Que c'est une erreur de croire que la Comédie soit destinée à corriger les mauvaises mœurs. […] Vous êtes donc bien éloigné de croire que la comédie soit destinée à corriger les passions, et les mauvaises mœurs ? […] Car la comédie n'attaque que le ridicule des mœurs sans toucher à leur corruption. […] « O la belle réformatrice des mœurs que la poésie qui nous fait une Divinité de l'amour, source de tant de dérèglements honteux, s'écrie un Païen !
Mais, à les prendre comme elles sont dans l’état actuel de nos mœurs et à les envisager au point de vue pratique, avec toutes leurs circonstances concomitantes, elles sont le plus souvent pleines d’écueils et de dangers pour l’innocence et la vertu. […] On objecte que le théâtre français, tel qu’il est aujourd’hui, n’a rien de contraire aux bonnes mœurs ; qu’il est même si épuré qu’il n’offre rien que l’oreille la plus chaste ne puisse entendre. […] Nous ne le pensons pas : d’ailleurs, une réformation morale est ici impossible, et, dans l’état actuel des mœurs et de l’esprit des nations, le théâtre est radicalement irréformable. […] N’en faut-il pas plutôt accuser une plus grande licence des mœurs, une corruption plus profonde et plus générale ? […] Mais, dira-t-on, la corruption des mœurs a été de tous les temps, la nature humaine est toujours la même ; d’ailleurs l’histoire le prouve sans réplique.
La Comédie ayant enfin reçu des loix de la décence & du goût, la Parade cependant ne fut point absolument anéantie : elle ne pouvait l’être, parce qu’elle porte un caractère de vérité, & qu’elle peint vivement les mœurs du Peuple qui s’en amuse : elle fut seulement abandonnée à la populace, & reléguée dans les Foires, & sur le Théâtre des Charlatans, qui jouent souvent des Scènes bouffones, pour attirer un plus grand nombre d’acheteurs. […] A force d’imagination & de gaîté, elles saisissent ce ton ridicule ; c’est en Philosophes qu’elles ont travaillé à connaître les mœurs, & la tournure de l’esprit du Peuple ; c’est avec vivacité qu’elles les peignent. […] Souvent sans invention, & toujours sans intérêt, ces espèces de Parades ne renferment qu’une fausse métaphysique, un jargon précieux, des caricatures ou de petites esquisses mal dessinées des mœurs & de ridicules ; quelquefois même on y voit règner une licence grossière ; les jeux de Thalie n’y sont plus animés par une critique fine & judicieuse ; ils sont deshonorés par les traits les plus odieux de la Satyre.
Cyprien, il n’est pas étonnant qu’ils aient fulminé contre les spectacles et que les Comédiens aient été en horreur aux gens sages, aux Chrétiens, aux Pères de l’Eglise ; mais ceux-ci prouvant par l’énumération des indignités qui se commettaient au Théâtre la légitimité de leur Anathème, n’ont rien prononcé contre un spectacle utile aux mœurs et conforme à la raison. […] Térence et Molière ont eu le même objet, ils ont offert des spectacles de même espèce à des peuples différents par les lois, les mœurs, le gouvernement et la Religion. […] Primo, le Théâtre est à votre avis l’école des passions, secundo, les Dames Françaises ont les mœurs des Vivandières et sont cause du peu de cas que l’on fait à Paris de la vertu. En troisième lieu les Comédiens sont des gens sans mœurs, il n’est pas possible qu’ils en aient, leur état s’y oppose, et vous ne seriez pas surpris qu’ils fussent des fripons parce qu’ils en jouent souvent le rôle au Théâtre. En quatrième lieu, nouveau Jonas, vous prédisez la corruption des mœurs de Genève et sa ruine, comme le Prophète a prédit celle de Ninive.
Soit les uns, soit les autres, les voyant en un même blâme, et également tachés de dissolution, et des Ecoles ouvertes pour corrompre les mœurs, ils les ont enveloppés sous de pareilles censures. […] , dit que jusques à son temps, qui était celui de Tibère, elle n’avait point relâché de sa sévérité ancienne, ni laissé corrompre l’intégrité de ses mœurs. […] >« Il n’y a rien (disait-il) si préjudiciable aux bonnes mœurs que de seoir oisif à quelque spectacle. […] Mais des lieux qui ont pris possession durant plus de deux mille ans d’être des écoles pour gâter les mœurs, ne sauraient avoir changé si soudain. […] Ou de celle de saint Louis, qui « exila aussi de sa Cour les Bateleurs, et farceurs, vu qu’ils ne servaient qu’à corrompre les mœurs.
Saint Epiphane, Evêque de Constance, dans son Panarium se plaint de l’Empereur Jovinien, de ce qu’il autorisait le vice des Comédiens, qui gâtaient par leurs lascivetés les bonnes mœurs d’un chacun ; Saint Ambroise, Evêque de Milan, écrivant à sa sœur sur la préparation de la Messe, l’exhorte de s’abstenir de la vue des jeux publics, de peur d’être polluée par leurs actions. […] A Castres on joua une Comédie intitulée le Jugement de Midas, devant le Duc de Rohan, où le Sieur du Mont et autres Ministres assistèrent : Je sais bien que quelqu’un me dira, que les poèmes que ceux de la Religion représentent, sont examinés par les Pasteurs ou parpceux qui ont charge de l’Eglise ; et que lorsqu’il s’y rencontre quelque chose contre la gloire de Dieu, ou les bonnes mœurs, on ne les souffre pas représenter. […] Outre que la question ayant été depuis peu réveillée dans cet auguste Parlement de Paris, touchant la réception de Laffémas 1que l’on accusait de l’avoir exercée, (sans preuve toutefois), où les plus beaux esprits de la Cour assistèrent, et nombre de Docteurs en Théologie pour vider ce différend ; il fut conclu et arrêté, après les diverses contestations d’une part et de l’autre,s que la Comédie n’ayant plus rien du Paganisme et de contraire aux bonnes mœurs, elle pouvait être reçue entre les honnêtes récréations, puis même que le Concile de Trente ne l’avait décidée que comme action indifférente ; Et que quant au regard dudit Sieur de Laffémas soit qu’il l’eût professée ou non, il jouirait pleinement de la charge de Lieutenant Civil, avec injonction et défense de ne jamais opposer ce reproche à ceux qui voudraient être admis aux offices de judicature, comme superflu et de nul effet ; Jugez par là si ce Docteur particulier, a raison de vouloir contester une proposition que les plus savants de la Sorbonne ont définie. […] Exuper dit qu’une réprimande modeste pour les mœurs, est une correction honnête. […] De quelle impétuosité n’a-t-elle point heurté les premiers Chrétiens, quand les Païens les appelaient secte pernicieuse, ennemis des Dieux, des Empereurs, des mœurs, et enfin de toute la nature comme témoigne Tacite en son livre des mœurs, et Suetonius en la vie de Néron.
Je conviens que, dans la plupart des projets de réformation, on rencontre les difficultés, et on court les risques que les politiques nous font envisager par leurs subtiles réflexions ; mais je soutiens que le projet de la réformation du Théâtre n’est sujet à aucune des contradictions fâcheuses, que l’entreprise de la réformation des mœurs a souffertes en tant d’occasions. […] C’est en suivant ces principes et en prenant ces précautions que l’on écrit et que l’on représente tous les ans dans les Collèges des Poèmes dramatiques ; et, loin de croire que ces Pièces soient capables de corrompre les mœurs des jeunes gens qui les jouent, ou de gâter l’esprit des Spectateurs, je pense, au contraire, que c’est un exercice honnête, dont les uns et les autres peuvent retirer une véritable utilité. […] Les Spectateurs ne la demanderont jamais : ils sont persuadés, surtout à Paris, que la Scène n’a plus rien de contraire aux bonnes mœurs, ni à la saine morale, depuis qu’on en a retranché et qu’on n’y souffre plus les grossièretés ; et la plus commune opinion des hommes est que, parmi les amusements qui sont permis ou tolérés, celui du Théâtre doit être regardé comme le plus innocent.
Les jeunes gens ne sont pas plus sages ; le Baigneur de l’Hôtel est l’arbitre du bon goût, en imitant la parure, on n’est pas éloigné d’imiter les mœurs, ou plutôt ce n’est que parce qu’on en a pris les mœurs, qu’on en arbore la parure. […] Que penser de la religion et des mœurs de ceux qui passent presque toute leur vie avec eux, les attirent chez eux dans leurs repas, leurs parties ? […] Mais les mœurs des Comédiens ne changèrent pas. […] La dépravation des mœurs subsista si bien, malgré la réforme du théâtre, que les plus infamantes flétrissures, les lois les plus sévères, les plus grands efforts des Empereurs Chrétiens, ne purent l’arracher de son fort. […] la religion, les mœurs, le bon ordre, permettent-ils d’imaginer que dans un royaume chrétien on leur fasse une nécessité d’un métier infâme ?