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4. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre troisiéme. — Chapitre IV. Il faut que le nouveau Théâtre se fonde sur la Vérité & sur la Nature. » pp. 133-138

Que le Beau naturel est rare de nos jours. […] En éffet, de nos jours le Beau simple & le naturel ne se trouvent gueres au Théâtre. […] Les Auteurs de Romans, d’Histoires, d’Épîtres & particuliérement d’Héroïdes, loin d’être naturels dans leurs Ouvrages, & de chercher à dire des choses qui nous concernent au moins un peu, se perdent dans le pays de l’imagination, & n’écrivent que des chimères ; leur stile maniéré, plein d’un faux brillant, n’est qu’un vrai persiflage. […] Il est impossible de faire agir leurs personnages avec plus de naturel.

5. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VIII. Réfléxions sur le plaisir qu’on ressent à la représentation d’un Poème comique, & sur la douleur qui déchire l’ame des Spectateurs d’un Drame sérieux. » pp. 113-123

Disons encore plus à la louange de notre espèce, & cette réfléxion regarde particulièrement la Tragédie ; par un penchant naturel, qui subsiste toujours en nous malgré nos vices, & qui prouve que nous sommes faits pour vivre en société ; ce n’est pas seulement aux incidens, aux malheurs réels, que nous voyons arriver sous nos yeux, que nous prenons vivement part ; dès qu’on nous peint avec des couleurs vraisemblables, ou avec un crayon énergique, des revers auxquels l’on peut être sujet, nous sommes émus & affectés. […] Les Personnages qu’on y voit agir sont factices, il est vrai ; mais leurs ridicules & leurs passions se trouvent dans la plus-part des hommes ; l’on ne saurait donc manquer d’être frappé d’un tableau qui peint au naturel nos erreurs & nos travers. […] Il est donc naturel que l’on chérisse un genre de Drame qui console en même tems qu’il réjouit. […] Mais quelque raison que l’on puisse donner de l’intérêt qu’on prend aux Poèmes tragiques, le Philosophe s’étonnera toujours que l’on chérisse des Ouvrages qui nous remplissent de douleur, qui nous arrachent des cris & des larmes : car enfin il ne paraît pas naturel de trouver des délices à s’affliger. […] Il est naturel que nous chérissions la Tragédie, puisqu’elle réveille en nous ce penchant que nous avons à la pitié.

6. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VI. Des Ariettes, & des autres parties du Chant théâtral à une seule voix. » pp. 297-328

L’Ariette est donc pour le Musicien un chant vif qui sort un peu du naturel. […] Je crois seulement que le chant à côté de la parole paraît encore moins naturel que lorsqu’il marche seul. […] On soutient d’abord que les Prolations ou Roulades ne sont point du tout naturelles ; & qu’on doit les employer très-rarement, sur tout dans l’Opéra-Bouffon, qui doit approcher de la Nature le plus qu’il est possible. […] Peu de mots Français sont susceptibles de roulades ; c’est une nouvelle preuve que notre chant est plus naturel, plus agréable que l’Italien(67). […] S’il est certain que le chant des Pièces du nouveau genre, pour être naturel, ne doit être amené, ainsi que je le prouverai plus bas, que lors qu’un Personnage est violemment agité, & que lorsqu’il doit s’èxprimer plus rapidement que de coutume ; il est certain que ce chant-là ne veut point de Ritournelle ; parce qu’il n’est pas naturel qu’on attende un quart d’heure à parler, quand tout nous presse à prendre la parole.

7. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre quatriéme. — Chapitre XI. Du jeu des Acteurs. » pp. 345-354

Mais la plupart des Comédiens croyent qu’ils n’ont autre chose à faire qu’à débiter leur role avec feu ; ils mettent du sentiment dans ce qu’ils doivent dire, & n’en mettent pas dans ce qu’ils écoutent ; comme s’il était naturel qu’on ne prit nul intérêt aux discours que l’on nous tient, sur-tout lorsqu’ils contiennent des choses qui nous touchent vivement. […] Combien l’Acteur doit s’éfforcer d’être naturel & de paraitre le Personnage qu’il représente. […] Mais quand je le vois reparaître sous une autre forme, son ton, ses traits & sa voix, qu’il m’est facile de reconnaitre, me découvrent le Comédien, par ce qu’il n’est pas naturel qu’on se métamorphose dans le monde en une autre personne. […] Il est pourtant naturel que celui à qui l’on tient un discours flatteur, en témoigne sa joye par ses regards, par ses gestes, & par des mouvemens qui éxpriment le plaisir qu’il éprouve.

8. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VII. Des Duo, Trio & Quatuor. » pp. 329-339

Mais quoi qu’on fasse, est-il naturel que lorsque le Tartuffe ou le Misantrope, Cinna ou Rodogune quittent la Scène, on entende tout-à-coup divers instrumens de musique ? […] Le Duo n’est guères naturel. […] Rousseau a bien raison lorsqu’il parle de la forte(73) : « L’Auteur de la Lettre sur Omphale a déjà remarqué que les duo sont hors de la Nature ; car rien n’est moins naturel que de voir deux personnes se parler à la fois durant un certain tems, soit pour dire la même chose, soit pour se contredire, sans jamais s’écouter ni se répondre ». […] Les chœurs de l’Opéra-Sérieux sont-ils plus naturels ?

9. (1760) Critique d’un livre contre les spectacles « FRAGMENT D’UNE LETTRE A ME. DE ****. SUR LES SPECTACLES. » pp. 82-92

L’amour peut faire le sujet principal d’une Tragédie, ainsi que les autres passions dominantes de l’homme, naturelles ou acquises. […] C’est une impression subite et naturelle qui nous entraîne délicieusement. […] Il n’a point d’autre pouvoir que de donner de l’effervescence à nos penchants naturels. […] Il me semble qu’il serait aussi naturel et plus touchant encore, que l’amour rappelât un criminel à la vertu, que d’entraîner dans le crime un cœur plein de candeur et d’innocence.

10. (1762) Apologie du théâtre adressée à Mlle. Cl… Célébre Actrice de la Comédie Française pp. 3-143

Mais quand on pense différemment, il est difficile de tenir à l’envie naturelle d’en faire preuve : en est-on au reste capable ? […] C’est un préjugé aussi commun, qu’il est naturel. […] En un mot, dans une représentation tout nous est connu, tout nous est familier : pourquoi donc nous y tromperions nous, si le point de vue étoit exact, si l’image étoit naturelle, si le tableau étoit vrai ? […] quand un caractere est soutenu, on s’éleve par dégrés avec lui, on se prête insensiblement au ton ; loin que cela coûte, il semble que ce soit une marche naturelle. […] Si le voile au contraire & l’esprit s’en mêlent ; il est naturel que le trait à raison de sa finesse flate & recrée ; mais quel en est le principe & la cause ?

11. (1759) Apologie du théâtre « Apologie du théâtre » pp. 141-238

Il est certain que le théâtre doit ménager, flatter même ces passions, s’il veut gagner la faveur du public ; rien n’est plus naturel ni plus juste. […] Cette confiance est-elle un défaut naturel ? […] Cet abus de l’autorité confiée est-il un défaut naturel ? […] La pudeur naturelle interdit-elle aux femmes la société des hommes ? […] Parce que ce devoir n’en est pas un dans nos mœurs, et que le cœur doit prendre parti pour un sentiment naturel contre une opinion nationale.

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