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153. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre quatriéme. — Chapitre IX. Du Dialogue. » pp. 320-335

Aucune Nation n’a su comme eux le mettre en usage, & lui donner la vivacité qu’il demande, afin que la marche du Drame soit rapide. […] Le Dieu le fit conduire au Temple de Delphes, où il fut élevé par la Prêtresse, & mis au rang des Ministres du Temple. […] Oui, cruel, tu as mis en combustion la maison d’Erectée. […] Ai-je tort de vanter le stile rapide de notre Opéra, & de le mettre en parallele avec celui des Tragédies grecques ?

154. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre II. Suite d’Elisabeth d’Angleterre. » pp. 33-82

Quoiqu’il en soit, Elisabeth devoit tout au Roi d’Espagne, ne cessoit de le combler d’éloges, & de se louer de ses bontés ; par un trait de Comédienne, elle fit mettre à la ruelle de son lit (elle n’étoit pas iconoclaste) le portrait de Philippe comme on y met les images des Anges gardiens & des Saints Patrons pour les invoquer. […] Plusieurs Rois se mirent sur les rangs, les Rois d’Espagne, de Suede, de France, ils étoient trop absolus, ils auroient voulu gouverner, & ne faire qu’un empire des deux Royaumes ; on craignoit d’être éclipsé & subjugué. […] Elle réforma la liturgie d’Édouard son prédécesseur pour donner la sienne, & avoir la gloire de mettre son nom à la tête des livres liturgiques. Le Parlement qui ne se soucioit de l’un ni de l’autre, souscrivit à tout à peu près comme certains Évêques qui font composer des Bréviaires, des Missels, des Rituels, des Catéchismes nouveaux, pour mettre leurs noms & leurs armes à la tête d’un livre, à quoi consentent les Chapitres qui s’intéressent aussi peu pour l’ancien que pour le nouveau culte. […] C’est bien dégrader une si grande Reine de la comparer aux Religieuses, & trois Royaumes de les mettre sur la même ligne, avec une cinquantaine de moines qui composent l’Ordre de Fontevrault ; y pense-t-on de justifier la nouvelle Eglise par l’exemple du Papisme que l’on abhorre, & une si petite portion du Papisme à peine connue ?

155. (1762) Apologie du théâtre adressée à Mlle. Cl… Célébre Actrice de la Comédie Française pp. 3-143

Tout ce qu’il met au jour a donc un air de merveille, un caractére d’intérêt pour nous. […] Tout ce que l’Auteur fait, c’est de mettre les Acteurs sur la voie : du reste à ceux-ci à courir la carriere avec goût, & à la fournir avec les graces & l’intelligence qui conviennent. […] On ne voit point la vertu dans l’exercice sans admiration, & on ne se met point dans sa situation, sans plaisir. […] Mettons au reste le Commerce sur le pied d’utilité dont il peut être capable : demandons à ceux qui y sont le plus dévoués, quel est intérieurement son avantage ? […] Par-tout où l’on ne trouve point d’autres amusemens, c’est à chacun de consulter indistinctement son goût ; & s’il veut y mettre du choix, de préférer du moins le plus innocent pour ses mœurs, & le moins infructueux pour son esprit & pour son cœur.

156. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre VII. Les spectacles favorisent les suicides. » pp. 90-92

Ceux qui ont voulu faire paraître des saints sur la scène ont été contraints de leur donner un air de fierté incompatible avec l’humilité chrétienne, et de leur mettre dans la bouche des discours plus propres à des héros de l’ancienne Rome qu’à des saints et à des martyrs. […] S’il se trouve parmi les spectateurs un malheureux réduit au désespoir, ou qui, au premier jour, se trouvera dans cette affreuse situation, n’est-il pas à craindre que l’exemple de tant de héros, qu’il a vus se délivrer de la vie, ne se retrace dans son imagination, et ne le porte à cette fatale extrémitéan », suivant cette maxime que Voltaire met dans la bouche de Mérope : « Quand on a tout perdu, quand on n’a plus d’espoir, La vie est un opprobre et la mort un devoir. » an.

157. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre X. Les spectacles ne sont propres qu’à rendre romanesques ceux qui les fréquentent. » pp. 102-104

On ne voit plus rien de honteux dans les passions dont on craignait autrefois jusqu’au nom, parce qu’on les voit toujours déguisées sur la scène, embellies par l’art, justifiées pas l’esprit du poète, et mises à dessein avec les vertus et les mérites dans les personnes qui y sont représentées comme des héros. […] Cela arrive toujours, quand on n’en voit que l’image ; mais l’image ne peut plaire sans remuer le cœur, sans l’amollir et le corrompre, sans échauffer l’imagination et sans mettre du faux dans l’esprit.

158. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre IV. Les spectacles inspirent l’amour profane. » pp. 32-50

La subtile contagion d’un mal dangereux ne demande pas toujours un objet grossier ; l’idée du mariage qu’on met dans ces héros et ces héroïnes amoureuses ne corrige pas, et ne ralentit pas la flamme secrète d’un cœur disposé à aimer. […] La passion ne saisit que son propre objet, la sensualité est seule excitée ; et, s’il ne fallait que le saint nom de mariage pour mettre à couvert les démonstrations de l’amour conjugal, Isaac et Rebecca n’auraient pas caché leurs jeux innocents et les témoignages naturels de leur pudique tendresset. […] Ces doux et invincibles penchants de l’inclination, ainsi qu’on les représente, c’est ce qu’on veut faire sentir et ce qu’on veut rendre aimable : c’est-à-dire, qu’on veut rendre aimable une servitude, qui est l’effet du péché, qui porte au péché ; et on flatte une passion qu’on ne peut mettre sous le joug que par des combats qui font gémir les fidèles, même au milieu des remèdes. […] Ils n’ont mis en jeu que des passions folles ou criminelles, et les plus légitimes, ils les ont rendues répréhensibles et dangereuses par la manière dont ils les ont représentées. […] « Convenons, si l’on veut, que le spectacle ne produit pas ces pernicieux effets tout à coup, mais il les prépare ; il ne porte pas sur-le-champ des défaites et des chutes, mais il met dans le cœur la disposition secrète qui en sera un jour la trop funeste cause.

159. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 3 « Chapitre II. Est-il du bien de l’Etat que les Militaires aillent à la Comédie ? » pp. 20-34

Un jour qu’on y était assemblé en foule (sans penser à l’ennemi, qui était aux portes), et extrêmement attentifs au jeu d’une Actrice célèbre dont on était enchanté « alto silentio populo venustate attonito», l’Actrice, qui avait la montagne en face, aperçut les Perses, qui descendaient, et s’écria saisie de frayeur : « Ou je rêve, ou nous sommes dans le plus grand danger, voilà les Perses »: « Aut somnio, aut magnum periculum, ecce Persæ. » Il n’était plus temps de se mettre en défense, les troupes environnèrent le théâtre, et eurent bon marché de cinquante mille personnes, qui ne songeant qu’à se divertir, furent prises comme dans un filet. […] Dans la guerre de Flandres de 1744 les deux Généraux s’étaient accordés pour avoir tout à tour la comédie chaque semaine : la troupe passait d’un camp à l’autre, et pour mettre à couvert de toute insulte ces Princes et ces Princesses, un détachement de cinquante maîtres était commandé pour les escorter jusqu’à demi-chemin, où un pareil détachement de l’autre armée venait les prendre et les conduire. A son retour à Paris, après la guerre, son premier soin fut d’aller à la comédie, et il regarda comme une des plus brillantes branches des lauriers qui ceignirent son front, la couronne que la première Actrice alla lui présenter dans sa loge et lui mettre sur la tête. […] Cette rêverie ne sera mise au nombre, ni de ses vertus, ni de ses exploits, ni de ses découvertes. […] Dans les anciens tournois les Chevaliers allaient prendre l’ordre, la devise, les couleurs de leurs maîtresses, et après le combat venaient mettre les lauriers à leurs pieds, et recevoir le prix de leur victoire : c’est à une Actrice que s’offrent aujourd’hui les hommages et secrets et publics, et depuis que le Maréchal de Saxe s’est paré d’une couronne présentée, non par une Amazone, par une Princesse, par une Duchesse, mais par une … par une … par une Actrice, tout le monde dramatique a retenti et tout le monde militaire a applaudi à cette espèce de triomphe de l’Actrice, plutôt que du Héros, si différent de ceux des Scipion, des Paul-Emile, des Pompée, qu’on ne vit jamais, passant du Capitole au théâtre, faire flétrir leurs lauriers, en les laissant toucher à des mains infâmes.

160. (1836) De l’influence de la scène « De l’influence de la scène sur les mœurs en France » pp. 3-21

., et si le spectacle de la débauche n’était pas admis sur la scène, on voulait des équivoques, des allusions assez gazéesdpour cacher le cynisme, mais assez visibles pour mettre à nu le libertinage. […] Les grands eurent leur tour, et furent mis en scène chargés de leurs vices, de toute leur immoralité, percés des traits malins de Figaro. […] Les auteurs semblent s’être mis au défi, et lutter entre eux à qui mettra sous les yeux du public le plus d’horreurs et d’obscénités ; ils y épuisent leur imagination, ils y consacrent leurs veilles. […] Il fallait un auteur qui sentît bien sa force pour oser mettre vis-à-vis l’un de l’autre deux pareils interlocuteurs. […] Si au lieu d’ensanglanter la scène par le meurtre de Stella, l’auteur eût mis dans l’âme de cette femme des sentiments de grandeur et d’héroïsme ; s’il lui eût donné de l’élévation et de la générosité, nous n’aurions pas eu alors, il est vrai, de nonne sanglante possédée du démon de la vengeance, tuant, brûlant, remplissant la scène de crimes qui font frémir la nature ; il aurait fallu reporter l’intérêt sur une religieuse sublime par ses vertus, grande par ses sacrifices, touchante par son amour.

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