Tout y concourt à séduire l’âme et à l’amollir : le cœur conduit par les oreilles et par les yeux, s’attache à tout ce qui le charme ; la raison, suspendue par tant d’enchantements, se tait. […] Une salle, le rendez-vous de tous les libertins, et de tout ce qu’on appelle dans une ville gens oisifs, gens de plaisirs : peu dont les mœurs ne soient corrompues, moins encore qui soient de bonnes mœurs : une assemblée où règne un luxe étudié, où tout éblouit, où tout brille, et dans laquelle il ne se trouve pas une jeune personne qui n’ait employé tout ce que l’art a de plus séduisant pour plaire et pour tenter : Des loges pleines d’écueils d’autant plus dangereux qu’ils sont plus à couvert, et d’où les yeux peuvent rassembler plus d’objets à la fois, tous plus à craindre. […] Une décoration magnifique fixe les yeux, des machines de théâtre amusent l’esprit, le dénouement des aventures l’enchante, et tout cela le met hors d’état de se défier des surprises.
C’est une femme qui trompe son mari, et se livre à un amour adultère… Cependant, un père et ses enfants, une mère et sa fille, de graves sénateurs, se plaisent à ce spectacle immoral, repaissent leurs yeux de cette scène impudique. […] N’aimez point le monde, ni les choses du monde : car tout y est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie 10 . […] Pour en juger sainement, il faudrait, avant tout, savoir les efforts qu’ont fait ces Guides charitables pour ouvrir les yeux à des aveugles volontaires et pour ramener au bien des mondains obstinés. […] Dieu a daigné éclairer entièrement mes ténèbres, et dissiper à mes yeux tous les enchantements de l’art et du génie. […] Vous autres Philosophes, qui vous prétendez si fort au-dessus des préjugés, ne mourriez-vous pas tous de honte, si, lâchement travestis en rois, il vous fallait aller faire aux yeux du public un rôle différent du vôtre, et exposer vos majestés aux huées de la populace ?
Les anciens étoient si délicats sur l’éducation de leurs enfans, qu’ils craignoient pour eux jusqu’à la tendresse des peres & des meres, ils consioient l’éducation au plus honnête homme de la famille, ils vouloient qu’il ne se passât rien d’indécent sous leurs yeux ; dans les repas même & les recréations, on tâchoit de cultiver leur ame pour la porter à la vertu. […] Moliere en offre un grand exemple ; L’auguste image de ses traits, Inspire à l’œil qui le contemple, De la tendresse & du respect. […] Qu’on jette les yeux sur les portraits sans nombre des mœurs de siécle, qui remplissent les livres les plus frivoles, comme les plus sérieux, qu’on écoute, à ce qu’en disent les gens du monde, qui ne parlent que d’après leur expérience. […] Que l’œil s’ouvre & petille à leurs traits indécents, Le lecteur est pour toi, tu parles à ses sens. […] Ces stampes, cette multitude de livres frivoles qui tous les jours déclarent la guerre à la vertu, font ouvrir & petiller l’œil du lecteur.
Il en est parmi eux qui, entrainés d’abord par la curiosité, ne continuent d’y aller que par foiblesse, ou par vanité, ou par un malheureux respect humain : Mais qu’on leur mette devant les yeux l’ensemble des Spectacles, la fin qu’ils s’y proposent, leurs effets & leurs suites : Qu’on ait la patience de répondre aux faits controuvés & aux pitoyables subtilités dont ils se servent, pour étouffer les cris de leur conscience justement allarmée ; c’en est assez, le bandeau tombe, la Réligion rentre dans ses droits, & ils renoncent pour toujours aux funestes plaisirs dont ils étoient esclaves.
Ces causes sont chez nous & sous nos yeux. […] A peine ont-ils, par quelques essais, attiré les yeux du public sur eux, qu’ils s’érigent en Maîtres.
Si la Parodie n’avait encore que ces défauts, on pourrait quelquefois y jetter les yeux pour se délasser, de même qu’on se plaît à voir les figures grotesques de Calot. […] Elle n’éxige pas que ses Auteurs soient doués d’un grand génie, puisqu’ils ne composent que d’après le plan qu’ils ont sous les yeux.
Disons encore plus à la louange de notre espèce, & cette réfléxion regarde particulièrement la Tragédie ; par un penchant naturel, qui subsiste toujours en nous malgré nos vices, & qui prouve que nous sommes faits pour vivre en société ; ce n’est pas seulement aux incidens, aux malheurs réels, que nous voyons arriver sous nos yeux, que nous prenons vivement part ; dès qu’on nous peint avec des couleurs vraisemblables, ou avec un crayon énergique, des revers auxquels l’on peut être sujet, nous sommes émus & affectés. On suit d’un œil aussi curieux, & aussi inquiet le Personnage représenté au Théâtre, que si l’on contemplait dans le monde ses folies ou ses infortunes.
C’est une racine envenimée qui étend ses branches par tous les sens : l’ouïe, les yeux, et tout ce qui est capable de plaisir en ressent l’effet : les sens se prêtent la main mutuellement : le plaisir de l’un attire et fomente celui de l’autre, et il se fait de leur union un enchaînement qui nous entraîne dans l’abîme du mal. […] Le spectacle saisit les yeux, les tendres discours, les chants passionnés, pénètrent le cœur par les oreilles.