Puissé-je de mes yeux voir tomber cette foudre, Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre; Voir le dernier Romain en son dernier soupir, Moi seule en être cause, et mourir de plaisir. » Si l'on dépouille l'image de cette passion de tout le fard que le Poète y prête, et qu'on la considère par la raison, on ne saurait rien s'imaginer de plus détestable que la furie de cette fille insensée, à qui une folle passion fait violer toutes les lois de la nature. […] Que s'il n'est pas permis d'aimer les vices, peut-on prendre plaisir à se divertir dans des choses, qui nous apprennent à les aimer ?
Puis-je de mes yeux voir tomber cette foudre, Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre; Voir le dernier Romain en son dernier soupir, Moi seule en être cause, et mourir de plaisir. » Si l'on dépouille l'image de cette passion de tout le fard que le Poète y prête; et qu'on la considère par la raison, on ne saurait s'imaginer rien de plus détestable que la furie de cette fille insensée, à qui une folle passion fait violer toutes les lois de la nature. […] Que s'il n'est pas permis d'aimer les vices, peut-on prendre plaisir aux choses qui ont pour but de les rendre aimables ?
a-t-elle pu être assez insensible aux malheurs publics, à ceux du Souverain, pour jouer des comédies au milieu des larmes, du sang, des incendies, et arracher par l’amorce du plaisir de la bouche du peuple le morceau de pain qu’il avait à peine pour vivre ? […] Les grands Seigneurs de Rome faisaient tous les frais, le peuple n’était pas obligé d’acheter ces plaisirs. […] Ces frais immenses ne furent point à charge aux citoyens, qui même y entraient gratuitement, sans avoir de péages à payer à la porte ; on ne vendait pas le plaisir, on ne le faisait pas payer aux pauvres. […] Autre source de dépense aussi ruineuse, c’est le goût de la parure, du luxe, de la dissipation qu’il inspire, les débauches, les repas, les parties de plaisir qu’il occasionne, non seulement avec les Comédiens avec qui l’on se lie, mais encore avec les gens qu’on y mène ou qu’on y trouve. […] On va rarement seul à la comédie, rarement on en revient seul ; le jeu, les repas, les parties de plaisir la suivent, on y fait des connaissances, et quelles connaissances !
Molière s’est dit à lui-même, au moins je me l’imagine : « Les Français sont naturellement portés aux plaisirs : est-ce un mal que d’aimer le plaisir ? […] On a substitué les Cafés aux cabarets : les plaisirs d’une société mi-partie entre les hommes et le Sexe, le goût des concerts, des cercles amusants et des soupers délicats, aux débauches grossières et aux défis d’ivrognerie qui étaient autrefois à la mode. […] Pourquoi son rôle fait-il tant de plaisir ? […] quel est Monsieur le cœur assez barbare pour prendre plaisir à ce dernier spectacle ? […] Le Public prend aujourd’hui tant de plaisir à l’y voir que ce serait lui faire une injure grossière que de lui remettre sous les yeux les absurdités saintes et les impudicités que des spectateurs imbéciles admiraient jadis de si bonne foi.
Jean Cardinal de Medicis fils du fameux Laurent fut élévé dans les plaisirs, l’opulence, le luxe & le faste des Medicis, qui l’emportoient sur les plus grands Princes, & par ce moyen parvint à la plus haute fortune. […] réduisit à quatre, les cent inutiles Estafiers qu’il s’étoit donné, & tout le reste de sa maison à proportion ; il s’abandonna à tous les plaisirs. […] Aimer les plaisirs, les farces, les bouffonneries, protéger les courtisans, les bouffons & les comédiens, est-ce aimer & protéger les sciences ? […] Ce goût frivole a si bien pris dans cette nation livrée au plaisir, qu’il s’y est soutenu à travers les miseres & la barbarie des siécles d’ignorance. […] Les comédiens Italiens jouent ordinairement masqués, ils rendent mieux par-là, le caractère de l’acteur, & y trouvent un plaisir plus piquant.
Dans la chaîne des plaisirs qui sont le tissu de sa vie, il passe du lit à la table, de la table au jeu, du jeu au Théatre. Charmé de pleurer avec Andromaque, ou de rire du Misantrope, il n’a garde de bannir les plaisirs qu’il dit honnêtes par des réflexions sombres. […] Le plaisir cruel qu’on prend à voir des exécutions, des désordres a quelque chose d’incroyable, qui répugne à l’humanité. […] Tel est le plaisir qu’on goûte dans les Tragédies, le plaisir barbare des maux d’autrui. […] Le corps d’un drame tragique n’est qu’un tissu de crimes & de fureurs ; le Théatre de Melpomene est un cirque, une place de Greve ; le plaisir brutal, un plaisir d’Iroquois qui voit brûler un homme : ce qui a fait la réputation de Crébillon.
Sa victoire passagere, dépendoit des applaudissemens du Peuple, & il ne pouvoit les attirer qu’en jettant ce Peuple dans une grande émotion, par la vivacité de l’Action ; il songeoit donc plutôt à peindre les Passions dans toute leur fureur, qu’à chercher ces finesses de l’Art, que l’Art sait cacher pour donner à l’esprit le plaisir de les chercher, par cette adresse à développer les ressorts du cœur humain, par cette délicatesse de sentimens, & toutes ces beautés, qu’on ne découvre pas dans une premiére lecture, loin qu’on en puisse être frappé dans la premiere Représentation. […] Notre Tragédie sans doute est plus propre que celle des Grecs à faire les délices de l’Esprit, elle est plus faire pour être lue que pour être représentée : cependant la Poësie Dramatique n’a pas été dans son origine, destinée à être lue, mais à être représentée : elle n’eut pas pour objet le plaisir de l’Esprit, mais celui du Cœur, qui consiste à être dans l’émotion. […] Ce n’est donc point par les peintures des mœurs, par la délicatesse des sentimens, par les pensées ingénieuses, que la Tragédie produit son plus grand effet : & les Grecs, qui dans tous les Arts destinés au plaisir excellerent sur les autres Nations, pour leur gloire & pour leur malheur, puisque leur Passion pour les amusemens frivoles, fut enfin la cause de leur ruine, eurent la véritable idée de la Tragédie, quand ils y donnerent tout au Pathétique & à la vivacité de l’Action. […] Lorsqu’Achille avec ses soldats pleure Patrocle, sa Mere Thétis, au lieu d’essuyer leurs larmes, excite en eux la facilité de pleurer, ce qu’ils appellent un plaisir, Τεταρπωμεσϑα γέοιο : leurs armes sont arrosées de leurs pleurs, & le sable du rivage en est trempé, [Iliade 22.] […] Puisque nous ne pouvons juger que très-imparfaitement de Piéces qui étant composées pour le plaisir du cœur & la satisfaction des oreilles, produisoient leur effet par la Représentation, & qu’elles nous paroissent dans leur caractere comme dans leur forme si différentes des nôtres ; comment les comparer ensemble ?
Vous regardez avec plaisir un Comédien, un pantomime, un gladiateur, un chariot qui roule sur l’arène, et hæc vanitas est. […] Jésus-Christ est notre objet et notre terme, le seul digne de nous ; méprisons tout le reste, pour ne nous occuper que de lui : « Ad Christum oculos dirige, averte à spectaculis et omni sæculari pompa. » Cherchez des plaisirs plus purs et de plus beaux spectacles : le ciel et la terre vous en offriront ; l’éclat de ces astres, qui perce les sombres ténèbres de la nuit ; cette vaste mer et ses abîmes, cette terre et l’émail de ses campagnes, les innombrables troupeaux qui la couvrent ; la variété du plumage, la douceur du ramage de ses oiseaux ; tout l’univers, théâtre de la puissance divine, ne vaut-il pas les fragiles et dangereuses décorations d’une scène criminelle, qui loin de vous satisfaire, ne peut que troubler le repos de votre vie par les justes remords qu’elle fait naître ? […] « Qui non respexit in vanitates et insanias falsas. » Mais quels sont surtout ces folies, ces faux biens, ces vains plaisirs, si réellement dangereux ? […] Vous y trouverez les plus belles voix, la plus agréable symphonie, « concentu canentium », la variété, la volupté des pas, des attitudes, des figures, de la danse, « saltantium strepitu » ; on s’y livre à la joie, on y rit aux éclats, « ridentium cachinnis » ; on y goûte sans contrainte tous les plaisirs, on y satisfait tous ses désirs, « lascivientium plausus ». […] profitons du temps, aimable jeunesse, la vie s’envole comme un léger nuage, hâtons nous d’en jouir, ne laissons pas passer le printemps sans en cueillir les fleurs, avant qu’elles se flétrissent ; laissons partout des traces de nos plaisirs, faisons-nous des couronnes de roses, et ne songeons qu’à jouir agréablement des charmes de la volupté, puisque tout va s’anéantir dans le tombeau : « Non prætereat nos flos temporis, coronemus nos rosis antequam marcescant. » Si l’on ne voit pas dans ce portrait le théâtre et sa morale, le parterre et sa folie, les Actrices et leurs manèges, le spectacle et ses dangers, les coulisses, les loges, les foyers, les maisons des Comédiens, la vie des Comédiennes, on ne voit pas le soleil à midi ; mais si après ces connaissances, on aime encore, on fréquente le théâtre, plus misérablement aveugle, on ne voit pas l’enfer ouvert sous ses pieds.