes et les Anges. […] J’ai jusqu’à présent un peu harcelé notre Docteur, parce qu’il sortait de sa sphère en contrefaisant un peu trop l’habile homme, et en faisant tenir aux Pères de l’Eglise et aux Auteurs Ecclésiastiques un langage qui ne leur convenait pas, et qui aurait pu imposer aux idiots. […] Mais on lui a fait assez voir la faiblesse de ses preuves ; et on lui soutient encore avec les plus habiles gens et les meilleurs connaisseurs, que dans les Comédies mêmes que l’on joue aujourd’hui, il reste toujours quelque chose de la première corruption des Spectacles ; qu’on y étale encore tout ce que le monde a de plus vain et de plus pompeux, qu’on y fait toute sorte d’efforts pour enchanter les yeux et les oreilles ; et qu’on n’y épargne rien de tout ce qui peut séduire le cœur par le remuement des passions, dont on fait jouer souvent les ressorts les plus fins sous de belles apparences de vertus : en sorte qu’un Comédien croirait avoir perdu son temps s’il n’avait causé quelque émotion et fait quelque brèche au cœur de ses Spectateurs ; et que les Spectateurs de même croiraient avoir perdu leur argent s’ils sortaient de la Comédie aussi froids qu’ils y sont entrés. […] [NDE] L’en tirer = le sortir de sa peine.