/ 581
156. (1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — XVI.  »

Le but même de la Comédie engage les Poètes à ne représenter que des passions vicieuses : car la fin qu' ils se proposent est de plaire aux spectateurs, et ils ne le sauraient faire qu'en mettant dans la bouche de leurs acteurs des paroles et des sentiments conformes à ceux des personnes qu'ils font parler, et à ceux des personnes devant qui ils parlent. Or on ne représente guère que des méchants, et on ne parle que devant des personnes du monde qui ont le cœur et l'esprit corrompus par de mauvaises passions et de mauvaises maximes.

157. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 7 « Réflexions sur le théâtre, vol 7 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SEPTIÈME. — CHAPITRE III. Théatre de S. Foix. » pp. 52-75

Il faut des Acteurs familiarisés avec le vice, qui puissent se livrer à toutes les passions. […] Mais ces affreuses ruines ne favorisent guère les jeux, les ris, les amours, dont une imagination galante est toujours occupée, & la passion à laquelle elle sacrifie tout. […] Et comment, si tout est détruit dans le monde, se trouve-t-il dans le même instant & le même endroit des statues si parfaites, lesquelles excitent les plus vives passions ? […] est-ce une injustice à lui de mettre un frein à une passion insensée, d’ordonner de fuit les occasions du péché & les objets séduisans ? […] Il faut enchaîner ler passions sans doute, mais est-ce avec des fleurs qu’on les enchaîne ?

158. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre III. De l’Indécence. » pp. 21-58

Vaut-il mieux plaire à des gens livrés à toutes leurs passions, plutôt qu’à des cœurs toujours remplis de la vertu ? […] tandis que les autres Spectacles sont devenus l’école des mœurs, l’amusement le plus honnête & le plus utile ; notre Théâtre favori doit-il être le centre de l’indécence ; doit-il s’appliquer à éxciter les passions ? […] « La Nature à des ressources infaillibles pour faire naître & pour enflammer les passions »(4). […] Mais il faut bien se garder de la peindre avec des couleurs trop fortes, cette passion si vive, si dangereuse. […] Je doute que les Sibarites ayent eu des Spectacles plus dignes de leur mollesse & des passions auxquelles ils s’abandonnaient.

159. (1758) Réponse pour M. le Chevalier de ***, à la lettre de M. des P. de B. sur les spectacles [Essais sur divers sujets par M. de C***] « Réponse pour M. le Chevalier de***, A la lettre de M. des P. de B. sur les spectacles. » pp. 128-142

Ne dites point avec saint Augustin, qui amat periculum, in illo peribit  : car ce danger ne peut rien sur un homme sensé, qui, débarrassé du joug des passions, porte au spectacle un esprit vertueux ; souvenez-vous enfin, Qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. […] L’amour, l’ambition, la jalousie, la colère & la haine, sont les passions les plus propres à émouvoir, & les plus en usage au théâtre. […] En effet, supposons un amant qui, dans le feu des passions, a promis à sa maîtresse de la défaire d’un homme qu’elle aime, mais qu’elle croit devoir haïr depuis qu’il lui est infidèle : supposons, dis-je, qu’aveuglé par son amour il ait tout promis, & que le hasard le conduise à la comédie le même jour qu’on y doit représenter Andromaque ; il écoute avec attention ; il voit dans Pyrrhus ce rival qui lui est odieux ; il est enflammé comme Oreste du plus ardent courroux ; Hermione est à ses yeux cette maîtresse chérie dont il attend sa félicité ; le sacrifice est ordonné ; Oreste tremble, recule, hésite, mais obéit ; il sort dans le dessein d’accomplir sa promesse, & vient bientôt annoncer à sa maîtresse qu’il a rempli ses engagemens : mais quel retour affreux ! […] & cette seule crainte n’est-elle pas capable de lui faire ouvrir les yeux, & de l’arrêter au bord du précipice où la passion l’alloit précipiter ? […] On peut en dire autant des autres passions que j’ai citées déjà.

160. (1768) Des Grands dans la Capitale [Des Causes du bonheur public] « Des Grands dans la Capitale. » pp. 354-367

tandis que le génie de nos Écrivains sera forcé de ne faire ses choix qu’entre les passions ; qu’il sera asservi aux caprices d’un frivole personnage, d’une Femme de Théâtre, qui prétend ne chercher que dans elle seule, la regle du goût de la Nation, & les couleurs qui doivent former le portrait des mœurs ? […] L’amour ne seroit plus sous leur pinceau ; ils écarteroient à jamais cette passion funeste ; & qui pourroit raconter tous ses maux, montrer l’horreur de ses excès, ses fureurs, ses trahisons, ses ravages ! […] La Scene, en la soumettant aux loix dont nous avons parlé, c’est-à-dire en bannissant entiérement la passion de l’amour, produiroit tous les jours de nouveaux biens. […] Enfin toutes les vertus sur le Théâtre aux prises avec les revers, les dangers, les passions, verroient éclater leur force, & applaudir à leur triomphe ; ainsi ces vertus seroient portées au plus haut degré de considération, de gloire, j’ajouterois presque d’enthousiasme. […] De la réform. du Théât. ch. 2. de la passion de l’amour sur le Théâtre. p. 24. 25.

161. (1689) Le Missionnaire de l’Oratoire « [FRONTISPICE] — Chapitre » pp. 15-18

Ces préceptes nous obligent à n’aimer que Dieu ou ce qui tend à lui, n’avoir joie, ni tristesse, ni autre passion que pour lui ou pour son service, ne penser qu’à lui ou à ce qui est référé à lui, n’agir que pour lui ou pour ce qui peut réussir à sa gloire ; et vous m’avouerez que ce n’est pas pour Dieu que vous allez au bal, car on n’y pense point à Dieu ; vous n’y avez point d’affection ni de passion pour Dieu, rien ne s’y fait qui tende à sa gloire, ni de près ni de loin, ni médiatement ni immédiatement : vous m’avouerez que l’argent que vous donnez pour les violons, les comédiens et les cuisiniers, soulagerait notablement un pauvre ménage. […] Je sais bien que vous pouvez apporter, et que vous apportez souvent plusieurs autres objections, pour justifier ces damnables coutumes du monde ; car, comme dit Tertullien, quand nous avons affection à quelque plaisir ou profit temporel, notre passion n’est que trop adroite et ingénieuse à trouver des raisonnements spécieux et de fausses lueurs pour nous flatter. Ainsi les avaricieux, les vindicatifs, les duellistes et les ivrognes vous allègueront mille raisons apparentes pour colorer ou justifier leur passion ; et quoique vous n’y puissiez répondre, vous ne laissez pas de les condamner, et eux semblablement vous condamnent.

162. (1691) Nouveaux essais de morale « XXI. » pp. 186-191

Car dans cet état même elle ne plaît que parce qu’elle représente d’une manière vive et touchante ce que peuvent les passions de l’amour, de la vengeance et de l’ambition, dans leurs plus grands emportements ; et il est vrai qu’on ne prend plaisir à la représentation de ces passions, que parce qu’on aime les passions mêmes.

163. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « V. Si la comédie d’aujourd’hui purifie l’amour sensuel, en le faisant aboutir au mariage.  » pp. 19-24

Je crois qu’il est assez démontré, que la représentation des passions agréables porte naturellement au péché, quand ce ne serait qu’en flattant et en nourrissant de dessein prémédité la concupiscence qui en est le principe. On répond que pour prévenir le péché, le théâtre purifie l’amour ; la scène toujours honnête dans l’état où elle paraît aujourd’hui, ôte à cette passion ce qu’elle a de grossier et d’illicite : et ce n’est après tout qu’une innocente inclination pour la beauté, qui se termine au nœud conjugal. […] La passion ne saisit que son propre objet : la sensualité est seule excitée, et s’il ne fallait que le saint nom du mariage pour mettre à couvert les démonstrations de l’amour conjugal, Isaac et Rébecca n’auraient pas caché leurs jeux innocents et les témoignages mutuels de leurs pudiques tendressesd.

/ 581