Si c’est être fou que de rire sans sujet, c’est bien pis de rire contre toute sorte de raison. Une vraie matière de rire à des personnes de bon sens et de bon goût, c’est de voir la friponnerie et la méchanceté tournées en ridicule. […] Sérieusement, si l’on ne cherche qu’à rire sans se soucier pourquoi l’on rit, je ne vois pas que ce soit là un fort grand plaisir. Un homme qui a perdu l’esprit ne rit de tout son cœur que parce qu’il est fou : la frénésie même et la fièvre chaude peuvent tellement remuer le diaphragme qu’elles excitent le ris à un malade. Est-il quelqu’un néanmoins qui souhaitât de rire à ce prix ?
Un Manant ridicule est le plaisant objet Qui rassemble Paris : honteux je me retire, Et laisse mes Badauds qui se pâmaient de rire. […] Telle dans ces jardins d’où l’œil au loin découvre, On voit dans le Printemps la Vénus de nos jours, Sous un berceau de myrthe assembler les Amours, Pour surprendre Zéphire au lever de l’aurore, Sur le sein d’une fleur, qu’il vient de faire éclore ; Les Grâces et les Ris accompagnent ses pas ; La fraîcheur du matin ajoute à ses appâts ; La Nature sourit en la voyant si belle, Et Zéphire la prend pour une fleur nouvelle ; Mais où court mon esprit ? […] Mais tout change ; et je vois trompant leurs surveillants, A l’aide d’un Valet, intriguer deux amants ; Sous le masque des Ris, la fine Dangevilleq , Jouer d’après nature, et la Cour et la Ville ; Tantôt d’un jeune objet servant la passion, Ecarter un témoin qui n’est point de saison ; L’instant d’après, Coquette ou Bourgeoise à la mode, D’un mari tout uni faire un époux commode ; Ou lorgnant un Galant, retirée à l’écart, Pour lui rendre un poulet, minauder avec art ; Soubrette inimitable, adroite, gaie, unie, Pour la peindre en trois mots, rivale de Thalier, Cette immortelle Actrice est seule sans défauts ; Dumesnil a ses jours, et Grandvals des égaux ; Là, j’aperçois Gaussin t, cette charmante Actrice Déguisée en Agnès, d’un air simple et novice, Exprimer ses désirs par sa tendre langueur, Et peindre dans ses yeux les miracles du cœur ; Retrouver dans l’Oracle une mine enfantine, Ou du Comte d’Olban triompher dans Nanineu. […] Ainsi dans ces jardins embellis pour te plaire, Qu’on prendrait pour Paphos, Amathonte, ou Cythère ; Couppée, ac quand un regard lancé de tes beaux yeux, A donné le signal d’un combat amoureux ; Sous ces ombrages frais, asiles du mystère, Sur un lit de gazon qui touche à la fougère, Tu suis un Prince aimable, et les jeux, et les ris, Tandis que chaque mois, pour cinq fois dix louis, D’un paillard impuissant, Poupone avec adresse.
Ils ont même donné des règles pour exciter le Ris. […] Que deviendrait enfin cette propriété de rire qui se retrouve en l’homme à la distinction des autres animaux, s’il ne se rencontrait quelque objet légitime pour donner exercice à cette puissance : C’est selon l’avis de GUILLOT-GORJU pour cette raison que nous estimons fous et insensés ceux qui rient pour rien et sans aucun sujet légitime : Si on veut donc condamner le plaisir de la Comédie, il faut aussi désapprouver le plaisir du Cours, des promenades, du récit gracieux des Histoires, de la Musique, des Tableaux et mille autres récréations qui ont été inventées, pour assaisonner les actions de la vie. […] La douce violence qu’elles souffrent de ne pouvoir rire autant qu’elles voudraient est le seul mal qu’elles peuvent objecter aux Comédiens. […] Autrefois les Comédiens n’étant pas si parfaits et excellents dans leur art, ils ne tenaient pas les yeux et les oreilles des spectateurs attachés, ce qui était cause qu’on se divertissait quelquefois à autre chose, mais la modestie est si grande à présent, et on est tellement ravi des bonnes pensées et de belles conceptions de la poésie que chacun se tient dans sa loge, comme des statues dans leur niches, et les Dames y sont si retenues, que c’est tout ce que peut faire le Gros-Guillaume que leur apprêter à rire.
Thomas, qui de son temps ne connoissoit autre chose, & tous les gens de bien avec lui, ont pu tolérer ces amusemens maussades, plus propres à dégoûter qu’à séduire, aujourd’hui abandonnés au peuple, que ces bouffonneries font rire sans conséquence. […] Quand la comédie réguliere fut établie à Rome, il y vint de l’Istrie, province voisine, aujourd’hui de l’Etat de Venise, plusieurs de ces bouffons qui couroient les rues pour faire rire la populace, ayant à leur tête un nommé Ister, ce qui leur fit donner le nom d’Histrions. […] Qu’on cherche la moindre preuve de gravité dans ces bouffonneries, ces ris immodérés, cet excès de passion, cette ivresse de plaisir, ce ravissement du chant, cet éblouissement des décorations, cette espèce d’extase où l’homme hors de lui-même, absorbé dans ces objets, n’est occupé que de ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il sent dans ces momens de plaisir : Gravitas totaliter relaxatur. […] Thomas, défend non-seulement les choses & les paroles absolument déshonnêtes, turpiloquium, mais encore les folies qui peuvent provoquer au mal, Stulti loquium ad malum provocans, & enfin les bouffonneries, scurrilitas, des paroles où l’on cherche trop à rire & faire rire, verbum joculatorium. […] Bernard nous dit : Il est indécent de rire aux éclats, & plus encore de faire rire les autres : Fœdè ad cachinnos moveris fœdius moves.
A l’égard de la Comédie, où vous dites qu’il feroit rire tout au plus. […] Ne rit-on pas souvent de ce qu’on méprise ? […] Je ne ris point de la fourberie en elle-même, je ris de la maniere ingénieuse dont elle se trâme et; dont elle s’exécute. […] Lecteur, j’en ris. […] S’il n’est pas goûté, du moins fera-t-il rire.
sans doute que celui-là nous a laissé cet exemple, que nous lisons avoir pleuré, mais que nous ne lisons point avoir ri ; et l’un et l’autre pour nous, car les pleurs sont la componction du cœur ; le ris est la corruption de la discipline. Malheur à vous qui riez, pource que vous pleurerezfy : Vous êtes bienheureux vous qui pleurez, pource que vous rirez. […] Si notre ris n’est mêlé d’impuretés et de forfaits. […] Ne pouvons-nous pas nous réjouir et rire, si nous ne faisons que nos joies et ris soient autant de crimes ? Pensons-nous qu’une joie simple soit infructueuse, pour ne nous plaire à rire, sinon en offensant Dieu ?
Le plaisir de la Comedie est fondé sur le rire : il s’agit de sçavoir si le rire est une faculté vicieuse. […] Sur nos Theatres, jamais la vertu n’a fait rire : je ne dis pas seulement les honnêtes gens ; mais même ses plus grands ennemis, ceux qui s’en sont éloignés par leurs déreglemens. Lorsqu’un homme sincere & crédule est trompé par un fripon ingénieux, on rit, non de sa candeur qui est respectable, mais du défaut de lumieres qui l’a fait tomber dans le piége. […] Rien de plus froid que les scenes où cette femme criminelle est seule ; le rire ne s’éveille que lorsque son mari est témoin des affronts qu’elle lui fait. […] Ce froid badinage doit vous apprendre, ainsi qu’à vos lecteurs, combien le rire vous est étranger, il vous fait faire la grimace ; & si l’on rit, ce n’est pas certainement d’une aussi mauvaise plaisanterie.
Rien de plus facile, il ne faut ni de grands tours d’éloquence ni de raisonnemens bien médités, il ne faut que faire devant eux ce qu’ils font, & on les voit aussi-tôt crever de rire. Pour rire des choses du monde, il faut en quelque façon en être dehors, & la comédie vous en tire, elle vous donne tout en spectacle comme si vous n’y aviez point de part ; la nature nous a donné une merveilleuse facilité à nous moquer des autres & de nous-mêmes dans le temps qu’une partie de nous fait quelque chose avec ardeur & emportement, une autre partie s’en moque, & souvent une troisième se moque de toutes les deux. […] De le pleurer en récompense, Impossible est quand on y pense ; A ce qu’il souloit faire & dire, On ne peut s’empêcher de rire. Que dis-je, on ne le pleure point, Si, fait-on, & voici le point : On en rit si fort en mains lieux, Que les larmes viennent aux yeux ; Ainsi en riant on le pleure, Et en pleurant on rit à l’heure. Or, pleurez, riez votre saoul, Tout cela ne lui sert d’un sou.