En venant de voir jouer Phedre ou Tartuffe, on n’est plus le même, on est tout étonné de se trouver plus indulgent pour les scélérats, plus rigoureux pour les saints.
ce sont les doctes pucelles, Saintes, divines, immortelles, Les chastes vierges, les neuf sœurs, Qui viennent en notre Province, Admirer et chérir un Prince Qui se nourrit de leurs douceurs.
Leur faiblesse n’est point une autorité dans l’Eglise, qui n’est point dirigée par des exemples pervers, mais par les saints canons qui sont l’œuvre du Saint-Esprit : « canone regitur Ecclesia et non exemplo », dit un évêque de Noyon à Louis XIV.
Parcourons les Livres Saints ; tout y commande la fuite du monde et de ses dangers. […] Les Saints Pères ne sont pas moins énergiques. […] En vain se persuade-t-on, d’après une calomnie malheureusement accréditée, que des Confesseurs approuvent ou tolèrent ce genre de plaisir, et voient avec tranquillité leurs pénitents venir des Spectacles au Tribunal de la réconciliation, et passer de la Table sainte aux Spectacles… Point de règle plus fausse que de juger de la morale des Confesseurs par la conduite des pénitents. […] Ce n’est pas qu’il n’y ait des délassements et des plaisirs qu’on peut appeler indifférents : mais les plaisirs les plus indifférents que la Religion permet, et que la faiblesse de la nature rend même nécessaires, appartiennent en un sens à Jésus-Christ, par la facilité qui doit nous en revenir de nous appliquer à des devoirs plus saints et plus sérieux : Tout ce que nous faisons, que nous pleurions, que nous nous réjouissions, doit être d’une telle nature, que nous puissions du moins le rapporter à Jésus-Christ, et le faire pour sa gloire » « Or, sur ce principe, le plus incontestable, le plus universellement reçu, de la Morale chrétienne, vous n’avez qu’à décider. […] « Il faut, dit Madame de Sévigné, des personnes innocentes, pour chanter les malheurs de Sion, et des âmes vertueuses, pour en voir avec fruit la représentation. » D’ailleurs, ces pièces saintes, de quelles autres pièces ne sont-elles pas ordinairement suivies ?
Il est vrai que ce n’est pas d’aujourd’hui, que ce Moine réformé a donné l’essor à sa méditation frénétique, pour choquer cette profession ; Mais la connaissance que tout le monde a de son mérite augmente d’autant plus sa réputation que son ignorance essaie d’en diminuer le prix : Ce qui m’a le plus étonné ça a été qu’après avoir lu son libelle, intitulé (le Théâtre du Monde) par lequel il prétend assujettir la liberté de notre Vie ; J’ai trouvé qu’il était de la nature deb ces écrevisses, où il y avait plus à éplucher qu’à prendre, que ses arguments étaient des galimatias, et qu’il savait mieux débiter une invective, qu’enseigner une doctrine, faire le Rabelais, que le Théologien, que les passages qu’il a tirés de l’Ecriture sainte, étaient des allégories ou métaphores, pour amuser ceux des petites maisons de Paris, que les allégations des Docteurs qu’il produit contre la Comédie, ont si peu de rapport à son sujet, que j’ai honte que le public soit témoin de la faiblesse de son jugement. […] A La Rochelle pendant la Mairie du Sieur des Herbiers, se représenta une Tragi-comédie tirée de l’histoire Romaine, dans le Collège où avaient été autrefois les Prêtres de Sainte Marguerite, où il y avait grand nombre de Spectateurs, et plusieurs Ministres, entre lesquels je reconnus le Sieur Salbert, La Chapelière, le Blanc, et Bonis. […] Ce qui m’étonne d’avantage, c’est de voir que celui, qui devrait avoir une domination de raison, sur les impétueux mouvements de son esprit, le laisse emporter à des licences qui sont non seulement indignes d’un Chrétien, mais même d’un Athée, que celui (dis-je) qui doit donner un calme et une tranquillité à la partie imaginative de son âme, et régler ses écrits à la dignité de sa vocation, s’altère l’esprit contre une chose que tout le monde approuve ; Je suis fâché qu’un Religieux qui doit être le miroir de soi-même pour servir d’exemple à la piété, ne résigne plutôt les affections de son cœur à des actions saintes, qu’à se jeter sur les invectives.
Pour donc prouver quelque chose, et pour satisfaire à la première condition, d’abord il faudrait montrer, ou qu’il ne soit pas nuisible d’exciter les passions les plus dangereuses, ce qui est absurde ; ou qu’elles ne soient pas excitées par les délectables représentations qu’on en fait dans les comédies, ce qui répugne à l’expérience et à la fin même de ces représentations comme on a vu ; ou enfin que Saint Thomas ait été assez peu habile pour ne sentir pas qu’il n’y a rien de plus contagieux pour exciter les passions, particulièrement celle de l’amour, que les discours passionnés : ce qui serait la dernière des absurdités, et la plus aisée à convaincrez par les paroles de ce saint, si la chose pouvait recevoir le moindre doute.
Je supplie Dieu, frère très cher, qu’il te tienne toujours en sa sainte grâce.
Je réduis toutes vos armes à un seul bouclier, qui sera une sainte et généreuse résolution, de ne jamais assister à ces vilaines comédies.