La Musique était indispensable, puisque le Pantomime était accompagné par des instrumens ; l’Histoire ne l’était pas moins, pour se conformer aux mœurs du Personnage que le Pantomime représentait ; la Philosophie, & les connaissances qui en dépendent devaient orner l’esprit d’un homme, destiné à procurer aux autres la chose la plus précieuse & la plus difficile, du plaisir. […] Ce qui paraîtra surprenant, c’est que ces Comédiens qui entreprenaient de représenter des Pièces sans parler, ne pouvaient pas s’aider du mouvement du visage dans leur Déclamation ; ils jouaient masqués, ainsi que les autres Comédiens. […] Macrobe raconte, que Pylade se fâcha un jour qu’il jouait le Rôle d’Hercule furieux, de ce que les Spectateurs trouvaient à redire à son geste trop outré, suivant leurs sentimens, & qu’il leur cria, après avoir ôté son masque, « Foux, que vous êtes, je représente un plus grand fou que vous. » Après la mort d’Auguste, l’art des Pantomimes reçut de nouvelles perfections* : sous l’Empereur Néron, il y en eut un qui dansa, sans Musique instrumentale ni vocale, les Amours de Mars & de Vénus. D’abord un seul Pantomime représentait plusieurs Personnages dans une même Pièce : mais on vit bientôt des Troupes complettes, qui exécutaient également toutes sortes de sujets, Tragiques & Comiques. […] Nous ne sommes peut-être pas capables de décider sur le mérite de gens que nous n’avons pas vu représenter ; mais nous ne pouvons pas révoquer en doute le témoignage de tant d’Auteurs de l’antiquité, qui parlent de l’excellence & du succès de leur art.
la Tragédie ayant été comme une même chose, avaient eu même nom au rapport d'Athénée, et se nommaient toutes deux Comédie, et que nous avons insensiblement imité cette façon de parler, comprenant sous ce nom de Comédie toute sorte de Poèmes Dramatiques ; et sous celui de Comédiens tous ceux qui font profession de les représenter en public. […] dit qu'elle commençait toujours par l'honneur des Dieux, et que c'est un sentiment de Religion de nommer le Théâtre un Temple ou un Sanctuaire et la procession qui se faisait dans Athènes aux Bacchanales pour sacrifier à Bacchus le Bouc dont on avait honoré le Poète vainqueur en la dispute de la Tragédie, était estimée si religieuse, que Plutarque se plaint de ce que la pompe orgueilleuse de son temps avait corrompu la simplicité de son origine ; Car il n'y avait au commencement qu'une cruche pleine de vin, et un cep de vigne au-devant du Bouc, suivi de celui qui portait une corbeille pleine de figues, avec quelques marques de l'impudence de cette superstition ; mais par le cours des années la pompe en était devenue si superbe, que sans s'arrêter aux vieilles cérémonies, on y voyait une infinité de gens masqués, grand nombre de vases d'or et d'argent, de riches habits et des chariots magnifiques, dans la croyance qu'ils honoraient ainsi plus dévotement que leurs aïeux cette Divinité chimérique : Et comme l'institution et la célébration de Jeux du Théâtre n'avait point d'autre fondement que la dévotion des Païens envers leurs Dieux, ils y ont presque toujours représenté leurs personnes, et les miracles qu'ils avaient faits. La musique y chantait d'ordinaire les belles actions des Demi-Dieux, et les grâces que les hommes en avaient reçues ; la Danse les représentait en diverses postures convenables à ce que l'on en croyait. […] même qu'un Histrion, qui avait entrepris de danser le personnage de Jupiter, fut puni pour avoir agi de mauvaise grâce, et n'avoir pas assez dignement soutenu la Majesté de ce Dieu qu'il représentait. […] « Sors que vous êtes, je représente un furieux. » Mais sans rechercher d'autres preuves de l'usage religieux des Tragédies et des Comédies, il leur faut attribuer toute la superstition des autres Spectacles ; Car quand les Auteurs écrivent que les Jeux de Théâtre étaient donnés au peuple par les Magistrats, et qu'ils n'en désignent point quelque espèce particulière, il y faut presque toujours comprendre les représentations des Poèmes Dramatiques, qui n'en furent guère séparées dans les derniers temps, et les témoignages des bons Auteurs que nous rapporterons dans la suite de cette Dissertation, autoriseront encore ces vérités.
Il est vrai, Monseigneur, (et j’ai trop de respect pour vous pour rien imposer) qu’étant en Province où je fis la Comédie d’Esope, un bon Curé, qui peut-être n’avait jamais ouï parler de la Comédie que dans son Rituel, qui faisait une bonne partie de sa Bibliothèque, fit scrupule de me donner l’absolution, et enfin ne me la donna qu’à condition que je m’informerais à de plus habiles Gens que lui, si je pouvais en sûreté de conscience la faire représenter. […] Je n’avais garde de la lui demander, sûr qu’il ne me l’accorderait pas : mais, comme j’ai d’autres Pièces à faire représenter, et entre autres Esope à la Cour, que je suis prêt de soumettre à la Censure la plus austère, je me flattai que les Auditeurs me seraient plus favorables si je leur faisais voir que les Pères et les Canons qui ont détesté les Comédies détestables n’ont point prétendu interdire les divertissements honnêtes, et, pour ainsi dire, plus capables de corriger les mœurs que de les corrompre. […] 1 » Il est donc vrai, Monseigneur, que le Pape avait un Théâtre où sa Sainteté occupait la première place, l’Empereur la seconde, et le Doge de Venise la troisième : Eh qu’y pouvait-on représenter de plus beau, de plus pur, et, si je l’ose dire, de plus profitable que les Pièces de Corneille et de Racine ? […] Que voit-on sur le Théâtre du Monde qui, à proprement parler, ne soit Comédie : et que de Personnages y fait-on, à quoi il ne manque que le nom de Tartuffe pour être les Originaux, dont celui qu’on a représenté n’est que la Copie ? […] En Espagne et en Portugal, où l’Inquisition est si sévère, ne représente-t-on pas des Comédies : et parmi des Peuples où la moindre peccadille envers la Religion est souvent un crime irrémissible, ces Spectacles seraient-ils permis s’il était vrai qu’ils fussent si pernicieux ?
Il s’ensuit de là qu’il faut représenter d’une autre manière l’orgueil devenu extérieur par la parole, et l’orgueil qui demeure dans le cœur. […] Ce n’est pas qu’il y ait des méchants qui parlent ce langage aux autres, mais c’est qu’ils parleraient de la sorte s’ils parlaient selon le fond de leur cœur, que ces paroles nous représentent. […] C’est que les deux vers du Cid, n’ayant été tournés en ridicule que parce qu’ils représentent un orgueil fort grossier, incivil et trop peu déguisé, ils sont par cette raison même assez propres pour exprimer l’orgueil intérieur tel qu’il est dans le fond du cœur où il ne se déguise point. […] Il s’agissait en ce lieu là, non d’exprimer ce que l’on dit effectivement quand on est piqué de jalousie, mais de représenter le dépit intérieur que l’on sent quand on nous préfère quelqu’un à cause de son mérite.
On est presque tenté de croire, chaque fois que la Scène change, qu’on va représenter une nouvelle Pièce. […] L’homme de goût ne va point à la Comédie pour admirer des toiles peintes ; mais pour contempler l’action sérieuse ou enjouée qu’on y représente. […] Tous les Drames Chinois renferment donc un détail circonstancié des avantures & tous les discours du Héros qu’ils veulent représenter. […] Je n’aurais jamais fini, si j’entreprenais de faire passer en revue tous les Drames Burlesques-chantans dont la durée de l’action égale celle du tems qu’on la représente. […] Divers incidens forment une grande action ; pour la représenter, il faut la peindre avec ses circonstances ; voilà ce qu’on appelle unité d’action.
Car c’est un tableau où sont représentées des histoires ou des fables pour divertir, et plus souvent pour instruire les hommes en les divertissant et en les délassant de leurs occupations sérieuses. […] Je réponds à cela qu’il est constant que ces Rituels et les Canons de ces Conciles n’en veulent qu’aux Comédiens qui jouent des Pièces scandaleuses, ou qui ne les représentent pas assez honnêtement. […] C’est une marque assurément que ni l’Eglise, ni la Cour, n’ont rien reconnu dans les Comédies, telles qu’on les représente aujourd’hui, qui puisse empêcher en conscience les Chrétiens d’y assister. […] Ecole dangereuse pour la jeunesse, qui s’accoutume avec autant de plaisir à laisser croitre dans son cœur de véritables passions, qu’à en voir représenter de feintes sur le Théâtre ! […] » Faut-il aussi faire cesser la Comédie qui sert aux hommes d’un honnête divertissement, parce qu’on y représente des Fables avec bienséance et modestie, et qu’il se trouve quelqu’un qui ne peut pas les voir sans ressentir en soi les passions qu’on y représente ?
« […] quel jugement porterons-nous d’une Tragédie où, bien que les criminels soient punis, ils nous sont représentés sous un aspect si favorable que tout l’intérêt est pour eux ? […] Je m’amusais quelquefois à les représenter avec des jeunes gens de mon âge, et nous nous en acquittions assez bien pour que le rapport qu’on en fit à M. de Voltaire l’engageât à vouloir bien nous honorer de ses conseils. […] Nous représentions Mahomet, j’y jouais le rôle de Séide, et les suffrages de notre Auditoire présagèrent à mon ami M. […] Lekain représentait le rôle de Mahomet avec tout le feu, l’énergie et la dignité qui pouvaient paraître miraculeux dans un jeune homme qui n’avait encore chaussé le Cothurne que trois ou quatre fois pour s’amuser. […] Il faut avoir le cœur bien corrompu, pour estimer les Catilina tels que M. de Crébillon et M. de Voltaire nous les représentent.
Afin de réussir dans ce dessein, il a choisi tous les passages des anciens Pères, particulièrement de Tertullien, de saint Cyprien et de saint Jean Chrysostome, qui condamnent les Spectacles à cause de l’Idolâtrie que l’on y représentait. […] » Dans le troisième Synode de Milan, il ordonne aussi aux Prédicateurs de reprendre avec force ceux qui suivent les Spectacles, et de ne pas cesser de représenter aux peuples, combien ils doivent les avoir en exécration, et d’employer les preuves tirées de Tertullien, de S. […] L’application de ces conditions est aisée à faire à la Comédie, où l’on dit des paroles équivoques, où l’on raille le prochain, enfin qu’on représente malgré la défense et les censures de l’Eglise. L’Auteur s’étend fort au long sur tout cela, et il prouve par un autre endroit de saint Thomas, que bien loin d’approuver la Comédie, il a dit dans la 2. 2. q. 167. art.2. ad.2. « Que l’assistance aux Spectacles devient mauvaise, en ce qu’elle porte l’homme aux vices d’impureté et de cruauté, par les choses qui y sont représentées. […] Novembre, sont d’avis que telles Comédies ne peuvent être sans péché mortel en ceux qui les représentent, et en ceux qui y contribuent.